sieurs très graves. Pour certains, l’escrime, tordeuse de muscles, tourment de l’esprit el des yeux, apporte cette fatigue compensatrice indispensable aux fatigues de la journée. Mais elle n’est pas permise à tout le inonde ; la boxe, moins encore, elle est réservée aux plus jeunes, à ceux qui, dès l’enfance, ont vécu avec le sport, et ne veulent pas céder. Il faut peut-être attendre les beaux jours pour trouver enfin le sport parfait, à la fois exercice et jeu. C’est la nage que je veux dire. Bien sûr, pendant l’hiver, on a parfois piqué des têtes dans les piscines publiques, celles des cercles, ou celles des palaces. Mais ce n’était que peloter en attendant partie ; voici rouvert le bassin d’été de la piscine d’Auteuil, ce long bassin étendu sous le ciel, ceinturé de ses trois étages de cabines bleues et de ses miroirs, orné de gardiens blancs, avec des parasols orange et une eau claire. Là tout un chacun se sent nageur. On ne peut voir ce miroir d’eau, qu’on ne s’y jette. On a passé la porte, et soudain Paris a disparu très loin ; trois mois avant les vacances, c’est déjà le bord de la mer, avec juste cette légère addition de luxe et d’artifice qui fait d’un rivage une plage. C’est un peu comme un beau jouet pour grandes personnes : u Le même : modèle riche en bois coloré : 99,95 ». C’est un jeu, et qui, lui aussi, apporte le remède cherché : c’est donc un sport. Les hommes d’affaires (ils ne sont pas seuls ici, parbleu! mais c’est eux que nous filons aujourd’hui) ont déposé dans leur étroite cabine, leurs affaires s avec leurs s affaires n ; les voici nus, les jeunes et les vieux, avec encore leurs têtes de bureau sur un corps, déjà, de vacances ; ils entrent dans l’eau, et ils sont sou-dain (métaphoriquement, s’entend) lavés, nettoyés, frottés, poncés. L’eau les a pris dans son mouvement, sa forme et son parfum : car si la piscine, à vrai dire, sent un peu la salle de bains, elle sent aussi le bord de rivière) ; ils nagent, ils barbotent, ils plongent, ils jouent. De la trempette au crawl, tout est permis. Je ne crois pas qu’un seul baigneur cherche ici à éblouir les autres ; ce sport de nudité exclut toute esbroufe, et c’est à peine si, de temps en temps, on s’aperçoit qu’un beau gars, outrageusement bien balancé, cherche à attirer une attention que les hommes ne lui donnent que jalouse. De belles dames aussi. On les regarde ; pourquoi ne les regarderait-on pas? Que diraient nos grands-pères, remontant des temps où les femmes se baignaient en trois-pièces chargés de volants et de noeuds, s’ils rencon-traient le spectacle de ces piscines mixtes, où les maillots, chaque année, sont plus courts? Nous avons fait des pro-grès. Et pourtant, malgré une trompeuse apparence, quel abîme entre cette assemblée et un camp de nudistes… Ils nagent. Les uns plongent, qui sur la tête, qui sur le ventre ; bains de soleils sur les berges ; sandwiches et porto au bar ; orangeades sous les parasols ; éclaboussements, ballons qui ricochent, appels, pieds tirés sous l’eau. Le soleil, sur les peaux mouillées prépare sa besogne d’août. Johny Weissmuller, colosse souple, le nageur le plus rapide du monde, vient faire voir à ces canards ce que c’est qu’un poisson. Il nage comme vous marchez ; il fend l’eau comme une étrave ; ses bras sont des jambes ; ses pieds sont libres et agiles comme des mains ; il a des chevilles sans os. Il joue dans l’eau, fait le phoque, crache, renifle, rit. En enfant dans son bain. On voudrait lui jeter des petits poissons, comme font à leurs bêtes les montreurs d’otaries jongleuses. On ne sait jamais s’il flotte ou s’il a les pieds sur le fond. Il s’enfonce, vous le cherchez, il reparaît à l’autre bout de la piscine. On le photographie, il rit ; il plonge, il rit ; il nage, il rit. Le soleil éclabousse tout cela. Les jours où il n’y a pas de soleil, il faut imaginer qu’il y en a, et revenir jusqu’à ce qu’on le trouve. Ils sont là, je ne sais combien, qui croient s’amuser et qui se soignent, qui se guérissent de Paris, et du travail, et des affaires. Qui se lavent. Toutes les eaux sont miraculeuses. Après quoi, ils reprennent leurs habits. Tout à l’heure, ou demain, les hommes d’affaires, car il faut bien faire son métier. Mais pendant un instant ils auront oublié, redevenus enfants, connue seuls savent le devenir, aux moments de détente ceux qui n’ont pas le droit de l’être quand ils vivent leur métier. Ils auront retrouvé dans l’eau, comme sur la neige, comme devant le punching-ball leur corps sournois qui rumine des vengeances et ils l’auront remis au pas, comme un associé dangereux, avec lequel il faut bien vivre. C’est peut-être au gant de crin, à la raquette et au maillot de bain que les bornoies de ce siècle doivent de ne pas plus souvent devenir fous, ou simplement idiots? Et je me trompe peut-être tout-à-fait… Qui sait? Le s grand homme d’affaires s que je regarde ne se réfugie peut-être au gymnase, au Palais de Glace ou à la piscine que pour penser secrètement et sans rien dire, aux opérations du lendemain? S’il en est ainsi, alors, merci quand même à lui, de le laisser si peu paraître, et de n’avoir, pendant un temps, plus du tout l’air de ce qu’il est…