Il y a aussi, on le pense bien, des hom-mes d’affaires qui font du sport. Par goût, d’abord, et poussés par ce désir de jouer qui leur reste très tard, et qui équilibre chez eux l’austère travail du bureau. Ensuite par peur d’engraisser, et de souffrir, vers la cin-quantaine, tous les ennuis d’une vie séden-taire et trop bien nourrie. Le sport est pour eux autant un remède qu’un plaisir. Ils ne veulent pas devenir, au sens propre du mot, de gros hommes d’affaires. On les comprend. Presque tous font de l’automobile. Mais on sait bien que l’automobile, dans Paris, c’est plutôt un taxi personnel, et le taxi n’a jamais passé pour être à proprement parler un sport ; le grand tourisme, peut-être un peu plus ; mais d’abord il faut, pour. y goûter. avoir de longues vacances. Et, d’autre part, cette fatigue crispée du voyageur qui a conduit dix heures, ce n’est pas non plus la bonne fatigue reposante qu’on demande aux sports. J’en dirais presque autant du cheval, sport assez souvent pratiqué, mais surtout par ceux qui cherchent dans le sport, plutôt qu’un déploiement des muscles, un exutoire à leur goût de dominer. L’équitation res-serre ; le vrai sport doit dilater. Voilà pour-quoi l’auto, déjà nommé, n’est pas un sport ; bien au contraire, le vrai sport de l’homme d’affaires qui possède une automobile, c’est le footing. J’en connais qui ne vont jamais à leur travail qu’à pied, pour prendre un peu d’exercice. Autrefois quand je ren-contrais un de ces hommes d’affaires à son bureau, et que nous repartions ensemble, je me disais naïvement : « Chouette ! Je vais faire un tour en quarante Renault, ou en Farman… s Et puis, pas du tout, c’était : « Voulez-vous que nous marchions un peu ? Ça nous fera du bien… s et on renvoyait le chauffeur. J’étais furieux. Aujourd’hui j’ai appris à me faire une raison. Mais le footing n’est tout de même qu’un demi-sport. Il y a mieux, et, d’abord, ces salles de culture physique, installées dans les quartiers élégants, chez un professeur ou dans le sous-sol d’un cercle, sous des plafonds à mou-lures, tout étonnés de ne pas couvrir des bergères Louis XV. C’est là qu’on peut voir, aux environs de midi ou de six heures du soir, des messieurs à moitié nus, extraordinairement velus pour la plupart (on ne voit guère réussir dans la vie que les hommes velus), s’appliquer à des mouvements fatigants, sous les ordres d’un moniteur costaud, qui ne respecte ni la haute finance ni la grande industrie. On l’entend dire : s Allons, Voyons ! Un peu d’énergie ! à cet homme qui se croit (et qui est peut-être) le plus énergique des patrons, ou : « Vous dormez aujourd’hui ! s à cet autre qui se vante de ne dormir que six heures par nuit, depuis trente ans. Là, on voit transpirer et souffler de grands personnages ; on les voit lever des haltères, tirer sur des extenseurs, toucher le sol du bout des doigts, les dents serrées, les veines gonflées, au plus fort de leur lutte contre le ventre ou l’ankylose. On les voit s’ébrouer sous la douche comme des collégiens ou des conscrits, mais plus lourds. On les voit sortir, homards cuits, des mains du masseur ganté de crin, qu’ils tutoient et avec qui ils échangent, remis à neuf et rajeunis, des propos polissons. On sent qu’ils ?9i