la mode. Car il y a une mode de travaux de dames, et une mode qui va terriblement vite. On ne fait guère plus de tapisserie que de bourses en perles (cette tapisserie dont les jetées de fleurs, les jardinières feuillues, les bouquets serrés par un noeud gigantesque ou les animaux stylisés annonçaient ingénu. ment le cubisme). Les rideaux en macramé ont rejoint les cadres de photographies en broderie rococo. Il y a eu la crise des coussins ornés de cordelières et de glands, la rage des dollys corner et l’épidémie des fleurs en coquillages. La guerre inventa mille travaux patriotiques qui encombrèrent les tranchées et alourdirent les sacs. Et les temps sont finis où les fauteuils se recouvraient d’un voile en lacet, les pianos d’un crochet d’art, les cheminées de filet, où l’on emmitouflait les théières et chapeautait les lampes à pétrole d’immenses abat-jour à falbalas. Las! que sont devenus tous ces chefs-d’oeuvre de patience et de minutie où l’iris, le chardon et le chrysanthème échevelé se mêlaient harmonieusement sous le signe du style Metro-pensée-d’automne, où triomphaient les Amours et s’enlaçaient les mono-grammes en anglaise renflée,letoutbordé de festons ou avec finition enfrange de passementerie? Maintenant les femmes travaillent. Véritablement. Elles ne jouent plus à la bergère. Elles gagnent leur vie, sans le secours des hommes. Elles sont dactylos ou mannequins selon les tempéraments. Elles vendent des livres, des tableaux ou des actions. Et elles n’ont plus le temps de se livrer aux charmes des « travaux reposants s. C’est pourquoi les travaux de dames dont l’esthétique me paraît par ailleurs, assez incom-patible avec notre architecture et nos meubles, ont pour moi le goût mélancolique d’une fémi-nité d’avant guerre. C’est pourquoi, aussi, je ne peux pas voir dans un jardin une dame d’un certain âge piquer une toile tendue sur un tambour, agiter des fuseaux au-dessus d’un coussi-net, couvrir un canevas de laines multicdlores, en comptant ses points et en suivant des indications de ce genre, écrites en une langue mystérieuse et ésotérique: Faire une ch. de 16 m., 1 m. simple dansla lre m.17 1/2,6 à cheval suri° de ces m. retourner 5 m. ch. 8 b. séparées par 2 m. et piquées, chaque 2 m. ch. retourner 31 /2 b. enfaisant un picot de 5 m., etc., etc., sans me sentir tout attendri et plein d’un amour confus pour tout ce qui fut la jeunesse de cette femme. De combien de « petits riens s sut-elle ainsi encombrer sa vie et son appartement? Mignardise et frivolité, den-telle sur bigoudis et point de Venise, occupations déli-cieuses et ridicules, votre place n’est plus parmi nous dans notre austérité et notre hâte. Il faut vous en allez rejoindre les doux cheveux longs, les dessous pleins de secrets, les corsets impratiques, les valses brillantes et les fiacres tournant autour des lacs du Bois de Boulogne. 275