Qui sait si Bourget eût existé si les corsetières n’avaient point, pour des duchesses, com-biné d’extraordinaires bastions de satin noir. Le xvme siècle palpite dans le battement des éventails, et le romantisme séché entre deux pages de Théophile Gautier, dort dans un médaillon. Que de parures, qu’y de mots autour des parures, et que de moeurs engendrées par les parures et les mots. Une femme, aujourd’hui, passe d’un mouvement aisé de son lit dans son tub, et de son tub dans sa robe, cachette d’un béret son crâne et la voilà prête pour la journée, que la journée soit d’amour, de sport ou de travail. A peine la femme d’il y a cinquante ans s’est-elle éveillée, que tout complique sa vie. Les fleurs qu’on lui apporte ont un sens, contiennent un message. Un amant y exprime sa rancune ou sa ferveur, et selon que le bouquet sera attaché ici ou là, à la naissance de la gorge, sur l’épaule, à la taille, il y aura sur terre un heureux de plus ou un Dandin. Heureuse époque où il n’y avait pas besoin d’ouvrir la bouche pour promettre, consentir ou refuser. Mille objets passaient de main en main. Une toilette achevée ressemblait à une chapelle votive après une procession. Tout était gages, liens, regrets éternels, ou reconnaissance infinie. On portait son coeur au bout d’une châtelaine ou d’un collier, et l’on comprend bien pourquoi on a dû inventer le téléphone quand on a oublié le langage des fleurs, le langage des rubans échangés, des boucles coupées, les dons de médaillons et de miniatures, et de tout ce qu’on faisait de délicieux, de rare, d’un peu gluant aussi, avec les chevelures des vivants et des morts. Parfois, en ouvrant ces écrins de jadis, ces coffrets, on perçoit par delà les objets entassés, éventails disjoints, pierres desserties, gants dépareillés, flacons de senteur sans bouchons, peintures sur ivoire craquelées, fleurs séchées, chaînettes rompues, le murmure d’une vie intérieure, l’éloquence de la chose inerte promue au rôle humain de messagère. Associer un objet à sa vie sentimentale, c’est le douer de sentiment. Après, de lui-même, il se prolonge, il entre dans son éternité. Et même s’il ne fût qu’une mode sans but et sans accent, un contact prolongé avec le même être l’a subitement enrichi. Le malheur de la vie moderne, c’est l’interruption perpétuelle des contacts. Les gens communiquent par traits et par points comme les appels télégraphiques, mais jamais par de belles lignes continues ni par de vastes épanchements. Ils sont électriques, ils ne sont pas fluviaux, alors comme ils bougent tout le temps, rien ne tient sur eux et ils ressemblent à Gribouille qui tirait sur les feuillets recollés d’un livre, sans leur donner le temps d’adhérer et de sécher. C’est pour cela que très pauvres, nous enrichirons la génération suivante. Nous muons sans arrêt, nous créons sans relâche, les débris s’accumulent autour de nous. Avec une dizaine d’accessoires de toilette, une femme du xviie siècle vivait pendant de longues années. Un jour suffit à dégoûter les femmes d’aujourd’hui du bibelot auquel leur quotidienne excentricité prête vie. Et quel curieux paradoxe de constater que la femme d’autrefois, amoureuse d’accessoires de luxe, en laisse très peu, alors que la femme d’aujourd’hui qui ne s’attache à rien, léguera des malles à la postérité. e6.1