— Fossile! Vieillard morose! Animal préhistorique! — Mais…. — Une bibliothèque est simplement, je répète simplement, prétexte à un ensemble décoratif, à une recherche d’atmosphère, et, par ces temps de crise du logement, une façon de croire ou de faire croire qu’on a des murs extensibles : il y a le boudoir, le studio, la bibliothèque, là où naguère il n’y avait que le salon. Vous me suivez…. — A travers les méandres de l’appar-tement ? — C’est-à-dire, à peu près, à travers les méandres de ma pensée; ne soyez donc pas paysan du Danube, je vous en prie! Et si vous le voulez bien, ne voyez pas les choses sous l’angle de la raison et de la pauvre logique tant indigne de nos magni-ficences modernes. Une bibliothèque, Mon-sieur, est par définition une salle où tout peut être indispensable, excepté les livres; la plus belle bibliothèque du monde n’a pas besoin de contenir un seul volume, vous m’entendez, pas un seul. Vous faites la grimace? Soit, je vais ajouter un corollaire à cette remarque : si d’aventure il y a des livres dans la bibliothèque, il doit être sous-entendu que ce sont des livres pour la forme, disons pour la parade, des couver-tures, des reliures, qui n’ont d’autre but que celui de divertir les regards par leur bigarrure chatoyante. Ces livres, imaginez-les un peu comme les cartonnages en trompe-l’oeil que l’on voyait sur certains bureaux de dame au XVIIt siècle, ou qui servaient à masquer des portes ou des placards. — Ah I — Je vois que vous avez enfin saisi : mais, mon pauvre monsieur, pourquoi vou-driez-vous qu’on eût des livres pour les lire, puisqu’on n’a plus le temps même de dîner! ou de dormir! Et si vous demandiez aux trois quarts des hommes de quoi pourrait bien se composer une brillante bibliothèque, ils vous répondraient : collection de journaux illustrés, de sports, de ciné, d’innovations scientifiques (ah! elle en prend une place cette T. S. F.; et ces perfectionnements de l’auto, si on veut être à la page, comme il faut les étudier par l’image)! Il y a évidem-ment l’Illustration et puis le Guide Michelin, et des cartes routières, et le Goncourt, cha-que année si lourd et si léger, et le prix décerné par ces bonnes dames qui décident si la Vie sera heureuse ou non…. Mais de cette bibliothèque quel doit être le cadre? Voilà d’une autre affaire. Et singulièrement difficile. Il est infiniment plus simple de composer une chambre à coucher, conjugale ou autre; même une salle de bains avec tous les conforts modernes. Quant au bar, rêvoir indispensable à tout homme bien né, son installation est d’une rigueur enfantine. Mais la bibliothèque! Songez donc qu’il s’agit d’un mensonge perpétuel, d’une sorte de voyage au pays de l’illusion. C’est un défi à la nature et, disons-le, au bon sens. Aussi, combien peu de bibliothèques pou-vons-nous citer qui soient dignes de leur nom ! J’en savais une, où deux meubles en acajou et ébène étaient faits de dispositions se contrariant (tout comme des caractères, ma foi), au centre de l’une, une porte pleine et 193