lisse, le chaud et le transparent, et le cassant et le velu ; voyez encore les papiers, du carton de toiture au papier à cigarettes, les fins, les rudes, ceux des paquets et ceux des livres, ceux des eaux-fortes et ceux des Bibles ; et les verres, du bibelot de cristal au hublot de tourelle cui-rassée… Et dites si, depuis l’âge des pierres et des peaux, l’homme n’a pas fait un miracle par jour? Admirable organisation de cette lente victoire I Pour chaque objet nouveau il fallait trouver la meilleure matière qui lui permît de remplir son rôle. Division du travail ; à chacun son costume ; comme aux figurants avant le défilé. Pinces d’acier, poêles de fonte, plumes d’or, bottes de cuir, souliers de satin… Oui, mais… Mais un beau jour les diverses matières du monde, s’étant concertées par une nuit sans lune, pendant que dormaient leurs maîtres, ont décidé de changer entre elles de rôles, pour autant qu’il serait possible. Mal contentes de n’être parfaites qu’à leur place, elles ont voulu s’essayer dans d’autres emplois ; ainsi la soubrette du répertoire, un beau jour, prend les atours de la grande coquette, et se risque à jouer à sa place. A vrai dire, ce n’est pas d’aujourd’hui que les matières jouent entre elles ce petit jeu de chassé-croisé. Mais c’est aujourd’hui sans doute, qu’il a été perfectionné, que ses règles ont été enfin approuvées par cette Fédération incon-nue de qui relèvent les jeux du monde. Et maintenant, le championnat se joue sous nos yeux, et avec quelle ardeur I.. Voici les meubles de métal ; voici les tables de verre, les armoires de cuir, les paravents en coquille d’oeuf, les ficelles en papier, les robes en perles, les perles en bois. Voici que des hommes ingénieux, pour orner le monde, ont cherché de belles formes, anciennes ou nouvelles, et de belles matières, elles aussi nouvelles ou anciennes. Demain peut-être, la pantoufle de Cendrillon ne sera plus, comme veulent les savants, de vair, mais bel et bien de verre, comme le disent les enfants, qui savent l’avenir. Et nos lits, amputés déjà de tout leur bois inutile ne seront plus qu’un cadre de tubes métalliques, cependant que, la laine des matelas dispersée, nous dormirons sur une toile tendue et élastique, semblable à la batoude des acrobates rebondissants. Qui peut savoir ? Peut-être dans dix ans le métal sera-t-il méprisé ? Peut-être un chimiste ou seulement le hasard aura-t-il fait venir au monde la matière encore inconnue dont nous ne sèntons pas même qu’elle nous manque ? Le verre fragile et dangereux fera peut-être sourire, comme l’épée flexible des Gaulois faisait sourire les Romains aux épées dures ?… Mais dans cette danse des matières, aujourd’hui, il ne s’agit pas de prévoir les prochaines figures du ballet ; seulement de danser celle du moment. Et aujourd’hui nous voici servis par ces deux matières extrêmes, le métal et le verre, dureté et fragilité, présence et absence, lumière et obscurité, fenêtre et porte, qui peuvent, sous des mains habiles, s’unir jusqu’à n’être plus qu’un corps, comme dans les vitraux des cathédrales ou dans ces verres que l’on a coulés autour d’une grille. Mais frères ennemis pourtant, et qui ne se rencontrent que par force. Il faudrait les réconcilier ; leur rappeler qu’ils sont de même sang, nés l’un et l’autre de la roche et du feu… Il faudrait leur apprendre à travailler ensemble, au métal fort et au verre frêle… Et voici que nous ren-controns un trou dans cette série des matières, voici que quelque chose tout de même, manque à l’homme, et c’est cette matière qui serait transparente comme le verre et dure comme le métal ; ce verre incassable, cet acier invi-sible qui peut-être, dit-on, existera demain… Ou mieux encore peut-être, ce verre qui serait souple comme une étoffe, résistant, incassable, qu’on tendrait comme un rideau sur le châssis des fenêtres, qui serait la plus mira-culeuse matière du monde à froisser entre les doigts, et qui ferait de si belles robes, si les femmes le voulaient bien… Si le verre, aujourd’hui, se montre volontiers et demande souvent du travail, n’est-ce pas un peu qu’il Rte