la comédie. Plus il y en aura autour de nous, plus nous aurons le sentiment d’une vie intense. C’est ce qu’ont si bien compris ceux qui ont fait des meubles en métal où notre visage s’accroche au milieu des points d’or de la lumière, ceux qui ont multiplié dans les pièces où nous tenons salon, où nous prenons quel-que repos, les surfaces unies et réfléchis-santes. lls ont voulu nous donner un spectacle avec nous-mêmes comme vedettes. Une maîtresse de maison digne de ce titre ne sau-rait négliger, lorsqu’elle donne ses soins à son ameublement, cette connaissance du miroir et des miroirs. Elle disposera, comme il convient, çà et là, pour ses amies, les glaces qui permettront de se rectifier la position d’un chapeau ou le pli savant d’une écharpe, mais elle ne tolérera point qu’il y ait dans une pièce d’attente l’indiscret témoin de la fuite des heures. Elle bannira la pendule et le miroir des coins intimes où la conversation doit se pro-longer, du boudoir, et même de la chambre. Elle prodiguera au contraire, les miroirs par-tout où les gens seront groupés, partout où elle pensera qu’on peut suppléer à la défi-cience du plaisir par cette sorte de représen-tation théâtrale et gratuite que les miroirs proposent à notre ennui. .*. Le miroir ne s’accorde plus à notre gôut des voyages. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur nous. Alors que nous rêvons de laisser d’hôtels en hôtels des parties de nous-mêmes, que nous payons, avec notre note, la peau neuve que nous étions venus chercher dans ce Palace, le miroir nous oblige à fermer nos ailes. Il nous remet de force dans notre prison. Les miroirs avec leur profondeur, la fantaisie des clartés qui s’y jouent, sont des kaléidoscopes pour sédentaires. Qui de nous ne se souvient d’avoir, étant enfant, mis son oeil au trou de cette lunette merveilleuse au bout de laquelle des verres multicolores teignaient l’horizon ou dessinaient des paysages de rêve? Ainsi les miroirs qui, selon l’expression des poètes, sont des lacs, offrent à l’imagi-nation des vagabondages en chambre. Il suffit de quelques épaules nues, de quelques arrangements lumineux, d’un fond de verdure, d’une porte ouverte, pour que la glace im-mense soit la scène où se joue, au pays de l’enchantement, un ballet. Vous étiez, si vous voulez bien faire quelque effort, dans le pays du silence, des formes passent, des gens ouvrent la bouche, aucun son ne sort. Sur le bord du monde réel, vous allez fran-chir le court espace qui vous sépare de l’univers. Vous redevenez un enfant, un petit enfant qui croit que les images reflétées et la sienne propre sont celles d’une autre demeure et d’une autre personne…. Vous êtes prêt à vous en aller chez les fées qui, on le sait, ont des palais dont les murs sont de glaces magiques…. Cagliostro prétendait montrer dans un miroir l’avenir à qui sollicitait ce dangereux avantage. On dit même qu’il y réussissait 239