Il I 0 41111PIR 4111111■ m. 1 faut beaucoup de courage pour s’arrêter devant un miroir. Presqu’autant qu’il en faut pour rester en tête à tête avec soi. L’homme moderne qui mène de front, avec la même ardeur, les travaux et les plaisirs, n’a ni le temps de se confesser à soi même, ni le temps de se regarder dans une glace. Je suppose même qu’il aurait peur de cette con-frontation morale et physique. Nous vivons tous plus ou moins dans l’illusion d’une âme dont, une fois pour toutes, nous avons com-posé le secret, et dans la vision du visage de notre vingtième année. Je sais des hommes qui sont devenus chauves à quarante ans et qui, d’un geste machinal, chassent une mèche, qui fut rebelle jadis, de leur front poli. J’en sais d’autres qui croient, de bonne foi, que leurs yeux sont restés bleus, et qui s’étonnent qu’une femme les proclame verts. Ainsi Dorian Gray gardait toute la fraîcheur de sa jeunesse sur ses joues et ne voyait que sur son portrait les traces de ses nuits moroses et de ses divertissements vénéneux. Le miroir est sans pitié, sans explication, sans nuances. Il a la rude franchise du frère 23S brutal et qui vous dit : « Tu as vieilli… Tu as mauvaise mine… Tu deviens gros… ». Il peut donner des conseils aux femmes. Il n’en donne point aux hommes qui n’ont ni le loisir, ni la prudence de l’écouter ; un coup d’oeil, une réplique terrible, un haut le corps et l’homme passe… Dorénavant il se méfiera de son reflet. Pour remédier à ce malaise que le miroir provoque, il y a les miroirs. S’il est désa-gréable de se voir seul dans l’ovale de la psyché ou dans le rectangle de l’armoire à glace, il est plaisant de voir son image répétée à l’infini, de marcher dans un couloir de glaces, de s’asseoir dans un café où toute la vie se double ou se triple, où les mille chatoiements de l’atmosphère se reproduisent féerique-ment. Ce n’est plus soi que le miroir reflète, soi seul et la misère de cette solitude, et la vérité de ce moi, c’est soi et ce qui l’entoure, c’est l’homme dans son milieu, dans la vitesse accélérée de son rythme, dans son tourbillon, l’homme « couvert de femmes », l’homme buvant, l’homme discutant d’une affaire. Un miroir, c’est la confession, et dix miroirs c’est