effeuillent l’aile des cygnes pour savoir si on les aime à la folie. L’heure est venue de fuir la ville. Votre coeur est plein de désirs champêtres. Vous avez envie de mettre des cerises à votre oreille, d’écraser des mûres sur votre sourire, de boire de l’eau claire au creux de votre main, autant d’envies qu’il est difficile de satisfaire à Paris, même un dimanche. Partons. Allons réaliser ce rêve héroïque et brutal dont tous les citadins sont ivres : déjeuner à la campagne 1 Mais assez de ces auberges où l’enseigne et la chère datent de Guillaume le Conquérant et oit seuls les prix portent la marque de la fraîcheur et du progrès ; assez de faux meubles rustiques, de faux bahuts campa-gnards, de faux coucous, devant lesquels on vous sert, sur le coucou de deux heures, des mets ingrats. Nous allons aller déjeuner en pique-nique avec tous ceux de nos amis qui ont des voi-tures moins fortes que la nôtre . Nous partirons à l’aube, de façon à être vers midi aux confins du monde civilisé, et, quand nous aurons enfin trouvé un site vierge comme on ne l’est plus qu’en province, notre caravane s’arrêtera et du coffre de chaque auto surgira le même paté, la même bouteille, le même gâteau. Mais, puisque nous savons ce qui arrive-rait si chacun appliquait ses propres idées 13S sur le ravitaillement en campagne et que notre déjeuner aurait l’air d’une cérémonie à la gloire du pâté, d’un festival de la tarte aux quetsches, nous chargerons chacun du soin d’apporter tel ou tel mets. Du filet d’anchois au cham-pagne, tout sera réglé suivant les ressources de chaque convive, les aptitudes de sa cuisinière et les capacités de sa voiture. Ceux qui ont une conduite intérieure qui chauffe se verront refuser le privilège d’apporter les crustacés et les viandes froides. On leur attribuera les Bourgognes, Bordeaux, pour qu’ils arrivent chambrés et la chicorée pour ne pas qu’elle se refrise. Quant aux maladroits, ils n’auront besoin de se charger de rien. On laissera au cheptel national le soin de les pourvoir en route de poulets et de petits cochons. Mais je songe soudain combien le monde est mal fait. Il y a des îles lointaines que la Providence a placées au milieu des océans pour le bien des naufragés et oit la table est mise à toute heure. L’arbre-à-pain, l’arbre-à-lait , l’arbre-à-fruits, l’arbre-à-homard-à-l’américaine vous y fournissent des repas complets sans que l’on ait à se pourvoir de rien. Mais dans ces pays de cocagne il n’y a pas la moindre automobile, premier élément d’un pique-nique. Par contre, sous nos climats, oit la traction mécanique est si développée, on chercherait en vain par nos prés et nos forêts, quelque chose de comestible. JAMES DE COQUET.