la culture physique. Ainsi ton goût doit épurer tout ce à quoi il s’applique. Ne crois pas qu’il est des exceptions à cette règle d’harmonie. En gastronomie particulièrement, elle règne avec une inflexible rigueur. Fuis la complication. La grande cuisine est simple. Je ne veux pas dire facile. Le premier gâte-sauce venu fera paraître sur ta table des architectures compliquées. Ce ne sera rien pour lui que d’aligner des colon-nades de foie gras sur des péristyles d’écre-visses, d’unir la truffe à la sole, au sein d’un monument culinaire oû des ex-voto de cre-vettes se suspendront à des ogives de purée de pomme. Mais l’habile homme qui sait griller un steek, flamber une bécasse, et qui porte à son point de perfection la vieille pomme bonne-femme, de nos aïeules, celui-là est difficile à trouver. Veille à ce qu’une loyauté parfaite règne à ta table. Valère qui m’invita récemment montre une gloire inconcevable de ce que les convives hésitèrent tout au long d’un repas, à nommer les choses qu’ils mangeaient, et ne purent se mettre d’accord sur rien. C’est peut-être très fort : fuis, néanmoins, ces acrobaties. J’aime que le boeuf se proclame boeuf, et le chapon, chapon. Vous m’offrez d’un turbot et il est si bien emberlificoté dans un coulis d’oeufs et de fromage que je le prends pour un soufflé : grande merveille ! Le classique turbot sauce mousseline qui veut la fraîcheur absolue du beurre, l’énergie d’un savant court-bouillon et un poisson fraîchement pêché est autrement savoureux ! Ceci dit, sois modeste. Sache qu’une cave 154 ne saurait s’improviser. Si tu n’en as pas hérité d’une, résigne-toi : les très grands vins te demeurent un temps interdits. Je t’enseigne-rai des sources où t’approvisionner. La chasse aux crus est aussi passionnante que celle aux objets d’art. Je connais un amateur patient qui depuis onze ans, est à l’affût d’une cave qui se vendra peut-être un jour. Il appointe des gens qui le renseignent. Il palpite, il espère, a craint, a vit. En attendant ces rares aubaines, acquiers et fais vieillir tes vins. Laisse-là les marchands qui ne sont que les intermédiaires des gens pressés. Ta voiture te conduira en quatre heures à Vougeot, en un jour à Pauillac et tu auras même le temps de t’arrêter trois heures à Vouvray. Tu verras combien le commerce est aimable avec un vigneron sur sa vigne. Connais-tu la vente de Beaune, qui se fait en Novembre ? C’est une magnifique céré-monie dans le cadre admirable des hospices célèbres. Cuisine simple, vins loyaux… quoi encore? Le cadre où tu manges ? J’espère que tu y as songé. Je veux que là encore triomphe ce doux équilibre dans la simplicité qui est la marque des intérieurs modernes. Ta salle à manger, qu’elle soit la plus claire des pièces de ta maison. Qu’y triomphent les surfaces sans ornement superflu, les beaux plans, les lumières égales. La netteté de tout doit y provoquer l’appétit. Sur la table n’abuse pas de l’accessoire inutile et utilise l’argenterie avec discrétion. Songe qu’il est des porcelaines de pâtes si tendres et si pures qu’elles doublent le plaisir qu’on a d’y déguster d’excellentes préparations. Mais ne proscris pas pour cela