CONSEILS AU GASTRONOME PAR PIERRE SCIZE JE ne suis pas si jeune que je n’aie gardé mémoire de cette époque où, en France sa patrie, la gastronomie subissait une éclipse à peu près totale. C’était vers le début du siècle, c’est-à-dire à une époque qui nous parait la plus ridicule du monde. En ce temps là le sacro-saint régime sévissait. Les recettes de Carême étaient délaissées pour les ordon-nances de Diafoirus. Sombres jours ! La  » carotte Vichy  » paraissait dans sa gloire sur les tables enlacées par les végétations de l’Art Nouveau. Les pâtes à l’eau avaient leurs fervents. On remplaçait le café par l’orge grillée, le pommard par l’eau bicarbonatée et la suave joue des pèches, velours végétal, chef-d’oeuvre d’une palette divine, abdiquait devant la molle et suante horreur des fruits cuits. Je ne parle que pour mémoire des trois ou quatre petits flacons que chaque convive bien élevé se devait de sortir au début des repas, avec leurs poudres, pillules, cachets, dont on se repassait avec gravité les noms et les indications thérapeutiques. On se soignait avec ivresse, avec fureur. Il y avait des mala-dies à la mode et l’appendicite passait pour un signe d’aristocratie. Dieu merci, ces temps sont loin. Ils ont disparu avec les équipages, les chignons, les dames à corsets et les séducteurs moustachus. Désormais un gastronome n’est plus considéré comme une variété d’ivrogne. On l’accueille, on le recherche. On a si bien fait qu’on a créé le gastronome professionnel qui tire ses ressources de son palais et de son gaster. C’est peut-être exagéré. Mais cette exagé-ration là vaut mieux que l’autre, en ceci qu’elle suit les voies de la nature. L’homme, carnivore délicat, n’a point été créé pour se nourrir de produits chimiques. Cette simple vérité est aujourd’hui à l’honneur, mais un des travers de notre nature est de toujours passer outre à la raison dans une direction donnée. Et bientôt a conviendra de se montrer sévère pour les gens qui se désal-tèrent avec des cocktails, ne peuvent s’alimenter sans truffes ou sans foie gras, et s’abreuvent de Corton ou de Romanée avec un enthou-siasme de commande. Si l’on continue dans ce sens la cyrhose du foie, le rhumatisme articulaire, la goutte et ses succédanés deviendront l’apanage des gens à la mode. Trop est trop. ■ Si j’avais à faire l’éducation d’un jeune homme en ces délicates matières, je ne man-querais pas de lui tenir ce discours. — Souviens-toi qu’ici comme ailleurs, la simplicité est ta loi. Ton tailleur te vêt de lignes nettes et sobres. Ton carrossier a donné à ton coupé un profil pur. La femme que tu aimeras n’aura soin que de parer strictement un corps simplifié par le sport et 123