LE ROSSIGNOL ET LA ROSE j’habitais jadis en Provence, aux portes de Cannes, un jardin merveilleux ois les orangers, piqués sur l’herbe tendre. s’éparpillaient jusqu’à la mer, A cette époque, je n’étais guère plus haute qu’un rosier nain, mais déjà mon indépendance s’affirmait. Assise à califourchon sur la branche la plus fourchue de l’arbre virginal, j’attendais que le mistral daigna faire rouler à mes pieds une orange m-Cire, Seule, mon hôtesse, la Duchesse de Doudeauville, parvenait à me faire descendre de mon perchoir, Elle m’enseignait alors deux choses : à barboter de l’aquarelle et à faire des révérences, Cette vieille dame d’autrefois traitait les petites filles en grandes personnes : à peine tenais-je mon pinceau, je ne savais ni lire ni écrire, peu lui importait ! Malgré ma maladresse, la leçon continuait, Patiente, elle m’apprenait aussi sa façon ingénue de styliser les roses, s Regarde, disait-elle, tu dessines un coeur »., Sa jolie main traçait sur le papier une arabesque, s De chaque côté de ce coeur, reprenait-elle, tu entrelaceras deux_ lèvres purpurines, et de ce baiser compliqué naîtra une fleur d’une ravissante simplicités. Ainsi mon professeur me faisait deviner le langage des pistils sages et des folles corolles. Plus tard, négligeant l’Europe, c’est en Asie que j’ai recherché, parmi les faïences persanes, cette fameuse rose que mes doigts d’enfant avait découverte dans le jardin recueilli, A Chira,.., k ville turquoise, j’ai cueilli sur la tombe de Hafiz, la fleur chérie, la fleur préférée du poàte persan, dont- les pétales ont goût de miel, Là-bas, lorsque le soleil caresse les coupoles, les amoureux, cage en main, se promènent, Ils apportent délicatement au poète muet leur rossignol chanteur. Assis en rond autour de la tombe, le concert commence. Les oiseaux rivalisent, éperdus de jalousie, ils gazouillent à la rose que Hafiz chantait des vocalises savantes et passionnées. L’amour sans la science, nieme en Perse, serait bien monotone, n’est-ce pas Les fleur fanées accompagnent nos souvenirs et un parfum qui passe ressuscite les paysages oubliés, Emportée par une automobile de- course, j’ai traversé en zig-zag la vallée des roses, celle qui mène directement. à Sofia, Cette vallée sentait le harem il plein nez, Des roses, des roses, il y en avait tant et tant, répandues dans les champs pourpres, que toutes les rosières de France auraient pu etre couronnées, Leur serpette la main, les jolies filles ahuries regardaient la voyageuse s’éloigner ; puis, d’un geste antique, elles dépouillaient les rosiers ténus. jolies filles, votre cueillette ligotée sur le dos d’une bufflesse, balancée au fond d’une caravelle, embaumera la maison d’une belle égyptienne cloîtrée, En Orient ou Paris, les femmes ignorent l’art précieux de composer un bouquet, peut-être parce qu’elles aiment trop les fleurs et ne savent pas lesquelles sacrifier, Un ‘bouquet Lien ordonné n’est-il pas fait de .sacrifices ? j.-E. BLANCHE transpose les siens mieux que Fantin Latour lui-même, Avec quelle adresse, 102