CLAUDE PARENT SCHAROUN OU L’ESPACE DYNAMIQUE LES critères de jugement restent à inventer pour pénétrer dans l’univers de Hans Scharoun. Car ce qu’il est convenu d’appeler la pratique de l’analyse critique en architecture contemporaine ne permettra pas d’en franchir le seuil et ne se heurtera jamais qu’à la confrontation des zones périphéri-ques et artificielles de l’esthétique. S’attachant aux premières intentions, aux premières prises de position de Scharoun aux alentours des années 20, on aurait tendance à faire de l’expressionnisme la clé de son oeuvre. Analysant scrupuleusement la formulation plastique, on risque-rait d’être entraînés vers le baroque. Or l’oeuvre de Scharoun ne se réfère ni à l’un ni à l’autre de ces mouvements de pensée. Expressionnisme et baroquisme sont chez cet architecte des épiphénomènes, des apparences, des facettes superficielles auxquels il faut bien se garder de s’intéresser. Lui-même s’en défend farouchement, non pour renier certaines origines théori-ques ou certaines inclinations naturelles, mais pour prendre une distance vis-à-vis de l’anecdote, la distance que doit prendre l’architecture vis-à-vis de la mode. C’est dans cette distance intransigeante que se définit Hans Scharoun. Pour définir son oeuvre on ne peut qu’employer le mot rêve. Le miracle réside donc dans le fait que cet architecte, âgé et retiré, coupé même volontairement du monde de l’architecture pendant la longue et tragique période de 1939 à 1945 ait pu bâtir son rêve. Pour qui connaît le climat hostile, les circonstances défavorables qui tout au long du XX’ siècle ne cessent de contrain-dre l’architecte, il est possible de mesurer la somme de foi, d’obstination et de courage que ce résultat suppose. Sans entrer dans une étude analytique de caractère, nous pouvons cependant affirmer que c’est de cette conjonction de certitude absolue et de modestie apparente qu’est né le carac-tère le plus fondamental de l’oeuvre : le goût de la non-évidence du plan. Entendons même que cette non-évidence du parcours, cette recherche d’un plan à découvrir, ce souci de rendre sa lecture difficile dans sa réalité peut aller dans certains exemples jusqu’à la dissimulation. Dans les espaces intérieurs, on arrive quelquefois à une telle complexité du parcours et des circulations que l’at-tention de l’homme y est obligatoirement en état d’alerte perma-nente. On doit penser que cette volonté chez Scharoun n’est ni artifice, ni contrainte. Cet architecte a suffisamment donné de gages au monde naturel, à l’esprit organique et à l’homme pour qu’on ne lui fasse pas grief de fausses intentions. Organique, il veut bien l’être au sens où il ne s’agit pas d’orga-niser, mais de mettre en place des polarités autour desquelles tout prolongement d’une des parties est organiquement reliée au tout. Ce qui permet d’individualiser chaque partie, puisqu’elle reste inserrée dans une hiérarchie fondamentale. Hiérarchie et individuation en simultanéité s’accommodent fort bien de la volonté de non-évidence du plan. Qu’elles soient moteur ou conséquence l’une de l’autre, hiérarchie, individuation et dissimulation aboutissent automatiquement à l’éclatement de la forme. Cet éclatement, cette dissociation nous les voyons aug-menter au fur et à mesure du développement de l’oeuvre. Et si quelques dessins conservaient encore à l’origine certaines formes globales homogènes, on voit bientôt disparaître l’objet au bénéfice du seul paysage. Et même la prise en considération du relief naturel aboutit à un complexe nature-architecture dont la globa-lité est le résultat de l’intégration d’une suite de formes associées naturelles et artificielles. Le labyrinthe, dans sa conception mythique, trouve chez Scha-roun une concrétisation précise, sorte de limite de l’éclatement 38 formel. Il s’agit de prendre le négatif de la construction organique des polarités et de composer en périphérie d’un noyau creux ; vide chasse la polarité, et refuse la contraction interne. Il y a au contraire développement et utilisation des « franges ». D’où l’emploi fréquent de la réponse du concaveau de cettepar enchainement opposé. L’exemple le plus frappant spatialité se rencontre dans les immeubles « Roméo et Juliette » à Stuttgart. Mais si l’on analyse sous cet aspect les plans de masses de Scharoun, on s’aperçoit vite qu’ils se présentent eux aussi comme des confrontations linéaires de franges. Ce refus du noyau, ce refus de la densité du centre, du pivot, cette recherche vers l’espace en tension négative, s’accompagne d’un déclenchement formel agressif dirigé vers l’extérieur. Car nous ne ferons pas l’injure à Scharoun de parler à son propos de vocabulaire architectural ; quand on voit la désinvoltuure avec laquelle il traite certains détails, ou bien au contraire avec laquelle il met le point d’orgue sur un élément en apparence insolite et intégré, on ne peut se permettre de parler de vocabu-laire formel. Toute forme épidermique est volontaire et se présente non seulement comme le prolongement de l’espace dynamisé interne (balcon), mais se réfère à l’organique du tout et l’exprime, l’achève, le rend lisible visuellement pour le spectateur. La répétition, le déclenchement de formes similaires lachées par saccades, syncopées, n’ont rien à voir avec l’art baroque, où l’exaltation du détail prend le pas sur la lecture de l’ensemble et le recouvre. Dans l’apparence de libération expressionniste de la forme, il n’y a ni anarchie, ni illogisme. Une discipline très stricte. très hiérarchisée qui refuse l’obédience esthétique, préside à la mise en place du tout et des parties, contrôle avec précision, méticuleusement même le romantisme latent dans son exal-tation Tout ceci est très apparent dans la réalité, mais se rencontre de façon claire dans le dessin même des plans. La fermeté des contours des formes libres, les imbrications graphiques, les réponses formelles d’un tracé d’espace à un autre, la modification quelquefois permanente et successive d’une forme, donnent à ces plans d’architecture une expression et une beauté remarqua. bles. Nous nous trouvons dans la grande tradition du dessin d’ar-chitecte, lorsqu’il devient une géométrie propre à l’auteur avec ses lois et ses règles. Celle-ci refuse tout systématisme, toute sécheresse de forme, et dans sa traduction technique même, reste expressive et donne un démenti flagrant à ceux qui voient dans le dessin ia malédiction de l’architecture et n’ont foi qu’en l’étude directe du volume survolé. Mais si le dessin est lisible graphiquement et si sa transposi-tion volumétrique est instantanément préhensible, s’il existe une interdépendance absolue entre le tracé à deux dimensions dans son expression graphique et sa traduction spatiale dans la réalité, faut cependant affirmer que chez Hans Scharoun le « dynami-que » est intégrée à la notion de surface. Elle reste ancrée au sol et se traduit avec beaucoup moins de force et d’intensité dans les volumes. On pourrait presque dire que la magie du plan tue le volume. Nous n’en voulons voir pour exemple qu’une certaine faiblesse (par rapport aux plans) d’impulsion dans les coupes du théâtre de Mannheim, projet dans lequel le survol de la maquette ne donne plus la notion de cette exceptionnelle force centrifuge de distribution des volumes à la périphérie propre au génie créate de Scharoun. On peut affirmer que cet architecte, un des plus ar’he créateurs de notre époque, reste, par cafte impc,z_hilii3