D’autres projets de concours pour la reconstruction ou la création d’ensembles nouveaux, dans lesquels chaque problème particulier était toujours abordé dans son essence même par une recherche fondamentale, eurent une grande influence sur le déve-loppement de la construction, bien que cette recherche soit assez différente de ce qu’il est convenu d’appeler l’ « architecture moderne ». « Mais que signifie le mot de moderne ? C’est d’abord un syno-nyme de contemporain, par rapport à l’homme, ou de conforme à l’époque, si l’on se réfère à celle-ci. Cependant, le « moderne » renferme aussi une part d’ « éternel », mais uniquement en ce qui concerne le comportement et non pas le produit : la forme (Gestalt). Le moderne contient donc en même temps la tradition, dans ce qu’elle a de vivant… La caractéristique du paysage spiri-tuel peut être dynamique ou statique, cette diversité est généra-trice de progrès. C’est elle seule qui peut activer les forces et dépasser les rapports d’opposition. » Par suite de la situation politique de l’après-guerre en Alle-magne et notamment à Berlin, un grand nombre des projets de Scharoun restèrent d’abord à l’état d’études théoriques et de médi-tations. « Le développement en surfaces de la ville et ses rapports avec l’environnement selon des principes nouveaux d’ordre ont conduit à aborder /e problème d’un point de vue essentiellement technique et économique portant en lui maints signes de sclérose déjà apparents. C’est une conception additive et non pas dyna-mique. Il s’agit en dernière analyse du développement de l’homme politique (zoon politikon) en rapport avec une forme politique des constructions et des structures. L’essence de l’homme c’est d’être libre, de sorte que ses actes ne sont pas a priori déterminés exclu-sivement par des lois, même si des lois sous-jacentes, écono-miques par exemple, concourent à définir l’individu et la collec-tivité. En fait, ce qui est déterminant pour la planification urbaine, — pour la structuration politique de l’homme et de la cité, —c’est la façon d’envisager l’interaction entre ces deux plans. La structure de la société est en constante évolution. Elle ne forme pas avec l’homme un système stationnaire et qui se répète. Cela est vrai tout particulièrement en ce qui concerne la dynamique de la révolution industrielle et scientifique de ces dernières dé-cennies. Le développement unilatéral considérable de la science et surtout le fait que nous ne saurions en prévoir l’évolution future, rendent plus difficiles les tentatives d’harmonisation du rationnel et de l’irrationnel et donnent même à la tendance ration-nelle de notre époque une prédominance dangereuse. La question se pose de savoir si à l’avenir les décisions seront prises sur la base de l’homme ou sur celle de l’idée… » Le travail de Scharoun est une démonstration permanente de la façon de créer un bâtiment à partir de l’essence d’un paysage et en fonction des nécessités sociales. Ses projets et constructions d’écoles en sont la vivante illustration. Les écoles, beaucoup plus que les théâtres et autres édifices culturels, sont fréquentées obli-gatoirement par tous les citoyens. De même que les programmes d’enseignement sont adaptés au développement de l’enfant, la salle de classe doit s’y conformer et le favoriser. Il n’existe pas d’espace « neutre ». Il se rapporte toujours à quelque chose et à celui qui y pénètre. Kant a dit : « L’espace est une forme de conscience. » Cette phrase était inscrite en tête du projet de Scharoun pour l’école primaire de Darmstadt (1951). Parmi les bâtiments scolaires conçus par Scharoun au cours des quinze dernières années on retiendra notamment, outre l’école primaire de Darmstadt déjà citée, le lycée de filles Geschwister Scholl à Lünen (1962) et l’école primaire de Marl encore en cours de construction. En dehors des très nombreux collaborateurs qui ont connu Scharoun et travaillé dans ses bureaux, des centaines d’étudiants ont suivi ses cours et participé à ses séminaires à l’Académie de Breslau (jusqu’en 1932), à l’Institut d’Architecture de l’Académie des Sciences à Berlin (jusqu’en 1950) et à l’Université Technique de Berlin (jusqu’en 1960) dont il avait été, en 1946, l’un des fondateurs. Ses méthodes d’enseignement sont toujours basées sur une coopération amicale avec ses élèves. Il illustre ses cours, constam-ment renouvelés et élaborés en partie dans des séances de travail collectives, de centaines d’esquisses rapides servant à rendre visibles ses concepts et ses idées. Très souvent des invités, archi-tecte connus ou fonctionnaires des services municipaux de cons-truction, prennent part aux débats. Il s’emploie à la définition en commun d’une représentation des « processus vitaux » dont il s’agit ensuite de rendre conscient le grand public. Dans le prolongement du quartier de la Siemensstadt Scha-roun eut l’occasion en 1955 de développer des conceptions d’urba-nisme qui, entre temps, s’étaient concrétisées à la faveur de son travail pour Berlin-Friedrichshain (1947-49). Après une analyse systématique de la structure et de l’évolution probable des familles berlinoises et des lieux de travail, menée avec son équipe de l’Institut Universitaire, Scharoun créa ce qu’il appela un « Wohngehtift » (parc d’habitation), c’est-à-dire un ensemble représentatif groupant tous les éléments composant une grande ville. Par ailleurs, le plan prévoyait la différenciation des axes de communication, l’humanisation des voies express et l’interpéné-tration des zones de détente, d’habitation et de travail. La réali-sation en est restée inachevée mais il ne fait aucun doute que le concept lui-même a reçu ici justification. Les immeubles-tours « Romeo und Julia », « Salute », ainsi qu’un ensemble d’habitation construits dans la banlieue de Stutt-gart, entre 1955 et 1967, avec des moyens financiers beaucoup plus considérables que les « parcs », apparaissent encore plus différenciés que ceux-ci. Les ateliers surtout, installés sur les toits en terrasse des tours, donnent l’image de cette diversité dont Scharoun se préoccupe constamment. La salle de concert de la « Philharmonie » qui se trouve au coeur d’un vaste complexe culturel près du Tiergarten, à Berlin, pour lequel Scharoun a également conçu la Bibliothèque d’Etat (en construction) et un centre d’accueil (encore en projet) est universellement célèbre. « La musique au centre de l’espace comme de la vision, c’est là l’idée conductrice d’où est issue la forme de l’ensemble. La salle reste l’élément principal du bâtiment. Elle en détermine l’aspect extérieur ; de sa forme résulte ce toit en pente qui traduit au dehors la nécessité acoustique de sa couverture. A cela s’ajoute le dynamisme de l’espace intérieur qui trouve son expression dans le groupement des places. Cette dynamique détermine également la configuration des annexes… » Même lorsque Scharoun doit tenir compte d’un contexte his-torique, comme c’est le cas dans son projet de reconstruction de la Mehring Platz (en cours de réalisation), il lui donne un contenu nouveau — en l’occurrence le concept d’une sorte de « foyer urbain », un espace réservé aux rencontres et aux loisirs des citadins. Ce concept sert également de base à son plan pour le foyer du théâtre de Wolfsburg et pour la reconstruction, autour d’une église dont il est le créateur, de la place Viktoria Luise. « L’espace de loisirs doit être empreint du pouvoir d’évocation et du sens dont est chargé l’idée de loisir. Nous n’entendons point par là l’oisiveté, mais le loisir libre, créateur. La notion de « loi-sirs dirigés » tue toute possibilité de solution vivante… » A Scharoun également a été confiée la construction de l’am-bassade d’Allemagne à Brasilia. Mais, à travers la diversité de ses réalisations, on aperçoit un certain nombre d’idées fondamentales : la notion de « cohabitation sociale », celle du danger de la plani-fication à outrance, destructrice de toute liberté et de toute indi-vidualité, que comportent les techniques nouvelles de construc-tions « en série » et « préfabriquées ». Enfin, pour lui, l’architecte « doit s’intéresser non seulement à la pratique mais aussi à la théorie. Aujourd’hui, devant un univers matériel de plus en plus complexe et devant la transfor-mation radicale de toutes les valeurs, l’architecte dépend tout autant de la science que tout homme pour qui la société n’est pas un objet de consommation, mais la vie même ». Klaus-Jacob I I: 11