TOM WESSELMANN. Tom Wesselmann appartient à la fraction américaine du Pop Art qui se réclame du • New super realism » (Nouveau super réalisme), le terme • pop » étant controversé par les exé-gètes du mouvement. Montré dans l’optique de Paris, l’art de Wesselmann produit l’effet d’une irruption incongrue dans notre conscience esthé-tique; il nous dépayse au même titre qu’il apparaît dépaysé chez nous, par son absence de racines communes avec toute forme de l’art européen. Wesselmann se situe déjà au-delà de Jasper Johns et de Rauschenberg, chez les-quels étaient encore reconnaissables des traces de l’expressionnisme abstrait gestuel et du sur-réalisme. Bien que Wesselmann ait admis avoir trouvé la motivation de sa démarche dans l’oeu-vre de De Kooning, il est clair qu’on ne trouve chez lui aucune nostalgie du passé antérieur de la peinture contemporaine. Sa façon, com-mune à quelques autres, de couper tous les ponts devant soi et derrière soi, correspond à la volonté implicite de créer un art non-subjectif, réaliste si l’on veut, mais se gardant d’aucun expressionnisme, et surtout, essentiellement dé-pourvu d’humanisme. Les peintures et les reliefs peints de Wesselmann, les deux genres se con-fondent, provoquent un impact visuel par la présence d’une image isolée de grande échelle, ou de plusieurs images ou objets rapprochés, appartenant à l’environnement quotidien le plus banal ; ces images ne devraient donc pas nous surprendre; ce qui déroute, c’est d’être obligé de prendre parti instantanément. En général, l’artiste effectue une transposition du réel qui permet au regardeur d’insinuer sa propre intui-tion dans !es différentes interprétations possi-bles d’une oeuvre d’art, figurative ou non. Wes-selmann ne fait aucune avance à notre sensibi-lité quand il nous propose l’image d’une Volkswa-gen grandeur nature, flanquée d’un arbre factice et d’un arrière-plan lointain où se devine une famille sur une plage, ou bien celle de la salle de bains avec femme nue, de face, en train de s’essuyer ; les êtres sont fictifs, mais les objets réels. Qu’a voulu l’artiste? Sans doute provoquer en nous le réflexe d’une association d’idées, l’auto de série signifiant la promenade du dimanche, la salle de bains, l’hygiène pour tous. C’est tout. A l’instantanéité de l’image, doit répondre l’instantanéité de l’interprétation automatique, devenue telle par l’efficacité de l’imagerie com-merciale obsessionnelle. Dans la civilisation matérialiste de l’Américain moyen des grandes ville, les produits de consommation (même la femme sophistiquée des magazines publicitai-res) tendent à remplacer les objets rituels des civilisations primitives. L’artiste ne va même pas jusqu’à cette implication philosophique; il uti-lise des objets réels parce que c’est chez lui un besoin, il trouve simplement que • toute peinture est un fait, et cela suffit ». Le concept d’une présence physique accrue de la peinture par la transcription radicale, peut paraître nouveau si l’on admet qu’il n’a jamais été poussé aussi loin ; il l’est moins quand il tombe dans le naturalisme. Les peintures récen-tes de Wesselmann s’agrémentent de recherches décoratives originales qui laissent entrevoir que l’art intégralement temporel ne peut pas se nourrir exclusivement de lieux communs. (Galerie Sonnabend.) S. F. BERNARD POMEY. L’exposition rétrospective que le Pavillon de Marsan vient d’offrir à Bernard Pomey montre le développement d’un jeune peintre qui n’a pas cherché à se faire connaître par les moyens habituels que l’on connaît: l’originalité ou la provocation. Débarrassé de ce ruineux souci d’attirer l’attention par tous les moyens, Bernard Pomey se trouvait mieux armé pour se consa-crer à la peinture. Son évolution est celle d’un homme qui réflé-chit à ce qu’il fait et ne s’engage définitivement dans une voie qu’après avoir exploré beaucoup d’autres possibilités. La mort qui est venu I, arrêter dans sa recherche donne à ses der-niers travaux une importance particulière, elle retient l’attention et souligne en quelque sorte sa dernière volonté. Ce qu’elle met en lumière, c’est une prédilection ou si l’on veut une fixa-tion sur le lyrisme et sur son expression dans le mode abstrait. Il ne fait pas de doute que Bernard Pomey a toujours marqué un penchant pour le mysti-cisme. Sa vie témoigne d’une suite de remises en question aussi bien de sa vie personnelle que de son oeuvre. Mais ces différents essais sont toujours allés dans le même sens. Au départ, il hésite entre la peinture et la musique et, par le choix qu’il fait de la pein-ture, il donne tort à Maine de Biran qui esti-mait que le sens de l’ouïe était plus intériorisé que celui de la vue. Il donne, par contre, une confirmation de ce que la biologie pense avoir découvert, à savoir que l’oeil est directement relié au cerveau et que voir, c’est en quelque sorte penser directement. Choisir l’art qui relève de la vue, ce n’est donc pas se laisser aller aux fantaisies de l’imagination comme on l’a cru pendant si longtemps mais faire un pas vers la profondeur. Le mouvement de la pensée est également chez lui révélateur d’une recherche de l’inté-riorité. Au début de sa carrière, son mysticisme le rapproche plutôt de Ruskin (et même de Ghandi) : c’est, en effet, l’artisanat qui par sa mcdestie, par l’appel qu’il fait aux realités quotidiennes, par son inscription dans une perspective à la fois sociale et individuelle, c’est l’artisanat qui lui paraît le mieux remplir le rôle d’une recherche de qualité dans le mon-de moderne. Mais on en revient toujours à la mystérieuse et inexplicable parabole de Marthe et de Marie. La meilleure part n’est pas là. Bernard Pomey en a fait l’expérience et il en est un exemple. Il se tourne vers la contem-plation sans confrontation avec la vie, vers l’inactualité et vers la gratuité. La peinture pour elle-même est en dehors du temps. Ce qu’elle donne aux autres, elle le donne pour toujours. Ce qui le prouve avec évidence, c’est qu’à l’intérieur de cet art de peindre auquel il se consacre, il se dirige vers la peinture abstraite qui chez lui en tout cas signifie une nouvelle étape vers l’intériorisation et l’approfondisse-ment. Il passe d’une peinture figurative tou-jours plus ou moins sécularisée au lyrisme informel qui est un pas dans la nuit analogue à celui accompli par saint Jean de la Croix dans le domaine de la foi. Et dès ce moment, il se met à produire d’une façon intense. Si cela rejoint l’expérience de la peinture lyrique faite dix ans auparavant, il ne faut pas oublier de dire que, dix ans auparavant, la peinture lyrique avait elle-même repris les thèmes décou-verts par Kandinsky vers 1910. C. qui révèle la sincérité de cette démarche, c’est qu’elle arrive à un moment où quelque chose se brouille dans le jugement des peintres et de la critique et où s’impose comme une grande marée un retour vers la réalité sociale et un goût des revendications individuelles. Les dernières compositions de Bernard Pomey mon-trent, par la clarté de leurs couleurs et la grande simplicité de leur facture, un acquiesce-ment à l’unité première. La biologie affleure sous les doigts du peintre comme une conscien-ce du bonheur. J. A. FRANÇOIS STAHLY. Avec Etienne Martin, François Stahly est l’un des sculpteurs français les plus importants de sa génération. Cette importance ne tient pas seulement à la valeur intrinsèque de son oeuvre, mais également à la nature même de ses préoc-cupations qui concernent un moment crucial de l’histoire de la sculpture, très exactement la période au cours de laquelle le sculpteur a rat-trapé son retard par rapport au peintre et a tenté de résoudre, dans le volume, les problè-mes que certains avaient abordé sur la toile. L’oeuvre de Stahly, comme sans doute sa per-sonnalité, est faite de contradictions, ou plus exactement d’oppositions qui sont à l’origine de son dynamisme créateur. Il a su par exemple dépasser l’équivoque d’un naturaliste inspirateur pour atteindre à la création pure. Les références aux racines, aux branchages, ou dans un autre ordre, aux galets façonnés par les éléments, ne dépassent pas l’analogie la plus superficielle. Toute une vie sourde, étrange, apparaît dans ces masses à claire-voie, dans le fin découpage des volumes, et cette vie trouve sa source dans une force difficilement domptée, qui se déve-loppe parallèlement au réseau des références, liées à la réalité, qui l’inspirent. La sculpture de Stahly, c’est la conjonction d’un dessein secret et d’une destination publi-que ; de là tout le problème de l’intégration de l’art à l’architecture que l’auteur des portiques de la Maison de la Radio et du Signal de l’auto-route du Sud a vécu mieux qu’aucun autre dans toutes ces ambiguités. Stahly appartient à une génération qui se cherche, d’oeuvre en oeuvre, dans une continuité créatrice jalonnée, certes, par des moments majeurs, mais qui aboutit moins à des chefs-d’oeuvre isolables et datables qu’à une sorte de trame sensible dans laquelle des éléments d’inspiration diverses se répon-dent et se chevauchent. L’effort de classification de l’oeuvre de Stahly est d’autant plus difficile à mener à bien que sa curiosité, sa nécessité intérieure le conduisent à de subtiles permuta-tions où l’on voit, à des années de distance, les portiques de la Maison de la Radio répondre à la Forêt de Tacoma, et La Coquille, au Nouveau né. Son goût pour les formes organiques, encore empâtées dans une gangue originale, va de paire avec un sens de la liberté des lignes ou une propension à la verticalité qui trouve son accomplissement dans les « signaux ». Stahly a également cherché à apporter sa contribution à l’architecture par une étude des volumes cons-truits, notamment dans ses Labyrinthes qui pourraient accomplir une fonction puissamment régénératrice dans le développement de certains partis urbanistiques. L’exposition du musée des Arts Décoratifs, présentée sur un ton exact et sans coups de clairon inutiles par François Mathey, a été l’un des moments de qualité du début de cette saison. G. G.-T. FEITO. En abandonnant la représentation d’une réa-lité immédiate, toute une génération de peintres entendait bien alier jusqu’au bout de ses re-cherches, définir dans toute son étendue une nouvelle manière d’exprimer le monde. A la limite de la peinture de chevalet, miroir d’un motif, cette peinture est plutôt l’expression libre et spontanée des forces vives qui habitent l’artiste. Pour Feito le propos se place au niveau d’une gestualité brutale, immédiate, qui n’étend pas son circuit sur l’espace de la toile, mais cherche l’impact le plus juste, le plus fort, le plus véhément, le plus expressif et le plus direct. Feito a ainsi, durant quelques années, notifié son monde dans un jeu pressé, dru, fatal, oblitérant de contacts gestuels et directs avec la toile, la matière, se creusant, moussant, écu-mant, autour du point d’impact. D’où cette construction si caractéristique, à partir de ta-ches rondes, de cratères. Feito a élargi son propos. Récemment, il a opposé à cette anima-tion de matière des plages monochromes, de calme intense, absolu. Mais, de plus, il a élargi son geste, recueilli sur la toile des insistances qui glissent, proposent des directions multiples au regard, ouvrant le champ d’action. (Galerie Arnaud.) L. BORDEAUX-LE PECQ. On n’a plus guère l’occasion de voir de la peinture qui se présente comme telle, sans complexe d’appartenance à l’une ou l’autre des petites chapelles à la mode. Depuis sa toute jeunesse, Bordeaux-Le Pecq développe les impressions picturales que son tempérament d’artiste douée la pousse à jeter sur la toile ou le papier. Cette spontanéité s’appuie sur un métier sé-rieux, comme le montrent les peintures et les aquarelles qu’elle vient d’exposer. Sa palette s’apparente à celle des grands coloristes fran-çais, avec une prédilection pour les empâte-ments somptueux. On sent que dans l’arrange-ment de la composition, le sens plastique d’une mise en page équilibrée harmonise l’impulsion du moment. Quant au sujet initial, il se dé-pouille depuis quelque temps de son contenu figuratif, pour ne conserver que des structures librement interprétées. (Galerie Paul Ambroise.) 11.96R6.ic6hard Harrell Rogers. Piniccn. 2. Bernard Pomey. Mélia 1. 1959. 3. Bordeaux Le Pecq. Harmonies Corses. 1966. 4, 5. Aiko Miyawaki. Sculpture à éléments co André Bloc. Tour et habitacle n » 1. Panneaux photographiques à l’exposition « Labyrinthe ii. Akademie der Kunste Berlin. !octobre-novembre 1966.) Photos Agraci, D. Frasnay, K. Sakumoto, R. Friedrich. FIND ART DOC