SCHEMES 66 ET JEUNE PEINTURE 67 : UN ACCES DE FIEVRE. La jeune peinture entre en crise. Après l’opulent, le confortable Salon de 1966, vers lequel lorgnaient déjà les amis de M. Restany, avec leurs pensées concupiscentes, 1967 sera l’année de la rupture, des mises en question radicales (ce pluriel est d’ailleurs significatif de la complexité des réseaux d’action qui s’exercent ici). Tout d’abord Schèmes 66 qui occupait en décembre les salles Wilson au Musée d’art mo-derne de la Ville de Paris, justement avant le Salon de la jeune peinture, est une manifes-tation qui se cherche : cela fait plusieurs années que ça dure et elle ne s’est pas encore trouvée. Cette fois-ci, son comité, souhaitant introduire les éléments d’un dialogue à l’inté-rieur même d’un ensemble tourné généralement vers la peinture-peinture, l’expressionnisme doux et le naturalisme abstrait m’a demandé d’orga-niser un groupe selon mon goût, dans la salle carrée. Les peintres que j’ai invités, Alleyn, Bey-non, Buri, Cheval-Bertrand, Geisler, Klasen, Lourdes Castro, Monory, Rancillac, Sarkis, Télé-maque, avaient tous ensemble, au milieu de cet accrochage, la discrétion d’une mouche dans un bol de lait. La confrontation a été utile en ce sens qu’elle a montré combien étaient aujour-d’hui inconciliables certains choix. D’un côté les peintres tournés vers une réalité fondée sur l’in-formation, l’imagerie contemporaine. De l’autre toute la gamme que nous avons énumérée plus haut et, entre eux, un petit groupe, d’ailleurs très intéressant, d’artistes préoccupés de la métamorphose de l’objet : Degani et ses mou-lages en plastique, Del Negro et ses tôles frois-sées, le puriste Kowalski avec une oeuvre de haute tension. Tout près de la salle carrée s’étaient rassemblés, logiquement, des artistes comme Gasquet dont les obsessions numériques et casquées, dans un monde de bolides et de voitures de course, ne manquent pas de force, le subtil Naccache et l’habile Sellier. A part cela, la grise monotonie de la longue suite de salles, où les toiles étaient accrochées dans un large espace disponible (luxe insolite dans la cohue habituelle des salons) ne nous réservait que peu de surprises et beaucoup de sous-produits de formules picturales usées jusqu’à la trame dont trop de ces peintres ne sont que les suiveurs maladroits et confus. Le reposoir assez grandi-loquent d’Ascain sur le « cirque Johnson », dégoulinant de sang, parsemé de mitraillette et de croix gammées exprimait pourtant une idée intéressante • le témoignage doit atteindre à la force de répulsion, d’horreur, et le réalisme de l’acte même qu’il dénonce. Gérold déve-loppait la pureté simple d’une forme, Hamonet jouait sur la sensibilité d’une surface evanes-cente, d’une préciosité savante, Iscan donnait une bonne variation en cloisonnés sur un thème charnel, Kawun et Rustin proposaient des struc-turations sémantiques qui réjouiraient mon ami Luciano Lattanzi, J.P. Proix offrait un complexe organique et gestuel fortement saisi. Et puis avec Guichard, Arnaiz, Risos, Geula Dagan apparaissaient quelques morceaux exécutés dans la fidélité à un certain esprit pictural dont ces artistes ont le mérite d’avoir jalonné le chemin avec conviction. Il n’en demeure pas moins que la visite de Schèmes 66 laissait une impression pâteuse, somnolente, maussade et engluée, dont ses organisateurs auraient intérêt à prendre garde. Schèmes est un salon qui se défait alors qu’il pourrait prétendre à la relève du Salon de la jeune peinture qui est en pleine crise, en fai-sant appel aux éléments qui ont été écartés ou qui se sont exclus de celui-ci. Dans le purgatoire des formes et si l’on consent à jouer 3u rituel des salons, Schèmes pourrait être une zone de réflexion où se trouveraient des peintres arrivés a une certaine maturité (c’est-à-dire au moment des tentations) ; mais il lui faudrait sabrer dans la piétaille, et, bénéficiant par ses statuts du sYstème de l’invitation, ne céder à aucune concession, à aucun radotage, à aucune paresse. Un long chemin à parcourir encore, on le voit, en pente inclinée.. A cette comparaison, la Jeune peinture 1967 se place à l’heure des choix. Depuis trois ans les dirigeants de ce salon précisent, comme ils l’ont fait cette année encore, que « leur action vise à libérer l’art des entraves que lui impose le règne de l’esthétique en le maintenant dans le domaine indéterminé des notions culturelles, pour le placer au contraire dans une relation directe avec la vie et l’histoire ». Cela n’a pas empêché le salon de s’ouvrir, l’année dernière, à des. recherches sortant du registre pictural ordi-naire, d’accueillir notamment toute une floraison d ceuvres exécutées à partir d’objets et utilisant des techniques modernes. Résultat : envahisse-m. ent et triomphe de la « rhétorique généra-lisée » qui opprime, nous dit-on, tout ce qu’il y a de vraiment vivant dans l’art. Tel a été la consta-tation des responsables du salon qui cette année ont brutalement fermé la vanne et cherché, à un niveau plastique souvent inférieur ou en tout cas moins achevé formellement, des oeuvres qui répondent à une création plus libre, ou tout au moins non inféodée aux diktacts à la mode. Il est évident que ce programme n’a pu être réalisé de façon vraiment satisfaisante et qu’il y a loin des intentions aux résultats, d’abord parce qu’un certain nombres d’étrangers, anglais notamment, ont présenté sur invitation des oeuvres assez comparables, au premier coup d’oeil, à celles des « formalistes » parisiens. Pourtant ces toiles et ces sculptures, commen-tées par l’excellent critique anglais Christophe Finch, et réunies sous la houlette d’un artiste aussi notoire que Caulfield (dont le dessin va en se dépouillant de plus en plus), nous montrent le contrepoint que peut établir avec le forma-lisme londonien une peinture qui s’écarte, si l’on y regarde bien, d’une certaine façon, de la plas-ticité pure : Ruscha, américain de Londres, avec ses oiseaux-crayons et Clive Barker qui inter-prète en sculpture métallique la « chaise » de Van Gogh ou une nature morte de Cézanne, s’en tirent par l’humour, et surtout Colin Self, qui aborde très franchement les problèmes de l’art engagé avec sa « femme atomisée », ses missiles » en dents de loup, dressées vers le ciel, nous donne tout un monde noir et dur ou se pétrifie la menace suspendue sur nos têtes. Certes Neville King n’apporte rien après Rosen-quist ou Monory, et les entrelacs de Farrell sem-blent bien décoratifs. Il faut aborder avec Self l’une des clefs de voûte de ce salon qui, souhaitant un art ouvert sur l’histoire, a retenu certaines oeuvres politi-ques tout en essayant d’éviter le piège de l’oppor-tunisme. Certes la guerre du Viet-Nam (Ramon, Dubigeon, Saul), les évènements de Chine, la menace atomique, le fascisme (groupe Cronica), le racisme (Giovanni Rubino), la guerre tout court (Marc Golendorf) règnent sur les cimaises des salles Wilson. Mais comment ironiser comme on l’a fait sur le droit à la contestation auquel toute une génération paraît tenir ! Il est faux de ne voir dans ces oeuvres qu’une révolte en chambre. Certains de ces peintres, parmi les Français, ont été fortement marqués par la guerre d’Algérie ; d’autres viennent de pays où la libre expression est opprimée, et si le groupe Cronica de Valence, par exemple, peint • froi-dement » des défilés équivoques, des miliciens avantageux et utilise souvent les petits formats et les procédés discurcifs dans ses mises en pages, c’est pour éviter, d’une part, une émo-tivité déplacée et facile et, d’autre part, pour être efficace, pour faire circuler plus facile-ment des toiles, suffisamment séditieuses pour causer à leurs auteurs toutes sortes de tracas-series, de brimades et de menaces. S’ils pei-gnent « la guerre apprise dans les journaux » comme l’écrit Arts et Loisirs, lorsqu’elle se passe à des milliers de kilomètres, ils exprime nt aussi l’oppression vécue, l’humiliation quotidienne, et la rage contenue. Cependant, toute une partie du salon bascule malgré cela dans l’analyse objective, dans. l’étude de l’environnement. Mis à part les Italiens qui sont ici parmi les meilleurs (Ferroni, Guerreschi, Titina Maselli), la Jeune peinture n’évite pas le reproche de l’ambiguité, avec des oeuvres tou-jours honorables et quelquefois de très bonne classe, comme celles de Lourdes Castro, de Caulfied, d’Anne Chérix, de Pavlos, de Boccola, de Schlosser, de Beynon, de Robles, avec égale-ment le relief de Télémaque qui montrent bien que l’on ne tente pas de fermer la porte à tout un aspect de l’art vivant sans se trouver pris dans d’inextricables contradictions. La jeune peinture atteint à ce qu’elle veut avec la toile grinçante et réaliste d’Arroyo, au chromatisme puissant, où Franco porte la toge dans un Pompéi au bord de l’apocalypse ; elle l’évite avec la compo-sition animalière d’Aillaud qui demeure un « cas » dans un choix qui fait de lui, pour qui ne connaît pas les problèmes personnels de cet artiste, un théoricien non aligné sur sa pro-pre peinture. En revanche Tisserand est toujours explicite avec ses mises en bocal, et l’exactitude de Rieti, la maniaquerie inventive de Malaval, les hallucinations de Leroy (qui nous offre un plateau de têtes), le raffinement d’un nouveau Biras qui a réussi ses deux portraits, le manié-risme paradoxal de Csernus, le souci chroma-tique absolu d’Atila font partie des bonnes par-ticipations. Mais c’est du côté du sadisme d’Olivier et dans le détestable retable de Mils-htein, dans le délire de Velickovic et de Ferro que sont l’extravagance véritable et quant aux sous-produits de l’expressionnisme baconnien, quant aux artisans à la petite semaine, ils sont encore trop nombreux, malgré les coups de ciseaux du comité, pour qu’on s’ennuie à les débusquer. On a beaucoup parlé du mani-feste-canulard de Buren, Mosset, Parmentier, Toroni, qui à leur manière ont participé au cli-mat protestatoire du salon en décrochant le soir du vernissage des toiles peintes pendant la journée. Mise en accusation de la peinture et refus de l’usage qu’on en fait se conjuguent chez eux en une démarche à finalité morale qui demeure équivoque. Entre les six toiles claires de Cheval-Bertrand, sur lesquels le critique du Nouvel Observateur a l’impudeur d’ironiser, et des participations italiennes, anglaises et améri-caines, le Salon de la jeune peinture fait donc ses comptes. 1967 aura été pour cette manifes-tation l’année du courage : précision et clarté des intentions, ambiguité relative des résultats, si l’on s’en tient au choix final. Mais ce salon, pour être compris, pour qu’on lui rende vraiment justice, devrait être considéré à la lumière de ses refus, de ses absences, en une comparaison serrée avec celui de l’année dernière. Toute cette revue n’y suffirait pas. Gérald GASSIOT-TALABOT. LES LALANNE. Les Lalanne sont deux, mari et femme ; ils ont inventé un genre d’ . objets », à mi-chemin entre l’artisanat et la sculpture, mais la balance penche du côté de l’art. Les Lalanne (ce nom désigne aussi tout ce qui sort de l’atelier La-lanne) ont commencé à attirer l’attention dans les Salons d’avant-garde. L’exposition particu-lière qui vient de leur être consacrée aura per-mis de les situer dans l’orbite du néo-surréa-lisme et cependant, à l’encontre du concept de l’objet ready-made de Duchamp. Ici, l’invention et l’humour sont étayés par une exécution soi-gneuse, comme les robes futuristes d’un Paco Rabanne. Une époque est un tout, et la nôtre semble affamée de merveilleux et de dépay-sement. (Galerie Alexandre !oies.) S. F. GILARDI. L’image bucolique . Elle était couchée sur un tapis de mousse » devient, avec Gilardi, une réalité urbaine. Simplement la mousse, chez lui, est synthétique. Gilardi travaille son matériau dans la masse, le colore habilement, y intègre, grâce à un collage, des objets divers toujours travaillés dans la matière plastique. Le résultat, ce sont ces sols de vergers, ces carrés d’étables, ces portions de galets gris, ces frag-ments d’écume marine que chacun peut étendre ou accrocher dans son living, avec la perspec-tive d’heureuses siestes. Gilardi est un natu-raliste militant, un artisan consciencieux. Son préfacier, Jérôme Peignot, souligne entre guil-lemets, sa • bêtise » et sa . lourdeur ». Il ne bouleversera donc pas notre vision du monde, mais en face de la représentation artificielle de l’iconographie urbaine, qui occupe la plupart des peintres, il nous donne une restitution, en dimensions exactes, de la nature rurale. La confusion cessera au toucher, puisque tout objet contondant, tout volume embarrassant se révèlent être les plus moelleux des coussins. Gilardi peut avoir alors le sentiment d’amé-liorer la nature en la rendant plus accueillante à nos échines. (Galerie Sonnabend.) G. 1. Lalanne. Moutons. 1966. Galerie Iotas. 2. Riras. Bonjour Jeanne. tombées avec échelle. 1966. Galerie Sonnabend. 5. Arroyo. Les 1988. Salon Schemes 66. Photos A. Dumege, Shunk-Kender, P. Golendorl, S. Béguler. Salon de la Jeune Peinture. derniers jours de Pompéi. 3. Caulfield. Peinture. Salon de la Jeune Peinture. 4. Gilardi. Madrid. 1968. Salon de la Jeune Peinture. 6. Eugenio Degani