dait à ses impulsions, aura été son triomphe et sa perte. Il faut savoir quitter le bal avant que les lumières ne s’éteignent. Plus que les oeuvres achevées, il convient d’apprécier la moisson d’idées hardies et d’in-ventions techniques produites par les Dadas. La plupart nous paraissent naturelles parce que nous les avons vues essaimer sous d’autres formes depuis quelques années. Je ne crois pas que les jeunes artistes chez lesquels nous voyons reparaître le goût de l’anecdote, du pasti-che, les collages et peintures à base de photo-montage, soient de vulgaires suiveurs. Toutes les déviations de l’art puriste correspondent sans doute chez les artistes qui ont l’audace de les expérimenter, à une révolte, plus ou moins cons-ciente de la sensibilité en matière de goût, étant entendu que le bon goût est celui qui s’apprend et qu’il n’est pas forcément le meilleur. (Musée d’Art Moderne.) S. F. FRANCIS BACON. En toute chose, il faut considérer la fin, et, pour un critique l’essentiel est de dire claire-ment ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas. C’est pour avoir négligé cette nécessité que les quel-ques réflexions que j’ai déjà eu l’occasion de faire sur la récente exposition de Francis Bacon à la galerie Maeght ont été interprétées dans un sens contraire à celui que je voulais leur donner. Francis Bacon est un peintre important. Un des plus importants à l’heure actuelle. Dans la nouvelle figuration, il est le plus important. Son succès n’est pas qu’un succès commercial, c’est une réussite complète. Il a donné à un nombre très considérable de peintres le désir de s’inspirer de lui. Depuis dix ans, en effet, un vent bizarre souffle sur la peinture qui ne s’est pas rendue au pop art. La source de cet engouement, l’ange de ce bizarre, c’est Francis Bacon. Après avoir exhumé le Pape de Velasquez et l’avoir placé dans les lignes de fuite de la géométrie perspective, il est devenu l’évocateur des êtres pris dans tous les pièges de la débauche et le révélateur de leurs stigmates physiques. Des hommes rendus à l’état de singe, il a su tirer le meilleur et le pire. Le pire si l’on consi-dère la dégradation et la bestialité si frappante dans la dégénérescence des visages ; le meil-leur si l’on regarde la peinture douée d’un dynamisme surprenant et d’une coloration som-brement magnétique. Le meilleur aussi au regard de la liberté sexuelle, de l’affranchissement des corps et de la morale privée. C’est un trait que l’on retrouve dans la litté-rature anglaise. Elle n’est ni vraiment sadique masochiste ou philosophique comme le sont les littératures allemande et française. Elle est expérimentale même lorsqu’elle paraît s’aban-donner le plus à la fantaisie pure. C’est le cas de Dorian Gray, c’est aussi le cas du Dr Jekyll. Délivrer le double aux impulsions fatales, c’est à la fois jeter le masque de la morale mais c’est aussi s’exposer à devenir un monstre. L’oeuvre de Francis Bacon témoigne de cette dangereuse et tentante vérité, M. Hyde est la condition maléfique du progrès. L’exposition qui se tient actuellement à la Galerie Maeght a, entre autres mérites, celui de remplir une lacune qui a jeté sur la vie artis-tique à Paris, un incontestable malentendu. Francis Bacon a des amis, je crois l’avoir dit, mais des amis très discrets. Ils forment une sorte d’école dont on connaît tout, sauf le pro-moteur. Bien peu de personnes se souviennent de l’exposition qui avait eu lieu chez Jean Larcade il y a une dizaine d’années. Mais cette exposition a été parfaitement bien vue et enre-gistrée. Depuis on a vu fleurir le coup de torchon sur le trait vigoureux qui efface le bas du visage ou masque les passages dangereux des situations. Cela fait que bien des yeux encore mal éveillés retrouvent dans Francis Bacon un style avec lequel ils sont déjà familiarisés. Ils y sont si bien faits qu’ils n’en voient ni la force ni l’originalité. C’est un malheur de voir que les choses aillent si vite et que le monde ait si peu de mémoire. Les toiles exposées cette fois sont finalement très différentes de celles qu’on avait pu voir autrefois. La matière elle-même de la peinture n’est plus la même. Elle est plus épaisse, moins incisive. Mais les personnages sont toujours à la question, pour ne pas dire à la torture, sous une ampoule électrique, très évocatrice de bour-reaux, de victimes, de passages à tabac, suivis de jouissance ou d’accablement. Il y a cela et aussi le côté singe, gorille qui ajoute un ragoût de bestialité à une peinture déjà riche en émotions de toutes sortes. La mise en page est superbe, pleine de trouvailles avec un goût particulier qui le rapproche d’Asmodée, le diable boiteux qui regardait par en haut ce qui se passait dans les maisons. (Galerie Maeght.) Julien ALVARD. LA COLLECTION PETER STUYVESANT. Disons plutôt la collection Orlow. Car Peter Stuyvesant est mort après l’échec de sa défense de New York devant les Anglais. Il n’en reste pas moins le fondateur de cette ville dont la gloire a surpassé toutes les autres. En prétant son nom à une entreprise culturelle associée au patronage d’une firme de cigarettes hollandaise, il est maintenant en mesure de donner à des travailleurs l’occasion de voir de la peinture moderne pendant leur travail. Curieux destin d’une grande figure ! Mais que penserait Saint Honoré de son Faubourg où l’on trafique de la frivolité où Saint Denis de sa rue où l’on sacrifie à Vénus. Il faut le dire tout de suite, c’est parce que les ateliers d’une fabrique de cigarettes se prêtent à un accrochage de tableaux qu’un tel confrontement a été possible. On ne voit pas très bien comment on pourrait en faire autant dans des aciéries où le spectacle des gerbes d’étincelles nuirait à toute autre considération picturale. S’il faut donc reconnaître à cette expérience une valeur sociale d’avant garde, il faut aussi préciser qu’elle n’est pas à la portée de tout le monde. Cependant, il est vraisemblable que dans la mesure où l’auto-mation se répand, l’avenir facilitera de telles initiatives. Deux points sont à examiner. D’abord le choix des tableaux qui est décidément orienté vers l’expressionnisme néerlandais. C’est bien natu-rel, le contraire serait étonnant. Les oeuvres qui ont été présentées au Pavillon de Marsan (il s’agit d’une sélection naturellement) font dans l’ensemble honneur à ceux qui les ont distinguées. Toutefois, l’ensemble donnait, à Paris, une impression assez inattendue par l’accent qu’il mettait sur le lyrisme que ce soit celui d’Appel, celui de Bram Van Velde ou de Bram Bogart, comme du reste de Lataster. Des peintres de Paris qui se trouvaient représentés (Mathieu, Poliakoff) c’est encore le tableau de Marcelle Loubchansky qui se remarquait le mieux. L’impression générale était donc très bonne pour les amateurs de Cobra, bonne pour ceux qui ont le goût de la peinture, mauvaise et même très mauvaise pour les apôtres et propa-gandistes du néo-dada sous toutes ses formes. La discussion organisée au cours de l’exposi-tion a été très animée. Elle a permis de cons-tater que l’initiative de M. Orlow était positive parce qu’elle a pu donner à des travailleurs qui n’ont pas le temps de s’occuper de toutes les subtilités des tendances actuelles l’occasion de vivre dans la compagnie d’ceuvres modernes et qu’elle a suscité une curiosité sur les motiva-tions et sur les personnalités des artistes qui s’est manifestée par des demandes d’exposés et une envie de discuter les questions que posent l’engagement de l’art dans une voie si peu fidèle à la nature. C’est un résultat qui n’est pas négligeable même si l’on est convaincu que c’est insuffisant et que finalement cette voie d’accès au monde moderne est un peu trop passive. Sans aller jusqu’à dire, comme Restany, que la meilleure pièce exposée dans l’usine c’est encore l’usine elle-même, il faut bien recon-naître que l’engagement des artistes actuels demeure un mystère pour ceux qui n’y parti-cipent pas directement. Mais le spectacle des divergences entre les créateurs n’est pas fait Francis Bacon. Lying Figure with Hypodermic Syringe. 1963. Coll. Marlborough Gerson Gallery, New York. pour rassurer des opinions encore mal assurées. Il faut aussi comprendre la nécessité de la contradiction. C’est beaucoup demander à des gens qui (fort heureusement pour les autres) ont avant tout le souci de la stabilité. L’autre question est celle d’un élargissement de l’expérience à l’échelle de l’architecture qui est, qu’on le veuille ou non, la base de toute intégration dans le monde moderne. Sortir la peinture des musées et des collections où elle est en chambre froide, c’est une démarche capitale, mais il faudrait pour bien faire lui donner le cadre qui la rend vivante et compré-hensible. C’est là tout le problème de la socia-lisation de la culture. Jusqu’ici personne n’a su le résoudre correctement et il n’y a pour l’ins-tant que le théâtre qui y soit parvenu. Pour la peinture la solution est liée au sort de l’architecture. J. A. VIII’ SALON GRANDS ET JEUNES D’AUJOURD’HUI. La dénomination de ce Salon est faite pour irriter si on l’interprète dans le sens sous-entendu par les organisateurs: offrir un cocktail d’artistes déjà célèbres, ce qui ne signifie pas toujours qu’ils sont « grands », et de jeunes nouveaux, dont certains sont déjà des . grands ». On voit les risques de l’entreprise et l’aspect négatif, du point de vue critique, d’une sélec-tion basée sur de tels critères. Cette année, pour la première fois, cette manifestation, qui était présentée dans les salles rénovées du Musée de la Ville de Paris, offrait un échan-tillonnage vivant et assez complet des tendances les plus représentatives de l’art actuel. Il faut donc en féliciter les organisateurs. Une place importante dévolue au groupe Mouvement et Lumière faisait ressortir la personnalité d’ar• tistes comme Soto, Schôffer, Camargo, alors que Le Parc, triomphateur occasionnel de Venise, se perdait dans l’anonymat de ses pareils. Les peintres non figuratifs cnt raison de ne pas reculer devant l’assaut de la nouvelle figura-tion ; parmi ceux-ci, excellents envois de Mes-sagier, Debré et Dewasne, classé surréaliste sans l’avoir jamais été. Kudo reste l’objecteur le plus provocant ; sa présence suffit à donner le ton d’un Salon qui se veut à la page. Du côté des narratifs, l’imagerie de Voss conserve son originalité initiale; j’avoue avoir été char-mée par la naïveté d’une « Marie-Antoinette aux moutons », oeuvre d’un jeune Argentin, Uriburu, qui introduit des accents folkloriques rafraîchisants au milieu de nouveautés trop sou-vent entachées de roublardise. Un creuset monumental de Pillet était une introduction logique à des sculptures bien choi-sies de Arp, Jacobsen, Di Teana ; la tôle peinte de Morgan, les jeux savants spatiaux-dynamiques de Van Thienen, Takis, montraient la diversité de la sculpture de ces dernières années. S. F. ALECHINSKY. Le bleu de la mer, l’intérieur du bleu, sa trame et son nerf ; le rouge du sang, ses pulsations intimes surgissent dans l’azur de la toile, sur son grain, sur le champ du papier, dans le tumulte sourd de la colère, dans l’élan brutal des impulsions premières, dans le feu élémen-taire de la vie qui s’éveille et qui n’a pas encore hiérarchisé ses colères et ses douceurs, ses rires et ses cris. Les lavis, souples encore que nerveux, rapides encore qu’architecturaux, spé-cifient dans l’espace toute l’animation du monde, toutes les figures à naître et celles qui vont disparaître. Un étrange et démentiel cortège de fleurs empoisonnées. On en aime le parfum. (Galerie de France.) Jean-Jacques LEVEQUE. GUNDMUNDUR FERRO. Sur le thème « 47 ans «, Ferré vient une fois de plus de se déchaîner avec une verve féroce qui n’hésite pas à s’attaquer aux sujets tabous, aux personnages sacro-saints, dans ses analogies décousues où la chronique de l’actualité devient une imagerie cauchemardesque. Ferré est l’anti-Matisse de la jeune peinture, mais il est sans doute le seul, parmi les anecdotiques, qui ait le don du pamphlet sans tomber dans le sec-tarisme. (Galerie Jacqueline Ranson.) S.