LES EXPOSITIONS NEW YORK Le vernissage du nouveau Whitney Museum maintenant au 945 Madison Avenue (voir les indi-cations sur cette exposition inaugurale page suivante) marqua le début de la saison. Parmi les expositions qui incluent les grands aînés, citons I’ Hommage au silence ., orga-nisée par la galerie d’Albert Loeb et de son nouvel associé Jean Krugier. Cet Hommage au silence, avec en sous-titre Métaphysique, pré-sente une espèce de bouquet d’oeuvres majeures à commencer par quelques très beaux Chirico, Morandi, Giacometti, Ernst et Nevelson. -Bien entendu Bacon, Balthus et Delvaux sans oublier Magritte, pour ne citer que ceux-là, font partie de cet ensemble qui fait appel aux grands noms d’artistes à la recherche d’un absolu. Comme toutes ces oeuvres, maintenant, nous apparais-sent classiques ! Retenues particulièrement les participations de Chirico, Giacometti, dont nous notons particulièrement la Chaise, préface à toutes les chaises et le Mur de Nevelson. Autre exposition à thème, mais bien différent quant à la sensibilité où l’absence de sensibilité des exposants, l’exposition d’Art Erotique chez Sid-ney Janis, qui inclut tous les Pop artistes de sa galerie et quelques rares invitations. Pour la plupart ces jeunes gens dont les oeuvres le plus souvent témoignent d’une forme de pornographie publicitaire semblent ici avoir manqué d’élan ; seuls ceux qui cherchèrent plus une forme de beauté que le choc chez le spectateur, atteieni-rent celui-ci avec l’élégance qu’on leur tonnait, Arman avec un buste transparent qui révèle des tubes de peinture d’où s’échappe la couleur verticalement (rouge), Watts avec des films mêlant l’irréalisme à la sensualité par la multi-plicité des écrans, et Robert Whitman, qui joue, comme d’habitude avec la réalité filmée et la réalité de l’objet, présente ici un corps sous le jet d’une douche, jet filmé et réel. Whit-man est toujours à suivre, même dans ses demi-succès. Quant au groupe en trois dimensions de Larry Rivers, il tenait à rappeler aux specta-teurs — et y arrivait sans doute — ce que les désirs pouvaient avoir d’électrique et de mal placés. Mais à l’exception de Lindner et de Steinberg — dont les participations furent abso-lument remarquables, ce qui manquait dans cet ensemble ce n’était pas l’ingéniosité, mais la transcendance du réel. Et c’est peut-être là que les jeunes ont à l’heure actuelle un pro-blème difficile à résoudre. Leur désir de com-muniquer avec un public de plus en plus nom-breux, et de moins en moins • au courant o, les oblige à prendre des racourcis brutaux pour communiquer sur le plan rapide et élémentaire du choc, comme la publicité. Le grave c’est que ce choc ne surprend plus. A ce propos signalons l’importance d’une semaine de Happe-pings où participèrent Rauschenberg et Kaprow, et plusieurs des protagonistes du genre. Ces Happenings monstres avec le concours de l’in-dustrie — et l’on ne sait qui a eu raison de l’autre, l’art ou l’industrie, eurent lieu à l’Ar-mory de la 25′ rue, l’endroit même où en 1913 naissait la conscience de l’art moderne à New York et où le • Nu… » de Duchamp obtenait le fameux succès de dérision dont on parle toujours. Il s’agissait de mêler théâtre et indus-trie, dont on voulut mobiliser les progrès au profit d’une aventure esthétique. Les machines se refusèrent dans plusieurs cas comme offen-sées, par la légèreté du geste qui dispensaient des millions au profit de l’inutile. L’accueil du public fut froid. Déçu, il retrouva sa vieille méfiance, celle qui permet à l’artiste de douter de ses moyens de communication, de se retremper en soi-même et de se revivifier. Les artistes qui avaient espérer mettre le Hap-pening » à la portée des masses, grâce aux Jeux du progrès et la participation de l’industrie, se retrouvèrent dans leur solitude, à la recherche du réel. Personnellement, préférant du cirque, non les acrobates dont les exploits nous effraient mais le mécanisme du décor, le ballet des net-toyeurs, les odeurs de fauve et l’acceptation du drame humain des clowns, nous étions sa-tisfaits. Si la nouvelle phase du surréel n’a plus rien d’onirique elle n’exclut ni la magie ni les résul-tantes des paradis artificiels ni les stimulants de l’imagination pure. C’est ainsi que l’expo-sition de Samaras, chez Pace, a trouvé un auditoire justement enthousiaste et extrêmement nombreux. Nous avions décrit la chambre-atelier du jeune homme lorsque chez Green elle fut partie intégrante de l’exposition. Cette chambre, petite, encombrée de trésors de l’ordre de ceux des poches que l’on vide le soir dans la pré-adolescence, comportait de plus des sacs multi-ples de laine de couleur, de verroterie, d’ils-truments divers. Samaras qui était passé de la Reuben Gallery, comme ses confrères du Pop Art, avait abouti à la Green Gallery mais lui n’avait pas été inclus dans l’exposition des Nouveaux Réalistes. Peut-être comprit-il alors, qu’il n’était pas, justement un nouveau réaliste. Il crée des boîtes enchantées, couvertes de laine douce ou de redoutables épingles qui deviennent en désordre et toutes pointes dehors comme les poils d’une fourrure d’acier. On l’accuse ou le glorifie de sadisme. Ce n’est pas ce qui nous importe ici. Ce qui importe c’est qu’il transcende la matière, c’est qu’il fait de l’objet trouvé, des trésors rutilants, qu’il sait ajouter à son goût de verroterie, mêle aux couleurs de sa laine, quelque chose qui évoque le peau-rouge comme le conçoit l’enfance. Peau-rouge d’appartement, certes, peau-rouge cruel, peut-être, mais avant tout peintre en trois di-mensions qui se sert du réel pour le transcen-der. Si sa chambre de glaces va devenir un des joyaux de la collection du Musée Albright-Knox, souhaitons que les visiteurs fassent ce qu’on leur demande à la galerie Pace : enlever ses chaussures pour marcher sur la glace, l’intérieur on touche la glace d’un bras. Le pli… fond de glace de l’autre. Faire dix pas dans la direction d’autres glaces, puisqu’on est enfermé dans un cube, et chaque fois ce n’est plus notre image qui se reflète à l’infini, mais les lignes de jointures des panneaux qui devien-nent colonnes, et permettent de rêver à une promenade dans un kaléidoscope. Le silence de glace, au sens propre cette fois, s’accompagne d’autres petits silences, une espè-ce de conversation des yeux, qui s’instaure entre l’objet et notre regard : oeuvre de peintre sur les parois, oeuvre de fétichiste dans les compartimentages. Œuvre classique des silences hors temps, par une petite montre perdue dans des rubis, et dont les aiguilles fragiles semblent faire des entrechats. Le temps nous regarde d’un oeil mort, tandis qu’une verroterie rouge attise des désirs de rubis. Plus loin, dans une boîte-temple, ce qui paraît être une goutte de mercure, métal en rotation, saisit bientôt par son rythme, comme une danse de fakir, incan-tative. Et puis il y a les chaises, la chaise mâle en fourrure d’épingles, et la chaise femelle aux méandres de laine. Elles sont accouplées et sous verre — prêtes à la danse — prêtes à l’amour. Les chaises de Jim Dime, à l’exposition Janis, faisaient, elles, l’amour officiellement. Le tuyau d’arrosage explicite était loin de convaincre. Mais si l’on trouve chez Samaras un terrain où se déposèrent les alluvions d’un passé récent, il y a tous les artistes partis à la recherche du nouveau s’efforçant — lorsqu’ils ne sont pas ingénieurs eux-mêmes — à s’appro-prier le monde des possibles de l’électricité d’une époque éclectique en fait d’esthétique. Nous trouvons donc la machine de James Seawrights qui montre tous les possibles (avec un parfait fonctionnement) de sculptures gira-toires où des circuits lumineux alternent leurs séries pour nous présenter le monde féérique des lumières en mouvement. Mais à ces cons-tructions, dont certaines grincent un peu, nous préférons la composition intitulée « Huit » qui nous donne en série des versions visuelles du chiffre et termine par le son « eight » (huit) prononcé avec la discrétion d’un secret qui fini-rait par se révéler. Cette composition l’emporte de beaucoup sur ce qui pour nous reste l’amu-sement des jouets à Noël (Stable gailery). Quant aux • Battements du coeur » dans un appareil où la lumière cerne la nuit, Bryant O’Daughoty dans un manifeste d’amitié à l’égard de Duchamp situe son appareil, accroché au mur, comme un hommage à Duchamp. D’autres hommages aux Echecs sont nombreux dans l’exposition. Chacune des boîtes dont le contenu change selon l’angle où nous choisissons de les regarder par autant de trous de serrure, retenons particulièrement une longue perspective carrelée avec quelques pions d’échec et, en bordure, des visages monumentaux situés comme des arbres les deux côtés d’une route ou comme des entrées de coulisses. Cette synthèse contempo-raine où se mêlent visages grecs et jeu est proche d’une certaine forme de poésie du réel qui évoque Cocteau (Byron Gallery). Chez Wad-dell, François Dallegret, dont nous avions déjà pris connaissance des autos baroques chez Iris Clert, ses machines fantastiques paraissent gravées maintenant sur des surfaces de verre. Comme on s’en souvient, destinée à s’adapter à des propriétaires éventuels en rapport avec les douze signes du Zodiaque, retenons « Sur-Leo » et ce qui défraie particulièrement les chroniques, la « machine o. Cette machine élec-tronique fantastique est particulièrement agréa-ble à l’ceil par sa simplicité. Ajoutons qu’une intervention simple du doigt permet, grâce à un oeil électronique, de mettre en marche des magnétophones. Des gammes sont possibles, faites d’harmonies imprévues. Ajoutons que si l’on désire le silence, point n’est besoin de toucher aux rayons lumineux. L’ingéniosité de Dallegret, une fantaisie réelle, permettent à ce jeune homme de nous fournir autant de jeux de l’esprit que de jeux des yeux, mais on demeure dans le domaine du jeu. Et puisque le métal règne en maître, c’est le moment de nous arrêter longuement chez Cordier et Ekstrom où expose Walter de Maria, déjà remarqué à l’exposition de groupe des nou-velles structures primaires au Jewish Museum. Sa cage aux élégantes barres d’acier n’empri-sonnait alors que le vide et les reflets de lumière que se renvoyaient l’une à l’autre, les barres d’acier poli. Son credo pour le catalogue ? une équation dont on ne donne pas la possibilité de trouver les inconnues : « oeil + pensée : — esprit — oeil o. Son acier sur-nickelé suggère l’argent, on entre à l’exposition ici par une haie de piliers tronqués en acier, allée qui mène à un trône, une chaise d’acier, juchée sur un socle en forme de pyramide noire. Théâtre et histoire se combinent ici. L’ensemble de l’exposition a une froideur antarctique et n’est pas sans évo-quer les voûtes des grandes banques où gisent les coffres-forts à l’abri des grilles. Sculpture encore destinée au rêve plus qu’à la décoration et au souci constant d’intimité, celle de Doro-thy Dehner à la Willard Gallery. Sa technique de cire perdue permet tout un réseau de com-munication entre les pièces majeures qui gar-dent, quelles que soient leur dimension, la dignité abstraite de tout ce qui permet de rêver au passé et à l’occulte. Ajoutons que ses bijoux vus à la rétrospective dont elle fut l’objet sont autant de sculptures véritables à l’échelle hu-maine. Revenons maintenant au silence qui n’est pas d’acier, celui de Bontecou chez Cas-telli. Ses constructions sont devenues ensoleil-lées, quelque chose de l’austérité de la Laponie, qui caractérisait ses images totémiques semble maintenant sourire ; la couleur intervient ‘,reg-que à regret mais toujours avec justesse, lue – Lucas Samaras. Room no 2. 1966. Pace Gallery. Photo F. Boesch. lùi