Nicholas Krushenick. Tel Aviv hippy. 1966. Pace Gallery, New York. Larry Poons. Cripple Creek. 1962. Leo Castelli, New York. Collection Walter Netsch. Paul Feeley. Asellus. 1964, Betty Parsons Gallery, New York. Ad Reinhardt. Peinture n° 118. 1960-66. Photo R. Burckhardt. 162 On peut constater éga’ement que si dans la peinture monumentale abstraite on se trouve en pré-sence d’un dénominateur commun quant aux surfaces colorées, on trouve ceux qui ont profité, et ne s’en cachent pas, de l’expérience de l’Expressionnisme Abstrait, ceux te’s Knox Martin (Fishbach) dont l’oeuvre est foncièrement picturale à chacune de ses étapes, et Bishop, là aussi qui nous présente le sens de sa démarche « hard-edge » et joue sur les contrastes entre toile blanche (à mi-corps) et démarche d’un « hard-edge » qui se refuse tout concours mécanique, ou encore Al Held, tou-jours à la recherche d’économie de moyens brefs si ceux-ci continuent une forme d’expressionnisme qui évolue en « hard-edge » en tons plats, cette peinture a pour camarades en trois dimensions la sculpture de Ronald Bladen, Sugarman, Weinrib. Leurs formes vont à la conquête de l’espace comme le coup de pinceau dynamique de Hofmann sabrait la toile. Ajoutons que dans une première confron-tation intitulée « Vers une nouvelle abstraction ,, Jewish Museum 1963, Knox Martin, Al Held étaient inclus parmi les abstraits de la peinture systémique, du moins certains d’entre eux, et qu’il y avait là confrontation de tendances au sein même d’une tendance initiale. Citons donc tous ceux qui y participèrent et dont certains nous permettront de souligner les aspects du para-surréalisme. A’pha-bétiquement, nous y trouvions : Paul Brach, Al Held, Ellsworth Kelly, Morris Louis, Kenneth Noland, George Ortman, Raymond Parker, Myriam Shapiro, Frank Stella. Enfin, si le silence est la peinture qui se dissimule, l’oeuvre de Paul Brach, au bleu caracté-ristique, passe par des modulations qui demandent à notre oeil la sympathie que suscite chez nous l’oeuvre de Ad Reinhardt. Recherche du silence, celle particulièrement mystérieuse de Myriam Shapiro remarquée à cette occasion et la seule de ce groupe « hard-edge » à manier l’objet. Son ,, Sanctuaire », est un reliquaire à étages, présentant des objets divers, symboliques certes, mais sai-sissant par la aualité du ton, un métier qui rappelle la meilleure peinture des Flandres, un trompe-l’oeil qui nous invite à toucher aux objets simples, aux trésors de l’enfance, dont les poches se vident au retour de l’aventure. Univers enclos protégeant du froid, oeuvre peut-être féminine de ce fait malgré sa vigueur, et qui entretient, avec le réel et le symbole une espèce d’intimité sans grandiloquence. Après cette exposition, l’ère des subdivisions s’affirme. En effet, si de par la définition de Irving Sandler à l’exposition du Loeb Center de l’Université de New York, Knox Martin et Al Held font partie d’un Expressionnisme Concret, celui-ci qualifie de • cool » ceux dont l’art ne vise plus à l’incantation mais à une espèce de silence esthétique qui se rapproche de celui de l’Antartic par la vacuité des espaces à l’exécution parfaite, facilité par l’emploi de méthodes mécaniques ou industrielles qui exclue le geste de l’artiste. Inclus dans l’art systémique sont ceux qui, à la recherche d’un faire impersonnel, s’allient à ceux des Sculp-tures Primordiales, minimales, ou autres, correspondant à l’exposition des Primary Structures. Soit parce que l’histoire a prouvé que les mouvements prennent toujours pour pivot une posi-tion clé d’un mouvement antérieur, soit parce que ces jeunes veulent eux-mêmes se trouver des • ancêtres », les romantiques aiment penser qu’ils ont pour aînés Pollock et De Kooning et les néo-classiques (coo.) Rothko et Barnett Newman, pourtant loin d’être cool, Rothko surtout. L’art cool, dit Sandler, ne touche au drame de la peinture que parce qu’il détruit et « rabaisse toute autre forme d’art impunément ». Pourtant, comme y répond Lawrence Alloway, dans sa préface du catalogue de « Art Systemic » au Musée Guggenheim, Ad Reinhardt, l’artiste qui a fait le ralliement de tous les groupes, de toutes les factions parle de « pousser le visible jusqu’aux limites de l’invisible ». Ce qui peut-être souligne le mieux ce que Alloway pense de l’art « systémique » (qui lui doit son nom) est la clarté des développements qui l’amènent à certaines conclusions : « Malevitch, Kandinsky et Mondrian ont de maintes manières permis à leur art de rayonner, de devenir universel par leurs théories, mais à New York où l’on se soucie peu des mystères de Platon ou de Pythagore un « système » est aussi humain qu’un éclaboussement de peinture et bien d’avantage encore si cet éclatement devient routine ». Ce qui n’empêche pas certains de ses « systemics » tels Kelly, Smith et Poons d’avoir « leur racine dans l’art de l’abstraction géométrique à ses débuts »…, et « il est difficile d’isoler la peinture « modulée » de New York, du monde international de l’Abstraction ». Nous suggérons à ceux qui veulent pousser p:us loin ces recherches de se procurer les textes de Irving Sandler, Ben Heller, Lawrence Alloway et Lucy Lippard (catalogues du Loeb Center, New York University, Guggenheim et Jewish Museums). Réunis sous le fanion de l’ « Art Systemic », nous trouvons: Jo Baer, Robert Barry, Al Bru-nelle, Thomas Downing, Paul Feeley, Dean Fleming, Peter Gourfain, Al Held, Ralph Humphrey, Robert Huot, Will Insley, Ellsworth Kel’y, Nicholas Krushenick, Tadaaki Kuwayama, David Lee, Robert Mangold, Agnès Martin, Howard Mehring, Kenneth Noland, David Novros, Larry Poons, Edwin Ruda, Robert Ryman, Leon Polk Smith, Frank Stella, Neil Williams, Jack Youngerman, Lawrence Zox. Beau-coup de ces artistes qui habitent maintenant New York viennent de tous les Etats de ce pays. Ce qui frappe au premier abord, c’est combien l’ensemble de cette exposition crée, en groupe sa propre magie et sa forme « d’environment », mais pour nous, lorsque nous avons essayé de péné-trer l’univers de certaines de ces toiles, elles sont pour beaucoup demeurées des objets, au mieux elles créent une ambiance. Même Youngerman et Poons, deux peintres toujours égaux à eux-mêmes, et qui se remarquent sans s’imposer, nous paraissent absents et Stella, dont nous avions fait nôtres les labyrinthes rectilignes, nous associe ici à un désir d’évasion comme souvent par la forme de scn châssis, mais son image centrale nous manque. Stella reste néanmoins toujours en communication avec sa toile, et ses possibilités de renouvellement sont considérables. Notons l’inti-misme d’Agnès Martin malgré la vaste étendue anonyme du genre feuille de papier quadrillé. Il semb e que son poème, simple et architectural, tire de sa simplicité la force d’une mystique. Pius loin, Noland comprend les tensions et sait toujours les harmoniser dans des formes lisibles. C’est néanmoins à sa première exposition que nous avons le p:us apprécié sa forme d’héraldisme. Parlant d’insignes, les quatre formes en écussons de Feeley ont le raffinement du talent qu’on lui connaissait. Quant à Krushenick, par une image frappante, il rompt le silence, ou plus exactement le dérange par son caractère robuste. Il y a là des dons et un dynamisme évident. Mais ce qui est silence harmonieux lorsque l’on regarde le groupe cesse de l’être lorsque les perspectives du musée permettent à notre oeil d’apercevoir de loin l’Hourloupe. Le silence devient alors celui du vide, et sa poésie supporte mal, même de loin, une confrontation avec la vitalité de Dubuffet. En fait c’est Ad Reinhardt qui fut le trait d’union entre deux mondes, celui l’après 1940 et celui de l’après 1960. Sa position qui inclut pureté et goût de l’absurde, foi et scepticisme, démarche à la fois volitive et intuitive, de la calligraphie et de la couleur, à une forme de néant coloré, en noir sur noir (et pourtant construit) font de lui un élu. Les aînés le considèrent des leurs et les jeunes lui font crédit, le -contraire est vrai également — les aînés lui font crédit et les jeunes l’ont fait leurs. Reinhardt dans différents manifestes prit à partie l’époque en en dénonçant ses vices. Avec une rhétorique impeccable et implacable, il en fit le procès en signalant à tous, ce que la peinture n’était pas, ce qu’elle ne pouvait, ne devait pas être. La rétrospective qui vient de s’ouvrir au Jewish Museum de toute cette oeuvre, témoignage d’époque, depuis le geste calligraphique à la géométrie souple, témoigne, elle, de ce que la peinture de Reinhardt est de la peinture. On ne peut en dire autant 1 de bien des jeunes pour lesquels la peinture est, « faute de mieux », le fi’m étant le l’ire sLprêine.