G. R. SWENSON ********** PEINTURE AMÉRICAINE 1946-1966 Pollock. Number 6. 1949. Museum of Fine Arts, Houston. De Kooning. Rosy-Fingered Dawn at Louse Point. 1963. Stedelijk Museum, Amsterdam. Johns. Flag. 1954. Coll. Philip Johnson, New York. Rauschenberg. Persimmon. 1964. Coll. Leo Castelli, New York. Rosenquist. Growth Plan. 1966. Leo Castelli Gallery, New York. Photos M. Varon, R. Burckhardt. Si l’histoire de l’art se raconte le mieux à travers ses maîtres, l’histoire de la peinture améri-caine pendant ces dernières vingt années peut, à mon avis, être définie par quatre artistes majeurs : Jackson Pollock, Willem de Kooning, Robert Rauschenberg et James Rosenquist. Les oeuvres de ces artistes m’ont donné du plaisir, du réconfort et de l’enseignement, depuis quelques années; j’aime-rais maintenant essayer de partager avec vous quelques-unes de ces expériences. Jackson Pollock est le plus exubérant, une source de grand et vivant plaisir. Comme beaucoup de jeunes écrivains et d’artistes, j’ai fait la connaissance de l’oeuvre de Pollock après sa mort. J’ai vu des peintures, non des événements ni des percées, tels étaient les termes de louange employés par les critiques ses contemporains. Les journaux et les magazines populaires, il y a encore peu de temps, continuaient à dire que sa technique était quelque chose que n’importe quel enfant pourrait faire. M’efforçant de dissiper l’atmosphère intellectuelle, pour et contre, qui entourait ces oeuvres, j’ai esquissé et copié les écheveaux de ses drippings. Une merveilleuse beauté décorative se trouvait là, dans les formes naturelles (comme opposées à celles gestuelles) produites par I ces lignes, en les dessinant ; je ne trouvai pas seulement les lignes attendues mais des formes étranges et des espaces. Ceux-ci sont tantôt uniformes, tantôt inégaux. Les couleurs sont entre-mêlées avec un lyrisme intense ; une fois donnée l’impression de complète spontanéité, une uni-formité étonnamment esthétique se répand d’un bord à l’autre de la toile. Une couleur, par exem-ple, aura été appliquée au moyen d’un bidon ; en contraste, une autre couleur est appliquée avec une brosse enduite de peinture. Suivre d’abord une couleur et puis une autre devenait une nouvelle façon de voir. En les regar-dant sur une période de temps, on a tendance à refaire marche arrière et marche avant suivant en premier un tracé et ensuite une couleur. Ces éléments séparés dans l’esprit quand ce n’est pas dans un carnet de croquis, peuvent alors être remis ensemble. C’est davantage un procédé de superposition que de réintégration, plutôt comme l’effet de myriade produit par les réminiscences d’une prome-nade à travers une ville pleine de néon. Les sensations évoquent le mouvement, même le mouvement actuel de celui qui regarde. Les peintures fixent un échantillon et particulièrement un rythme qui s’évade du monde alors qu’il reflète la ville. Les tempos ne sont pas en contradiction avec le mouve-ment de la ville ; leur tension la plus intérieure est en contrepoint une reconnaisance de ce monde. (Le mouvement intérieur d’un Rubens, par exemple, n’est pas compatible avec la vie d’une grande ville.) D’une expérience de confusion imaginée, perçue, et reconnue, Pollock a déclenché un ordre dans lequel chacun peut trouver un soulagement non évasif. Pollock ne possédait pas un savoir acquis de l’art traditionnel ; il en a inventé un pour lui-même. Il n’alla jamais en Europe et semblait fier du fait. Ouvert et optimiste, comme un inventeur bricoleur, il est tombé juste sur une solution technique (qu’il n’a même pas poursuivie au-delà d’un certain point, heureusement ou non). Les Femmes de Willem de Kooning (« Woman VI », par exemple), furent le signe que l’optimisme de l’après-guerre prenait fin. Un sujet ancien et traditionnel, la femme, surgit, multiforme et telle un phoenix, pour renouer les alliances avec les traditions de l’art, et stabi-liser la direction pendant que la peinture américaine prenait son envolée. De Kooning et son ami Arshile Gorky se détachèrent tous les deux d’une imitation souvent voulue du Picasso des années trente, et de l’utilisation déterminée de formes biomorphiques se rapportant à Miré et Matta. L’oeuvre de de Kooning, jusqu’au-delà de la quarantaine, utilisa comme accès la porte de côté. Il donnait l’impression de se cacher, lui-même et quelques-uns de ses intérêts, sous l’apparence de ce qu’il voyait (ou croyait voir) au coeur de l’avant-garde; la figuration était moins attaquée qu’excusée par son style. Il n’abordait pas son sujet (ou lui-même ?) de front, mais à travers des verres colorés par les théories ou même les amitiés de ses camarades artistes. Les racines euro-péennes de de Kooning et son intérêt pour la figure se déguisèrent jusque dans les premières années cinquante. (Rembrandt aussi évolua vers ses instincts naturels relativement tard dans sa vie.) Pour moi, les oeuvres de de Kooning les plus réussies et aussi les plus éclatantes sont ses abs-tractions des dernières années cinquante et des premières années soixante. Un jour, regardant des azalées d’un rose particulièrement horrible et sentimental, je me rappelai que de Kooning avait employé la même couleur; il avait fait avec des combinaisons de peinture inerte une couleur qui était vraie et riche. La couleur . naturelle » de la fleur avait acquis les valeurs de l’hypocrisie de la classe moyenne, la couleur des mariages des belles du Sud et celle des chambres d’enfants suré-quipées. La plante elle-même avait été forcée dans une serre pour fleurir à Pàques. Dans la peinture de de Kooning, le rose avait acquis la qualité de l’aération et de l’ensoleillement. Son coup de pinceau est grand et sûr, jamais naturel et sans réserve comme dans les sec-tions libres d’un Motherwell. De Kooning se déplace le long d’une barre, comme s’il était sur un pont suspendu au-dessus d’un grand ravin, partant du monde réel vers un monde sans changement. Toute la peinture tient en cela ; la compréhension me vient non de la recréation imaginative, mais par un autre chemin personnel précaire, jusqu’à sa vision unifiée et gracieuse. Une peinture comme Rosy-Fingered Dawn at Louse Point » pourrait être un rien, juste quelques traces de couleurs pâles et négligeables, si ce n’était aussi plein de maîtrise. Est-ce que cela ne devient pas un objet de contemplation morale? L’âme est constamment confrontée avec le réalisme, les buts sociaux et la droiture acquise; il y a, néanmoins, une qualité rare de vision qui embrasse l’ensemble, sans philo-sopher, sans organiser. Ne l’ai-je pas reconnue chez de Kooning? L’histoire semble avoir sa propre dialectique. Les Surréalistes européens ont été comme les pères des Expressionnistes abstraits américains dans les années quarante. « Nous les rencontrâmes et nous apprîmes qu’ils étaient des hommes, pas des dieux » (Barnett Newman). Les objets à travers les-quels les Surréalistes cherchaient à concrétiser la pensée devenaient, pour les Américains, de moins en moins satisfaisants et de plus en plus symboliques : dans leurs mains ils devenaient abstraits. Les Surréalistes paraissaient trop intellectuels. On souhaitait quelque chose de plus défini et plus concret, qu’il fallait trouver dans les matières elles-mêmes de la peinture. Ceci à son tour produisit une réaction. Mes premières impressions sur l’oeuvre de Jasper John étaient conditionnées. Les journaux, les magazines et mes professeurs condamnaient encore l’Expressionnisme abstrait comme incompréhen-sible, bête et négligeable. Quelle image n’importe quel peintre aurait-il pu leur donner qui soit plus flagrante, sacro-sainte et irrecevable que le drapeau national ? Excepté le regardeur le plus morose, comment n’importe qui ne se serait-il pas amusé de leur comique farceur ? La critique d’abstraction pourrait-elle encore être la même? L’intérêt intellectuel de la démarche de J. Johns était pour moi amusant, quoique un peu mince; les surfaces, néanmoins, étaient aussi belles que certaines des meilleures abstractions. Les connaisseurs les plus informés, au dire d’Irving Sandler, virent dans cette peinture une critique des théories courantes: Johns imp:ique que la peinture de chevalet et la belle peinture » et l’usage de la peinture plane ne sont pas des concepts morts comme le disent les critiques; que l’action painting et la « nouvelle » et moderniste aversion pour l’image sont à discuter. Ma réaction initiale à l’égard de Robert Rauschenberg (le même jour, dans la même galerie) fut plus forte; sa sensibilité complexe, multiforme, m’attira immédiatement et avec insistance vers son oeuvre. J’étais confronté avec un « choc de reconnaissance », avec toutes ses contradictions indéfi-nissables (présentes, peut-être, dans n’importe quel miroir vrai de la vie). Dans son oeuvre, Rauschen-berg critiquait, lui aussi, mais moins les théories de l’art que la folie de l’art tout entier. Son attaque pouvait être ironique, amère ou aimable; son ton n’était pas héroïque mais humain. Rauschenberg effaçait un de Kooning en traçant, littéralement en donnant un exemple de ce que les artistes appelaient un besoin d’effacer le passé. Pour différentes raisons, à l’opposé de Pollock, il acceptait volontairement les théories courantes et traditionnelles de l’art qu’il utilisai FIND ART, DOC