COLETTE ROBERTS * * * * INTERVIEW DE ROY LICHTENSTEIN …..muM1■11■■••••■ Roy Lichtenstein, qui enseigna au collège de Rutgers, New Brunswick, N.J., se trouva par cela même au coeur de toutes les expériences qui conduisirent au Pop Art et à ses ramifications. C’est là que naquit le « Happening », cette action de groupe dans un décor et un plan déterminés, mais chacun donnant son interprétation du thème. R. L. Oui, je crois pouvoir décrire la sensibilité Pop car je crois être aussi Pop que quiconque. Mais je ne crois pas que cela ait d’importance, et je pense que je m’éloigne de plus en plus de la tendance originale du Pop Art, de ce qui serait les idées les plus Pop et les plus bruyantes. Mais je pense qu’il serait erroné de dire que le Pop se rattache à l’art commercial par le seul emploi d’une technique d’art commercial. Sans doute la technique intervient-elle pour autant que l’on sache que les empâtements sur la toile communiquent une forme d’expressionnisme par la surface même et les réactions du ton. Au contraire, la peinture Pop dans l’ensemble parait avoir été conçue bien avant l’exécution et comme imprimée sur la surface. Il en résulte que la technique détermine le climat sensible du sujet. D’autre part, la nouvelle technique permet des moyens de reproduction, (ils existaient évidemment avec la gravure). Mais l’on ne pense pas d’habitude qu’une peinture puisse être reproduite ou plus exactement rééditée. Mais de toutes façons je pense que ce qui marque le Pop, c’est avant tout l’usage qu’il fait de ce qui est méprisé, tant en temps qu’objet que de la matière et de la méthode et on insiste sur les moyens les plus pratiques, les moins esthétiques, les plus beuglants des aspects de la publicité. C’est ça la chose la plus <. Pop », je crois, et je suppose que plus on s'en éloigne, plus on s'éloigne du Pop. Mais qu'un artiste soit ou non Pop, il est difficile d'en établir la ligne de démarcation. C. R. Mais ne pensez-vous pas que c'est le propre de l'art de ces dernières années que d'avoir opté pour les sujets discrédités? Sur ce point il me semble qu'il y aura toujours de nouvelles sources d'inspiration, et ce qui compte c'est ce que l'artiste en fait, et qu'il ne nous appartient pas de juger clairement sans le recul du temps. Je dois dire que votre emploi de la bande illustrée à une échelle monumenta'e, ne m'a intéressée que lorsque j'ai pris connaissance de vos oeuvres plus récentes et tout particulièrement ce portrait du trait de, pinceau comme celui récemment acquis par le Whitney Museum, et qui nous présente à la fois un produit sans repentir et le portrait d'une démarche... Quels furent vos peintres? R. L. J'ai eu des cycles divers. Je m'intéressais particulièrement à de Kooning... J'ai même eu une période Mondrian, brièvement. Mais je pense que Picasso et Matisse ont véritablement été les maîtres de mon choix, ils le sont encore. C. R. Et Léger ? R. L. J'aime Léger. Mais cela m'est venu plus tard. Je n'ai pas eu de contact avec rceuvre de Léger jusqu'à ce que je sois moi-même bien ancré dans ce que je faisais. Tout le monde voit des rapports entre mes recherches et celles de Léger, mais c'est lorsque je suis allé à Biot, en juin dernier, que j'ai compris. C. R. Comment vous êtes-vous échappé des traditions, de l'expressionnisme abstrait ? R. L. Il est impossible de copier et de s'exprimer avec vigueur. Je pense que le Pop, et toute la peinture géométrique, cachent la trajectoire à la fois de la conception et des méthodes de travail, parce que ces toiles paraissent complètement dénuées d'empâtement et de toutes formes d'accident : les jeux sont faits. Mais si je devais enseigner à nouveau, je crois que je ferais débuter mes étudiants comme par le passé, par l'abstraction lyrique. Comment un étudiant peut-il acquérir l'expression d'un rouge, du rouge juste par son voisinage, l'expérience de la quantité de rouge nécessaire pour que la chose puisse être complètement terminée avant même d'être commencée ? L'expressionnisme au contraire est véritablement le por-trait de la démarche de ('oeuvre... C. R. Ainsi vous préféreriez que l'étudiant prenne conscience de cette démarche mais pour ce faire, souhaiteriez-vous le priver de l'étude de l'objet ? R. L. Non, pas nécessairement mais cela n'a pas d'importance. La chose entière doit être repensée, réinterprétée, et il y a encore un sens de dimension, de position, d'intensité, et même de quantité qui conditionne les différences d'une toile à l'autre. C. R. Et puisque nous parlons d'objet, vous intéressez-vous à sa puissance occulte ou onirique? Quelles sont vos réactions à l'égard du surréalisme? R. L. Le surréalisme qui m'intéresse c'est celui de Max Ernst ou celui de Picasso. C. R. Faut-il en conclure que vous vous intéressez davantage à l'aspect plastique qu'au côté littéraire de l'expres-sion surréaliste? R. L. Oui, une peinture se doit avant tout d'être une peinture et non une image déterminée seulement par un contenu littéraire. Celui-ci peut être de l'art. Mais il n'appartient pas alors à l'art plastique. Mais on peut envisager aussi qu'une image de cet ordre ne soit ni littéraire ni plastique. C. R. Quel est à votre sens ce qui a permis au Pop Art de triompher ? R. L. Je ne sais vraiment pas si je le sais. C'est peut-être simplement qu'il y avait une fatigue à continuer dans la même direction, et certains se sont fatigués du dialogue avec la toile. Et peut-être le désir de camoufler, sous un formalisme apparent un lyrisme différent. Je ne sais pas si c'est exact, mais ce n'était pas un dégoût d'une autre forme, mais plutôt le désir de nous affirmer. Contrairement à l'abstraction lyrique née de la sensibilité européenne, nous voulions nous affirmer et souligner nos différences, notre milieu, les marais du New Jersey ponctués tous les cent mètres par les panneaux de la publi-cité industrielle. C. R. Et les cimetières d'autos, et !es dépotoirs municipaux sur votre route avaient-ils cessé d'exercer sur vous l'at-traction du misérabilisme et le désir de sauvetage? Avez-vous désiré par contraste l'emploi de l'objet neuf, de l'objet sans passé, impersonnel, tels que l'offrent les uniprix et les quincailleries? L. R. Oui, c'est vrai, je me rappelle m'être insurgé devant les clous rouillés ramenés par un étudiant et déposés comme un trésor sans rien y ajouter. Les initiateurs du genre avaient transcendés l'objet trouvé, mais les suiveurs n'en faisaient rien qu'une collection à valeur sentimentale. Que se passerait-il si sur cette même table vous mettiez simplement un séchoir électrique tout neuf ? Serait-ce vraiment quelque chose ? Depuis je me suis intéressé à cet objet. C. R. Pensez-vous que le Pop Art soit en rébellion contre le monde industriel ou en est-il la glorification ? R. L. Et bien je pense qu'il y a là une réelle ambiguïté. Le réalisme social d'autrefois s'étendait sur les vices du monde moderne. Ce monde moderne nous ne te considérons pas nécessairement mauvais. Au pire ou au mieux nous espérons nous en servir. Je pense plutôt que c'est une indifférence au monde extérieur qui nous caractérise. C. R. Est-ce cette indifférence qui amène le commentaire d'art cool ? (flegmatique). R. L. Ce serait très peu » cool » pour moi de le définir. En fait, malgré le caractère flegmatique des réactions, il y a une conscience d'objets hostiles imbus de pouvoir... Ce sont les panneaux publicitaires qui animent la désolation des pay-sages de l'Amérique industrielle. C. R. Définiriez-vous cet art cool comme une attitude flegmatique destinée à parler de l'objet. Est-ce véritablement le panneau qui se dresse sur les routes qui vous intéresse? R. L. Oui, sans quoi il n'y aurait rien sur les autoroutes. C. R. Le flegme en question, est-ce le regard détaché qui annexe le monde des apparences par une nouvelle forme d'objectivité? R. L. C'est objectif. Mais je pense qu'on peut y trouver aussi un aspect romantique, épique, en tout cas. Mes scènes d'amour, de guerre, parlent d'émotion, bien qu'elles empruntent des formes déterminées par un genre d'expression standar-disée. C'est une expression volontairement impersonneile, impersonnelle du seul fait que le modèle original (chargé d'émo-tion) était passé par les mains de cinq individus travaillant à la chaîne... C. R. Peut-on dire qu'il s'agit d'un code, d'un symbole accepté — un peu comme les masques de la tragédie antique ? R. L. Oui, c'est tout à fait cela, un sentiment automatique prédéterminé et intellectualisé. C. R. Pensez-vous que le cinéma par la multiplicité de ses éléments puisse prendre la place des arts plastiques? R. L. De toute évidence, la société lui donne la part d'honneur. Et qui aime vraiment la peinture? Même les peintres, s'ils en ont le choix, préfèrent aller voir un film que de regarder une peinture. Mais je pense que la peinture a toujours eu un auditoire limité, en fait son rayonnement est sans doute plus grand aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été. Mais les films ont la force du nombre. Il y a l'élément du mouvement et de la surprise. Dans le passé, l'opéra avait en somme la même fonc-tion et tout y arrivait à la fois. Je Pense que ces moyens d'expression sont surtout différents. Théoriquement je crois, ie pense, à la nécessité d'inclure d'autres arts, son, lumière, etc. Mais ils deviennent alors des objets d'art et sont encombrants s'ils comportent tous ces éléments. Ce qui est paradoxal, c'est que je me serve des moyens traditionnels de la peinture pour créer une anti-peinture ! Mais ce qui l'est bien davantage c'est que cette anti-peinture soit de la peinture. Extrait d'une interview de Roy Lichtenstein par Colette Roberts pour son programme « Meet the Artist » et ;es étcli9r ts de l'Université de New York (mars 1966).