L’Objet 2. Le premier « objecteur » fauteur de trouble aura été Marcel Duchamp. Son porte-bouteille et autres « ready-made » ont engendré une équi-voque qui dure toujours. La différence qui em-pêche de confondre un objet d’art et un objet tout court est d’ordre mental, si l’on admet avec Leonardo da Vinci que toute définition de n’im-porte quelle forme d’art est « cosa mentale ». L’exposition organisée par François Mathey et Michel Ragon à la Galerie Lacloche est intitulée « Pour un mobilier contemporain ». Elle est en quelque sorte l’appendice de la très importante exposition « L’Objet » (Antagonismes 2), dont François Mathey avait été l’artisan, au Musée des Arts Décoratifs. Mais, dans la première exposition, nous restions au niveau de la création pure. Ici, c’est du moins ce qui ressort de la préface de Michel Ragon, on attend de l’artiste qu’il se fasse le propre designer de ses idées créatrices, puis-que de toute façon les oeuvres originales des artistes sont pillées et vulgarisées par l’affiche, le tissu imprimé, le film, la couture, etc. Si l’on en juge par les oeuvres exposées, le résultat est peu satisfaisant, la plupart des artistes sollicités ayant été visiblement guindés par le bon de com-mande, tout le monde n’étant pas doué pour l’art multipliable autour duquel on mène grand tapage depuis quelque temps. La confusion entre l’oeuvre d’art originale et les productions de l’ « industrial design », me paraît une concession inutile. Car enfin, c’est la « mass media » qu’il s’agit d’ame-ner à l’art. Le processus inverse ne peut qu’accé-lérer la dégradation de l’essentialité de l’art (Galerie Lacloche.) S. F. Matta. « Le Honni Aveuglant ». La dernière exposition de Matta à la Galerie Iotas, était conçue comme l’occupation d’un espace, en l’occurrence, la saturation du plafond, des murs et du sol, par un ensemble de pein-tures dont les titres respectifs appartiennent au répertoire surréaliste du peintre, qui se veut aussi poète et poète… engagé. Matta, pour être certain d’être compris, agrémente sa peinture, qui se défend très bien sans commentaires, de mani-festes intransigeants. « Il faut que le tableau pos-sède le spectateur, lequel doit devenir minori-taire, etc., etc. ». Le simple amateur de peinture, même non-engagé, est capable d’apprécier l’inven-tion, le mouvement et la fluidité picturale des dernières oeuvres de Matta, sans trop se soucier des énigmes intentionnelles du sujet. J’ose même insinuer, que de plus en plus. les coquetteries esthétiques de la peinture de Matta, sont en con-tradiction absolue avec son attitude de poète mau-dit. Le cadavre devient de plus en plus exquis et passera partout. C’est tout de même une excel-lente exposition. (Galerie lolas.) S. F. Tapies. L’importance de Tapies est confirmée par cette exposition qui a été unanimement saluée par la critique. Tapies y manifeste un retour à la figure dans ses hautes pâtes telluriques d’une sombre et âpre somptuosité. Dans le bilan de sa généra-tion Tapies se trouve en première place. (Galerie Stadler.) G. G.-T. Cremonini. L’univers de Cremonini, toujours voué à l’am-biguïté des situations instantanées, semble acqué-rir par cette dernière exposition une définition plus précise, un chromatisme plus net. C’est une aventure d’une haute singularité qui se poursuit et dont cette période nous paraît particulierement envoûtante. (Galerie du Dragon.) G. G.-T. Thomas Erma. L’émouvante rétrospective de ce jeune peintre, mort à 25 ans, confirme l’originalité de son talent. A un moment où la technique requiert particulière-ment l’attention des critiques, le procédé de lacération qu’utilisait Erma apparaît comme pro-fondément original dans la génération de la pein-ture gestuelle. C’est une oeuvre où s’opère la synthèse entre la spontanéité créatrice et l’esprit de construction. (Galerie Karl Flinker.) G. G.-T. EN PROVINCE IV’ Festival des Arts plastiques de la Côte d’Azur. Depuis quatre ans, le Festival des Arts Plasti-ques de la Côte d’Azur cherche à se situer, à trouver, sinon une formule, du moins un axe de direction. L’a-t-il découvert en 1966 ? Nous ne le croyons pas. Sa première ambition, balayer la vermine picturale de la Côte et y implanter l’art contemporain, est réalisée. La seconde, créer un centre d’art vivant sur le littoral méditerranéen, est en voie de l’être. Le Festival se trouve ainsi dorénavant combattre des moulins à vent, posi-tion fausse et incommode ! L’une des possibilités du Festival a été large-ment exploitée cette année : celle des participa-tions étrangères. Le gouvernement canadien a fourni une exposition honorable (Musée des Pon-chettes, Nice) sous la référence de Borduas, avec le concours de peintres, sans surprises mais de qualité, comme Riopelle, Mac Even, Ferron, Bur-ka. L’art esquimau n’était pas la partie la moins intéressante de l’exposition. De la Biennale de Ljubljana était venu une remarquable praticipa-tion yougoslave (Musée de Saint-Paul-de-Vence). Bernik, Debenjak, Jaki, Sutej et leurs camarades sont des graveurs de haute qualité. Enfin le Cen-tre International de Tapisserie de Lausanne colla-bora au Festival en lui faisant recevoir des tapis-series parmi celles les plus actuelles (Musée Grimaldi, Antibes ; Galerie Madoura, Cannes). Nommons la Yougoslave Buic, le Catalan Grau-garriga, les Polonais Abakanowicz, Owidizka et Sadley, le Hollandais Fruytier. Le Festival doit-il s’engager dans cette voie ? Trouver, dans la présentation d’oeuvres non fran-çaises, une issue ? La question est posée, car lu participation régionale (Galerie A, Nice ; Bas-tion Saint-André, Antibes ; Galerie Madoura, Can-nes) pour intéressante qu’elle fût souffrit à la fois de son disparate et de son manque d’originalité. Le Festival ne doit-il pas apporter des éléments nouveaux, garder sa volonté d’implanter les for-mes d’art les plus en pointe, retrouvant par là son « punch », risquant l’erreur, certes, mais avec honneur ? Quatre-vingts peintres et sculpteurs ont donné à ce IV’ Festival sa qualité, car nos réserves ne vont pas à la valeur des oeuvres, mais à l’esprit même du Festival et tentent de cerner son ave-nir. N’omettons pour conclure de citer l’exposi-tion d’architecture réunie par Claude Parent (An-tibes, Bastion Saint-André) importante contribu-tion de cet art à l’ensemble de la recherche plas-tique. Jacques LEPAGE. VIS Biennale de Menton. Si l’on exclut quelques Brayer et Mac Avoy, la VI’ Biennale de Menton, consacrée à Picasso, présente un excellent inventaire de la peinture moderne, à condition de considérer que depuis 1955 l’art n’a plus évolué. Cette réserve d’impor-tance faite on trouve avec plaisir au palmarès de cette importante manifestation Tapies, Poliakoff, Busse, Huguette Bertrand, Caillaud. Regrettons que l’envoi de Zack, fort beau, fut mal récom-pensé par un prix de séjour. La place nous manque pour un commentaire précis ; citons la salle réservée à Picasso avec 14 oeuvres du peintre, et, un peu au hasard, des oeuvres aussi différentes que ce les de Schneider, Key-Sato, André Bloc, Magnelli, Verdet et Vasa-rely, ou celles de Pallut, Goetz, Domoto, Germain, Tatin et Villeri. Tous peintres invités avec trois toiles, comme aussi Masson, Manessier, Jamart, Guitet, Jaréma, Luc Peire, Pelayo, Springer, Lebenstein, Leppien, Crociani, Capdeville, Tal Coat et Clavé. Des 400 pièces présentées au Palais de l’Eu-rope — l’un des plus somptueux édifices consa-crés en France à des expositions — se dégage une impression de haute tenue, de grande hon-nêteté et de fort beaux talents. La Biennale nous a-t-on dit, entend s’en tenir à des valeurs éprou-vées, et c’est peut-être sagesse si elle n’est pas préparée à découvrir l’art en gestation, l’art qui se fait aujourd’hui et non hier. J. L. Saint-Paul-de-Vence. Kandinsky. L’invention, une vertu créatrice jamais en défaut, une fertilité où l’imaginaire se développe, foisonnant, multiple, assuré sur un langage plas-tique et chromatique sans défaillance sont les évidences rencontrées à l’exposition que la Fon-dation Maeght consacre à Kandinsky pour le cen-tenaire de sa mort. Cent dix-huit pièces, en majo-rité des huiles, retracent la carrière du peintre depuis 1900 jusqu’à sa mort. Et cet inventaire accumule les témoins de ce que furent les ori-gines d’un demi-siècle d’art : germes, sources, trouvailles que vont exploiter plusieurs généra-tions de peintres. Prodigieux recensement des possibilités de l’esprit ! Toutes les voies lui sont bonnes pour se manifester, et, sans jamais appuyer, il jette à la vie des intuitions fulguran-tes, comme ce « quadrat » de 1927 qui contient, virtuel, tout l’op-art. Cette fécondité contrôlée par un humour minéralogique, ne cesse de nous confondre. (Fondation Maeght.) J. L Saint-Paul-de-Vence. Mathieu. Mathieu, par l’emploi de collages, tente d’accor-der une nouvelle dimension à ses calligraphies. Donne-t-il ainsi à la giclure du trait un équilibre statique qui traumatise la projection virtuelle de son écriture? C’est douteux. Reste un étincelant jeu de traces. (Galerie la Vieille Echope.) J. L. Saint-Paul-de-Vence. Moreels. La sculpture de Moreels reste proche des ori-gines végétales et organiques. Elle se développe sur des pouvoirs très conscients de sublimation, avec, en réserve, un fond d’artisan, et en apogée une appropriation mythique du monde. (Musée de Saint-Paul-de-Vence.) J. L. Vence. Malaval. « L’aliment blanc » déferle, envahit, pollue : lèpre et chancre il taraude chairs et objets et d’un corps féminin fait un brandon d’horreur. Malaval, l’un des plus doués du groupe de l’Ecole de Nice, nous communique ainsi son délire qu’il nous mesure avec une sûre conscience plastique (Galerie de la Salle.) J. L. Vence. Robert Tatin. Fruits mûrs, gonflés de suc à se fendre, les oeuvres de Tatin portent en elles un flux mysti-que, une immanence cosmique, qu’un humour blanc transfigure, les humanisant pour nous per-mettre d’accéder à cette plénitude d’oeuf brah-maïste où s’engendre un univers au seuil d’une explosion galactique. (Galerie de la Salle.) J. L. Vence. Max Ernst. Max Ernst garde le privilège de la spontanéité même dans les oeuvres les plus élaborées. Son humour acide dévaste des pans de préjugés et d’une chiquenaude remet en place cuistres et pédants. Les oeuvres récentes, que montre Alphon-se Chave, ne témoignent d’aucune fatigue, mais au contraire d’une vision aiguë et d’un sens de la couleur extrême. (Galerie A. Chave.) J. L. Vallauris. Picasso. Vingt ans déjà que Picasso, se fixant à Vallau-ris, découvrit chez Georges et Suzanne Ramié l’art de la céramique. La Galerie Madoura qui édite ses oeuvres depuis ce temps en présente une rétrospective où la prodigieuse fécondité de Picasso se retrouve dans ses thèmes favoris, « combat de centaure », « faune et toro », la grande série des assiettes, « Jacqueline »… Une invention qui tient du sortilège et dont la verve inépuisée est haute jubilation. (Galerie Madoura.) J. L. Cannes. Farhi. Avant de transformer par un acte chromatique l’objet industriel, ce que nous verrons bientôt, Farhi s’est attaché à projeter sur écran — toile, papier, bois — le spectre des résidu évidents de l’ère mécanique. Sur une d les mains de César ont été saisies pal peinture et le sculpteur a consigné I peintre. (Galerie Verrière.)