Henry Gaiy-Carles Réflexions sur la peinture française des vingt dernières années. Considérant l’évolution de la peinture contemporaine sous l’angle g’obal et international, en faire le panorama purement français cblige à consi-dérer le problème d’une manière différente suggérant quelques réflexions. En effet, séparer les artistes français de leurs confrères étrangers de Paris, établir une liste aboutissant à une centaine de noms d’artistes qui d’une certaine manière, avec plus ou moins d’efficacité, de bonheur, ont illustré ces vingt dernières années de peinture, est un choix restreint par la nécessité de se limiter aux artistes de la génération, à ceux ayant aux environs de 45 ans maintenant, ayant abordé leur adolescence au moment même où commençait la dernière guerre mondiale, ou durant cette der-nière, et qui devaient en être tous profondément marqués; engendrant un jugement d’autant plus relatif également que si l’on peut percevoir avec certaine clarté les différentes phases de l’évolution de la peinture de ces vingt dernières années, il est difficile de porter un jugement définitif sur des artistes parvenant à peine à leur maturité, dont on ignore encore la future évolution artistique; seul, le jugement dans le temps pouvant avoir une quelconque valeur, dégagé des contextes du moment ou affectifs; en effet, si l’on projette un regard sur le passé, seuls une quinzaine d’artistes par génération la transgressent, parviennent à une notoriété n’ayant plus rien à voir avec les données immédiates et fluctuantes de la mode ou de l’instant, des hallucinations ou des engoûments collectifs; d’autant plus qu’il est difficultueux de toujours distinguer dans l’instant entre: les nova-teurs; ceux qui amènent cette découverte à son point ultimum de tension significative; et les suiveurs qui ne comprennent que la Lettre et non l’Esprit, mais qui se dissolveront rapidement dans le temps comme un fruit mort ; aussi les artistes dont on fera mention dans ces lignes, illustrent-ils, cette période artistique, d’une manière sans doute relati-vement subjective, mais le plus objectivement possible, selon certains critères, tels que l’évidente possession du métier, le pouvoir de transmis-sion psychique dans l’ceuvre avec une non moins évidente force et un souffle allant jusqu’au lyrisme poétique, le don de recréation d’un univers fortement personnalisé, sensible, subtil, plein d’acuité dans la prise de conscience des contextes, avec un équilibre structural fortement concentré en profondeur, et clair dans sa signification. Donc, après examen de la situation, on s’aperçoit que la « Nouvelle Figuration » dont on a beaucoup parlé, dont on parle encore, que nous considérons comme étant un « Néo-Expressionnisme » d’origine scandinave et anglo-saxon, expression la plus intégrée, la plus parfaitement identifiée au psychisme et à la philosophie de ces pays, n’est pas le « fait » des artistes français, à peine cinq d’entre eux peuvent-ils s’en recomman-der; de même la « Figuration Narrative », cousine de la première, reste-t-elle également peu le fait des Français, cinq ou six environ ; cette ten-dance représentant plus du reste une forme d’opposition au classicisme pictural traditionnel, dans la mesure où, intégrée dans l’histoire, la peinture abstraite est devenue un « moment » classique spécifique, et représente-t-elle un aspect de la révolte de la génération nouvelle, laquelle, c’est naturel, doit faire ses expériences; les ruptures brutales en sont un mo-ment, avant qu’elle ne trouve l’écriture qui la personnalisera, et permettra aux meilleurs de ses représentants de rejoindre une pérénité d’esprit classi-que, universelle ou simplement nationale. Des « Surréalistes » de tradition classique conventionnelle dans l’écriture, seuls Malaval, Lemesle, Lamy, d’Orgeix, Le Maréchal l’illustrent; or, il est à remarquer que picturalement la peinture surréaliste n’est pas non plus un fait français dans ses meil-leures réussites, et si elle jouxte par certains aspects la « Nouvelle Figura-tion », elle n’apporte rien de nouveau dans l’histoire de la peinture contem-poraine; cette nouveauté venant exclusivement de l’écriture abstraite, comme le furent en leur temps les écritures fauve ou cubiste. Il en est de même encore de ce que nous appelons l’ « Intégrationnisme » dans lequel on peut ranger le « Nouveau Réalisme », le « Pop’art » et tout ce qui pourrait se situer à quelques lieux de gravitation du « Dadaïsme » ; parmi les Français, Yves Klein passa dans l’art contemporain comme un météore n’étant pas sans faire penser à Lautréamont en littérature, en une autre époque; cas isolé, mais important, auquel on doit ajouter Arman et Niki de Saint-Phalle, car tous trois portaient, et les deux derniers portent encore dans leurs meilleurs réalisations, une authentique présence, un univers foncièrement leur. G) ra co ra o Enfin, quelles sont les données exactes, particulières aux artistes fran-çais, et leurs tendances dominantes? D’une manière assez égale le premier partage caractéristique se situe au niveau de la prépondérance caracté-rielle des artistes, soit à tendance intravertie, soit extravertie, l’une signi-fiant que l’artiste se penche davantage sur son univers subconscient, l’autre qu’il s’attache plus à l’univers extérieur, encore ne peut-on établir une ligne rigoureuse entre les deux tendances, le dénominateur commun à tout artiste créateur étant avant tout un penchant particu:ier à l’intraversion, seulement peut-on distinguer une prépondérance p’us marquée dans un sens ou dans l’autre. Ainsi le « Naturalisme Imaginaire Abstrait » est-il de loin la tendance la plus importante des artistes français à prépondérance extravertie, et représentée par une quarantaine d’artistes; rien d’étonnant, par tradition les artistes français s’écartent rarement du dialogue de l’homme avec la nature, aiment par atavisme et par besoin d’équilibre la structuration cartésienne, rigoureuse de l’ceuvre; parmi ces artistes quel-ques-uns apparaissent comme ayant à ce jour le mieux exprimé leur uni-vers et leur personnalité, comme leur style, tels Robert Lapoujade, Pierre Gastaud, Baron-Renouard, Olivier Debré, Oscar Gauthier. Parallèlement au « Naturalisme Imaginaire Abstrait » se développe la tendance plus intravertie, parmi laquelle on trouve d’une part les « Inobjec-tifs », de l’autre les « Egocentristes abstraits », puis, les « Subconscien-tistes » ; mais signalons, auparavant que si le « Géométrisme » à part les aînés Delaunay, Herbin, Hélion, n’est pas un fait caractéristiquement français non plus — seul de la génération Dewasne fit partie du mouve-ment d’après-guerre, et plus tard Thepot — il marque une rupture avec la nature conventionnelle, et le début d’une écriture nouvelle, mais reste également un absolu idéologique, éthique et esthétique; on peut cepen-dant à la lueur du temps considérer que ce mouvement nécessaire, utile et plein d’enseignements, peut devenir, comme pour Thepot par exemple, une écriture s’éloignant du formalisme esthétique pur de la recherche visuelle ou polychromique, et un support permettant d’exprimer avec subtilité son moi intérieur ; le temps en effet, faisant éclater les cadres et engendrant d’autres prolongements, ce qui classe les géométriciens comme Dewasne parmi les « Inobjectifs », dont le but est davantage le tableau-objet que l’expression des préoccupations intérieures, bien qu’il soit difficile de disjoindre la recherche pure de l’homme lui-méme, mais il y a là une conception qui amène l’artiste, soit à s’abstraire de rceuvre le plus possible, soit à s’y engager au contraire psychiquement entière-ment. Et c’est ainsi, en effet, que la « génération » éprouva la nécessité de s’opposer au carcan géométricien, en introduisant le dynamisme bergso-nien qui la libérait d’une contrainte et correspondait mieux à l’accélération des temps nouveaux d’après-guerre; ce fut un éc’atement en France qu’illustrent les oeuvres de Mathieu et de Soulages, encore que l’on puisse considérer ce dernier comme « Inobjectif », ayant recherché et trouvé une écriture nouvelle convenant à ses goûts esthétiques et intellectuels, plutôt qu’un « Egocentriste Abstrait » ayant entièrement engagé son moi dans rceuvre comme le fit Mathieu, comme Miotte, pour lequel l’action-painting devient, elle, une écriture concertée, passée au crible de !a concentration, du dépouillement, ayant pour but de mettre en évidence la permanence de son dynamisme intérieur dans une tension fruit d’un choix, d’une réflexion dans le temps. Enfin, le « Subconscientisme » qui est, dans la durée, la suite logique de cet « Egocentrisme Abstrait », car, étant la prise de conscience de ce que le « Surréalisme littéraire et poétique » a réellement apporté à l’évolution picturale: la transmission par l’artiste de son univers subconscient sur la toile, soit sous la forme du signe comme Degottex ou Georges Noël, soit sous celle figurée, mais allusive, comme le font un Hanich, un Chapuis ou un Clerc. Ainsi, une quarantaine d’artistes se rattachant au « Naturalisme Imagi-naire Abstrait » extravertis; une trentaine plus axés sur le prétexte égocen-trique, intravertis, et vingt-cinq autres environ, engagés dans les cinq autres voies moins spécifiquement françaises, illustrent-ils les différentes activités picturales des artistes de la première génération d’après-guerre. H. G.-C. Olivier Debré.