Laubiès Yves Levêque Nikos Pierre Restany Le déclin de l’art abstrait a entraîné bien des faux-problèmes, à commencer par celui de la nouvelle figuration. On a de plus en plus tendance aujourd’hui à lire en clair ce que naguère on ressentait par intuition diffuse: les paysages « abstraits » d’hier sont devenus lisibles. Ce n’est pas tant la peinture qui a changé que notre vision des choses. L’orientation réaliste actuelle correspond à une exigence de la sensibilité profonde, il ne s’agit pas d’un simple changement de style. L’erreur est de tomber dans l’impasse rétrograde d’un naturalisme moderniste : les bons sujets comme les bons sentiments ne font pas la bonne peinture. La seule figuration vraiment « nouvelle » aujourd’hui à Paris, c’est l’art mécanique, l’ensemble des recherches tendant à la restructuration de l’image bi-dimensionnelle au moyen de procédés industriels. Ces oeuvres sont le fruit des techniques les plus modernes de la communi-cation de masse, leurs procédés d’élaboration sont empruntés au journa-lisme, à la typographie, à la photographie, aux méthodes de prises de vues ou d’impression sur tissu : reports photographiques d’images com-posites (collages de Bertini, macules de Rotella, cinétisations de Pol Bury), montages de plaques impressionnées et aimantées (S. Béguier), impressions à grand tirage d’une composition clichée à partir d’une diapositive (les « Gadgets Girls » ou les « Grenouilles » d’Alain Jacquet, tirées à cent exemplaires, sont pliables, lavables, et munies d’un ourlet gonflable qui leur sert de cadre). Quant aux « Fantasmagories de l’Identité » de Nikos, elles procèdent à la fois du théâtre d’ombres et de la prise de vues. Des personnages évoluant derrière un écran lumineux sont photographiés dans l’instan-tané d’une attitude ou d’un geste. L’image ainsi obtenue, fascinant par l’altération imprévue de ses contours, est directement agrandie sur toile ou sur n’importe quelle surface plane émulsionnée. Dernier venu de cet art mécanique, de ce mec-art pictural qui a d’ailleurs donné son nom à un nouveau style de la haute couture (1), Neiman cliche des détails de nus, les recompose et les assemble sur des plaques métalliques sen-sibles, colorées par virage. Béguier, Bertini, Pol Bury, Alain Jacquet, Neiman, Nikos, Rotella après le pop, après l’op, voilà le mec-art. La liste de ces recherches parisiennes sur l’image nouvelle est suffisamment longue pour être signalée comme une orientation collective qui affecte l’un des secteurs les plus vivants du monde de l’art. Les parrains pop-US du groupe, les Rauschen-berg et les Warhol ont préféré, eux, s’en tenir à la sérigraphie, au report indirect du cliché sur une trame intermédiaire. Ils sont techniquement dépassés sur ce terrain. Le moyen est devenu une fin en soi. Mécanisation et automatisation de l’image vont désormais de pair: nous sommes, malgré la survivance du plan de la toile, à mille lieues de la peinture de chevalet classique. De l’aboutissement de ces démarches dépend le succès de l’art méca-nique, dont l’enjeu est de taille: l’enracinement de la conscience réaliste moderne dans une iconographie origina!e, capable de s’accommoder du support plan sans renoncer à la révolution du regard qu’elle incarne. P. R. (1) L’art mécanique en peinture a déjà une longue histoire, jalonnée par deux « Hommages à Nicéphore Niepce » (Paris, octobre 1965; Bruxelles, février 1966) et une manifestation collective dans le cadre des expositions de « Donner à voir (juin-juillet 1966). Le critique Otto Hahn a qualifié cette « peinture » de mécanique et Alain Jacquet est à l’origine du diminutif « mec-art », terme que j’ai repris dans le manifeste de présentation de la mode Paco Rabanne le 21 avril 1966 au Crazy Horse Saloon. Le mec-art dans la couture, c’est « le style mécanique d’une époque hautement mécanisée »: « têtes après-bain » emprisonnées dans des casques à visière de cosmonautes, croupes galbées dans des « pantes spor-tifs », bustiers de plastique aux charnières articulées, et en guise de bijoux fantaisie, des clips-manomètres.