JEUNES ARTISTES FRANÇAIS OPINIONS DES CRITIQUES André Fermigier Vous me demandez mon opinion sur l’avenir de la jeune peinture française. C’est très aimable à vous, mais je tiens à vous dire tout de suite que, la nature ne m’ayant pas attribué le don de prophétie, je n’ai aucune espèce d’avis sur la question. L’avenir de la peinture ne dépend ni des souhaits des amateurs, ni des analyses des critiaues, ou même des histo-riens, mais des peintres seuls : rien, en 1906-1907, ne permettait de prévoir le coup de théâtre et le coup d’Etat des « Demoiselles d’Avignon ». Bien sûr, il y a des tendances que je laisse à de plus avertis que moi le soin de déchiffrer et de cataloguer. Il y a des gens qui se rencontrent, discutent autour d’un verre de bière, ont parfois des préoccupations com-munes. Il n’en reste pas moins que, malgré l’importance des déterminations historiques, qui ne sont d’ailleurs évidentes qu’après coup, toutes les révo-lutions, les découvertes et les réussites artistiques sont, en peinture surtout, le fait des individus. Les mouvements, les écoles, dont notre époque est si friande, sont toujours des illusions rétrospectives ou des coalitions de médiocres, et n’ont d’existence, à la rigueur, que sur le plan moral : ainsi les impressionnistes. Je ne connais qu’un mariage heureux dans l’histoire de l’art, celui de Braque et de Picasso entre 1907 et 1914. Mais il n’a pas duré longtemps et le cubisme délibéré ne concerne plus que des peintres de troisième ordre. D’ailleurs, pourquoi tant parler de la jeune peinture ? Vous ne trouvez pas cette démagogie et presque ce racisme de la jeunesse à la longue un peu irritant ? D’autant plus que les vertus propres à la jeunesse ne trouvent guère leur emploi dans la peinture, surtout en France, où le génie est plutôt affaire de critique et de maturité. Julien Benda disait (au lendemain de l’autre guerre, à l’époque où la jeunesse commençait à devenir à la mode) : « La jeunesse est une valeur en fait de sport, en fait de guerre, en fait d’amour, non en fait d’art », et Picasso répondait il y a dix ans à qui lui demandait s’il connaissait un jeune peintre d’avenir : « Oui, moi. » Le recours à la jeunesse, loin d’être une manifestation d’audace et de vitalité, caractérise presque toujours les époques artistiques médiocres et stériles. On s’en remet alors aux jeunes gens comme, en vacances lorsqu’il pleut, on espère qu’il fera beau demain, même si le baromètre descend. La situation est d’autant plus périlleuse que jamais la production artis-tique n’a été déterminée comme elle l’est aujourd’hui par l’organisation commerciale du marché artistique. Les styles sont devenus des modes et, l’euphorie des années 50 passée, la nécessité de stimuler les ventes et d’appâter un public souvent fort peu averti fait que l’on « sort » périodiquement un peintre, une école, une formule, exactement comme les fabricants de disques lancent à intervalles de plus en plus rapprochés un nouveau chanteur « yéyé », une nouvelle « idole des jeunes ». A ce jeu, auquel se prêtent volontiers des marchands peu scrupuleux et des critiques en général plus bêtes que méchants (mais vraiment très bêtes), c’est le plus vulgaire, le plus bruyant et le plus arriviste qui a évidemment grande chance de l’emporter, aux dépens de ceux qui ne sont pas armés pour ce genre de mascarades et auxquels il faut bien du courage pour continuer à peindre. Je dirai même que les conditions du marché, l’atmosphère de la cri-tique sont telles que la bonne peinture, au sens modeste mais estimable du terme (paysagistes de 1850, par exemple), n’a aucune chance d’être aujourd’hui reconnue et même tolérée. // y a, bien sûr, à Paris et ailleurs, d’excellents artistes, même parmi les jeunes peintres, que je n’ai d’ailleurs pas à nommer, rien ne m’habilitant à établir des palmarès. Mais, franche-ment, la situation générale me paraît plutôt déprimante. Les expositions que j’ai vues la dernière saison, surtout les expositions collectives (Salon de la Jeune Peinture, Salon de Mai, Biennale de Venise). m’ont laissé de bien mauvais souvenirs. Je ne parle même pas de ces gens chez lesquels l’astuce commerciale la plus, impudente s’allie à la plus crapuleuse nullité artistique. Je parle de l’ensemble, du climat. Tout cela m’a paru mou, très mou et même, si je peux me permettre cette expression, passablement tarte. Ce n’est peut-être qu’un mauvais moment à passer. Il y a des époques de vaches maigres. La fin du XVII’ siècle, l’entre-deux-guerres, ce n’était pas non plus tellement brillant. Et puis on a fini par en sortir. Attendons un sauveur. A. F. Tout ce que je dis là ne concerne que la peinture, pas l’architecture ni même la sculpture. Denise Breteau La vie artistique, actuellement, est grave mais passionnante. Nous sommes, je pense, en ce moment à la fin d’un cycle, avec tout ce que cela comporte de décadence et de faux problèmes. Nous subissons le manque d’exigence de ces dernières années de tout le monde, que ce soient les galeries, les critiques ou même les vrais artistes qui, par mollesse ou désintérêt, ne désavouent pas les faux. Présenter quelques jeunes en ce moment me paraît illusoire, tout d’abord parce que, pour ma part, j’en connais encore très peu qui soient dignes d’intérêt et, de plus, submergés par la mode qui sévit sur toutes les cimaises, ils passeraient inaperçus, ce qui ferait beaucoup plus de mal qu’autre chose. C’est pour cette raison que je n’ai organisé cet hiver que des expositions de réflexion, que j’ai l’intention de continuer la saison prochaine. Elles doivent précéder et annoncer la présentation de nouveaux, qui ne sont pas spécialement des Français et qui ont des préoccupations motivées par une tout autre morale artistique. D B.