CINQ RECHERCHES (Suite de la page 6.) 3. L’architecture ? L’exploration d’un principe L’architecture de C. Parent fut toujours expérimentale. Cet archi-tecte avait un tempérament trop exubérant pour accepter longtemps des limites et s’enfermer dans une recherche étroite et sage. Aussi va-t-on assister à des tentatives dispersées (ou qui le paraissent) plus ou moins abouties, mais ici la qualité, le bon goût n’ont pas d’importance en eux-mêmes, seule compte l’expérimentation, ou la concrétisation d’une idée : idée du contraste, de la lutte de deux éléments, idée du vide, idée de capter l’espace environnant par des prolongements virtuels amorcés par des appels, poutres, profils… Architecture du risque et de la puissance oi s’affirme la primauté de la forme activatrice de l’espace, qui domine plutôt qu’écoute, qui s’impose plutôt que se plie. Mais, au fur et à mesure de ces expériences, une série de faits va s’imposer. Tout d’abord, la résistance du milieu à l’implantation de toute oeuvre nouvelle qui oblige l’architecte à un combat épuisant, débilitant contre l’administration, les techniciens, les clients. Ensuite la détérioration rapide des réalisations dont l’architecture est vite diluée par une accumulation de détails qui s’y opposent. Enfin le manque de portée des oeuvres réalisées qui restent isolées, sans répercussion. Comprenant l’architecture plus comme « invention d’un monde » que comme résolution de problèmes limités, C. Parent va donc modi-fier toute son attitude. La fondation du groupe Architecture-Principe avec P. Virilio, l’étude du complexe paroissial de Nevers en 1963, constituent le pivot de cette évolution. Les numéros de leur publication manifeste « Architecture Principe », leurs projets utopiques et concrets en sont les témoins. S’y affirment deux objectifs essentiels : — réveiller l’homme inerte en le sensibilisant à l’architecture et cela de la façon la plus directe et brutale : l’architecture sera somatique ; — animer la masse humaine urbanisée, comprise comme un fluide : l’architecture sera dynamique. Ainsi, à la volonté de provoquer la répulsion, le vertige, la claus trauphobie, le déséquilibre répond celle de canaliser, potentialiser, rendre énergétique cette nouvelle matière, et ii est normal alors que cette architecture rencontre l’ouvrage d’art et se retrouve dans l’archi-tecture militaire et hydraulique. Les études de Nevers et Charleville confirment ces notions : Nevers, premier exemple d’architecture somatique ; Charleville, premier exemple d’architecture potentielle, l’une roche massive, îlot de survie, l’autre tremplin émergeant du sol ; ainsi à la polarisation répond la canalisation. Une telle architecture ne peut être méconnue. 4. L’architecture ? L’expression de l’inspiration Autant il fallut longtemps à C. Parent pour obtenir des programmes d’une certaine envergure, autant ce fut rapide pour Labro, Orzoni et Roques. On ne sait plus si le plus étonnant est qu’ils aient bénéficié de telles conditions ou qu’ils aient su en tirer un tel parti. Architecture inspirée et romantique, sa qualité provient plus de la personnalité de ceux qui la conçoivent que des idées qui la sous-tendent. Espérons que personne ne l’érigera en dogme et que l’on comprendra qu’on est loin d’une fantaisie débridée, d’idées accumu-lées, qu’elle n’est pas gratuite, mais pour ceux qui la conçoivent seule expression possible. Les projets d’habitations pour le Mont Olympus n’étaient qu’un balbutiement, mais on pouvait déjà y sentir l’importance donnée à la spécificité des espaces, la volonté d’arriver à des lieux vivants et organisés avec une grande flexibilité, une grande souplesse, une grande richesse, enfin le désir d’obtenir des espaces internes et externes qui s’interpénètrent et réagissent les uns sur les autres. Le projet d’Avoriaz est d’une toute autre dimension. Sa puissance est due pour beaucoup au cadre qui a été véritablement la source, le noyau de leur inspiration, inspiration qui est pour une telle archi-tecture essentielle. Rappelons que cette station de sports d’hiver, située au-dessus de Morzine, en Haute-Savoie, bénéficie d’un relief exceptionnel, très tendu, dramatique et jusqu’alors in touché ; que les architectes y ont demeuré un long moment avant de commencer les études, que le rythme de celles-ci fut extrêmement rapide puisque, six mois après le début des projets, la construction des deux premiers bâtiments (hôtel des Dromonts et le Séquoia) démarrait, qu’un an plus tard, tandis que celle-ci se terminait, le gros oeuvre des deux bâtiments suivants (le Mélèze et l’hôtel des Hauts-Forts) approchait également de sa fin. Ainsi, pour ces architectes dont c’étaient les premières réalisa. tions, l’expérience est venue véritablement durant les chantiers. Deux éléments sont caractéristiques de ces études : — la part essentielle de l’inspiration s’appuyant principalement sur l’ambiance du lieu et sur ses grandes lignes de force ; — l’utilisation de tous les éléments de manière expressive, ce qui n’est pas sans rappeler les conceptions « organicistes » de H. Haring. Seulement, ici, les volumes extérieurs ont été déterminés en premier lieu en résonance avec le cadre, puis ont été sculptés, modelés, entail-lés par l’impact de toutes les nécessités du programme, exprimés et non englobés. Si les premiers bâtiments sont moins aboutis, c’est principalement parce qu’il s’agit encore d’un traitement de surface qui n’a pas réelle-ment plongé au coeur des bâtiments. Les espaces internes sont restés très classiques, comme s’ils n’avaient pas été atteints par le rayonne-ment extérieur. Mais tous les mouvements de façades, tous tes décro-chements ont leur raison d’être, due soit a la fonction, soit à leur structure, soit à leur liaison avec l’expression d’une organisation inté-rieure. Le relief, la vue, l’ensoleillement furent ainsi déterminants, et si l’expression finale est dramatique, c’est bien parce que ce lieu est dramatique. Avoriaz est sûrement aujourd’hui l’un des hauts lieux de l’archi-tecture en France. Il faut l’avoir vu. 5. L’architecture ? L’épanouissement d’un monde poétique Avec l’architecture de Baley, Ginat, Marcoz, c’est dans un tout autre monde que l’on pénètre. Ses racines, ses motivations, ses objectifs ont peu de rapports avec ceux des architectes « modernes ». « Sa » réalité n’a rien à voir avec « leur » réalité. Son point de départ est sa vision de la nature, sa connaissance n’est qu’analogique, son moyen n’est qu’exaltation, son objectif, la connaissance de la vie. Elle affirme avant tout que toutes choses se développent à partir d’un couple qui seul permet la fécondation ; qu’il n’y a pas de rivière sans lit, que seule la forme ouverte est vivante car en elle peut pénétrer l’espace. Toutes ses oeuvres veulent être épanouissement d’un thème inspiré par le lieu, où chaque élément obéira à la loi générale aboutissant ainsi à la variété et la richesse, ce que démontrent trois oeuvres brillantes qui sont éclatement d’espaces contraints. L’appartement Baley, par la matérialisation de sa plus grande dimension, la diagonale, s’oriente et, par ce geste, guide toute ‘a conception, se répercutant en toutes choses, dans l’ornementation qui est citation, dans les rythmes qui sont accentuations. L’appartement Zimmermann, encerclé par des immeubles, va pro-fiter de sa seule possibilité et, par sa verrière crevant l’ancienne ter-rasse, attraper la lumière et dilater l’espace qui ne sera qu’enchaî-nement et développement. L’habitation à Ezanville, prise entre deux murs mitoyens obliga-toirement aveugles, exprime le pouvoir de la géométrie qui, à partir du coeur central, renfermant l’escalier et les cheminées, déploie ses bras, brise le parallélisme, lie intimement les lieux, guide la lumière au coeur même de l’espace. Mais de telles oeuvres peuvent-elles se définir ? Seule la poésie semble capable de les reconnaître. Mieux vaut alors les laisser parler elles-mêmes. En elles réside l’une des voies les plus riches de l’archi-tecture. F.L. Wright avait non fermé mais ouvert une porte, peu de gens semblent s’en être rendu compte. (A suivre.) PHOTOS MAILLARD-DUCAMP : G. Martin, Maillard-Ducamp. RENAUDIE, RIBOULET, C. Michaelides. PARENT, VIRILIO : G. Ehrmann, P. Goulet, J. et F. Beyda, P. Joly-V. Cardot, P. Goulet, Souverain, Ph. Martin Mayeur. BALEY, GINAT, Hôtel des Hauts-Forts, maquette W. Suchodolsky. THURNAUER, VERET: P. Joly-V. Cardot, J. Biaugeaud, Y. Guillemaud, J. Masson, Schnapp. LABRO, ORZONI, MARCOZ : P. Goulet, D. Ginat.