Structure Une structure est une ossature-support ma-térialisée sur laquelle prend appui le mental. L’architecture est la structure de liaison en-tre les éléments de l’univers: terre, air, mer et l’homme. C’est le potentiel inclus en sa réalité concrétisée qui sert de truchement, permet d’établir un transfert entre le mental et le monde préhensib:e. Le transfert est rendu possible par la matérialisation de la notion d’espace. C’est à cause de sa matérialité même que l’architecture est inéluctable. L’homme privé de cette structure architecture serait incapa-ble d’établir avec l’univers des rapports de prise de conscience et d’utilisation. Supprimer cet art de transfert correspond à couper l’homme de la planète terre. Au mo-ment où l’exploration spatiale va « abstraire » l’homme de l’univers support traditionnel, plus que jamais l’architecture est nécessaire. C’est actuellement la condition obligatoire, la base, pour que l’espèce aborde avec quelques chan-ces de succès la nouvelle étape de son exis-tence: sa « sur-vie ». Mais le transfert ne peut s’établir qu’à condi-tion d’obtenir une participation consciente à l’architecture. Nous devons donc sensibiliser l’homme, le rendre réceptif par mise en évi-dence de la « potentialité » de l’architecture. La fonction oblique est le seul moyen de rendre ce potentiel inclus, palpable à l’homme. L’introduction des vecteurs de fatigue (mon-tée) et d’euphorie (descente) sont les effets primaires qui combattent la neutralité et don-nent une « direction » à l’occupation d’un lieu. Du fait du plan incliné, cette « direction », n’étant plus obligatoirement la verticale, c’est-à-dire la perpendiculaire au sol-référence de la planète, devient une résultante plus com-plexe, qui combine masse et intention. C’est la présence de « l’intention » de l’homme comme facteur déterminant qui implique que le psychisme soit concerné par l’architecture. L’homme ne peut plus opposer son inertie, ses facteurs d’habitude, pour demeurer neutre et indifférent vis-à-vis d’elle. La fonction oblique force l’homme à être consciemment participationnel en lui inté-grant une « charge potentielle » spécifique de chaque individu, exaltant son autonomie. Les composantes de cette charge sont à imaginer, puis à analyser et à étudier par expérimenta-tions successives, selon les méthodes scienti-fiques les plus rigoureuses. Nous pouvons déjà citer vis-à-vis du plan incliné: L’activation. Exercice du choix par rapport à un lieu en fonction du potentiel de gravité: vecteur directionnel de fourniture ou de dé-pense d’énergie. Le vertige. Position du psychisme devant l’abandon du système traditionnel de réfé-rence de la verticale et de l’horizontale. La claustration. Réaction psychologique de-vant les espaces intérieurs « cryptiques » sans vues extérieures immédiates. La dépolarisation. Intervention des modifi-cations des habitudes vis-à-vis de l’orientation solaire. La canalisation. Exploration de la visualisa-tion par champs plongeants ou contre-plon-geants, vues en surplomb ou en échappée, vue panoramique des sommets. Le continuum. Prise de conscience de l’ap-partenance à un monde architectural continu, sans solution de continuité, sans cloisonne-ment, en déroulement permanent. Cette recherche des nouvelles composantes humaines de la fonction d’occupation d’un lieu restera toujours ouverte. Architecture Principe n° 3. Claude Parent. Circulation habitable Nous n’avons pas su conjuguer l’élément solide et l’é,ément fluide. Alors que dans d’autres disciplines le problème des fluides est résolu depuis longtemps, l’architecture, elle, semble paralysée par le mouvement hu-main et cette incompatibilité entre station et circulation est en train de détruire la métro-pole moderne. Sous toutes ses formes, le mobile est de-venu l’agent destructeur des cités: que ce soit l’élément social avec ses grands mouvements de masses, ou les différentes formes d’éner-gies qu’utilise la civilisation industrielle, les armements scientifiques, sans parer des agents naturels, la cité moderne semb.e incapable de maîtriser la fluidité. Dans un monde où tout est transformé: l’objet en énergie, le point en parcours, nous ne pouvons plus dissocier l’habitation de la circulation et désormais deux tendances prin-cipales vont s’affronter: rendre « l’architecture mobile » ou « la circulation habitable ». La première de ces tendances, si elle béné-ficie du mot « architecture », emprunte en fait à l’industrie sa cause et par voie de conséquence ses moyens et ses effets. La seconde tendance, qui peut sembler hé-rétique, ne fait en réalité que recourir aux bases mêmes de l’architecture pour y trouver la solution aux problèmes de la transition. Nous avons trop longtemps considéré l’archi-tecture civile sous son côté protecteur et la stagnation de cet art provient sans doute d’une compréhension incomplète de sa nature. Ce n’est pas un hasard si l’architecture véri-table s’est réfugiée si souvent dans l’escalier, dans le pont, le barrage ou l’échangeur rou-tier, elle trouvait là un exercice; alors que dans l’habitat, elle restait condamnée à la passivité la plus totale. De tout temps l’architecture n’a trouvé son accomplissement que confrontée, affrontée à une autre puissance, spirituelle ou matérielle. Cet art du pouvoir ne peut en effet donner sa pleine mesure que dans l’exercice de ce pou-voir, face à une autre sorte de pouvoir. La société industrielle embryonnaire du dé-but du siècle ne représentait pas encore assez de puissance pour susciter une architecture civile vraiment valable. Aujourd’hui, la masse des populations est telle qu’elle constitue une force d’inertie ini-maginable. Aussi toutes les conditions sont désormais remplies pour qu’une architecture civile puisse enfin se révéler et pour que cet art de l’espace, en passant du domaine particulier au domaine public, accède à son véritable rôle: l’inven-tion de la société. Il n’est plus question que l’architecture se contente d’accompagner la circulation, ou pire, qu’elle s’identifie à elle en perdant sa spécificité, il faut réaliser un urbanisme où la circulation deviendra habitable, une architec-ture où la fonction oblique d’animation aura pris le pas sur celle, neutralisante, que repré-sente le plan horizontal permanent, une archi-tecture où l’homme sera mis en mouvement par le profil même de son habitat, la cité deve-nant ainsi un énorme projecteur, une cascade pour toutes les activités, toutes les fluidités. Il s’agit de la « contraction » des deux rôles majeurs de cet art et non d’une « confusion >„ comme c’est le cas dans l’architecture mobile. Nous avons trop longtemps séparé la circu-lation de la station et si l’ordre vertical a amené l’art de façade et mis en valeur la visualisation de l’architecture au détriment de son efficacité, l’ordre horizontal en avait aupa-ravant dénaturé l’usage en la confinant dans la stabilité et l’occultation. Demain, l’architecture sera essentiellement circulatoire, l’espace de stationnement perdra de son importance au profit de l’espace de transfert ; l’habitat comme la cité tout entière seront « mobilisés » par la fonction oblique. Architecture Principe n° 3. Paul Virilio. Complexe paroissial de Sainte Bernadette à Nevers Conçu en août 1963, le complexe paroissial Sainte-Bernadette à Nevers est la première matérialisation de nos recherches théoriques. Au-delà des exigences de toutes natures, des difficultés techniques et économiques, l’étude d’un nouvel habitacle, basé sur l’instabilisation pendulaire, a été notre souci constant. Actuellement l’architecture religieuse ne peut avoir de meilleur but que de permettre l’élaboration d’un milieu favorable à l’homme, c’est ainsi qu’elle peut être considérée comme un bon matériel-spirituel, aucun geste archi-tectural symbolique ne pouvant rivaliser avec l’usage d’un espace inhabituel. Par l’expérimentation de plusieurs de nos éléments théoriques, le complexe de Nevers nous aura permis d’avancer avec plus de sûre-té vers la définition de nouvelles formes d’es-paces viables, avec la concrétisation de nou-veaux lieux d’habitation. Plus proche d’un « ouvrage d’art » que d’une « oeuvre d’art », cette première réalisation annonce notre refus des satisfactions esthéti-ques dues à la visualisation, nous avons voulu créer avant tout un « lieu usuel » où l’expéri-mentation remplace la contemplation, où l’ar-chitecture s’éprouve par le mouvement et la qualité de ce mouvement. Donnant ainsi au sens de leurs déplace-ments une valeur maximum, nous permet-tons la spatialisation psychologique des indi-vidus, nous brisons pour un temps l’enveloppe atrophiée d’un sentiment de la réalité, pour le remplacer par la sensation de cette réalité. Nous avons oublié trop longtemps qu’au-delà des esthétiques et des techniques, les élé-ments constitutifs même de l’habitat revêtent un caractères morpho-psychologique » évident. Si le passé a mis en valeur successivement plusieurs de ces éléments, par exemple: Le toit-plafond, le mur porteur-façade, etc., dont il serait aisé de chercher historiquement la signification ; L’architecture mettra bientôt en évidence un élément jusqu’ici dissimulé: le sol-plan-cher, à la fois moyen de contact et moyen de survol ; Ce tapis-volant de l’architecture va révéler toute son actualité et révolutionner à la fois notre mode de vie et l’apparence de nos cons-tructions. En prenant toute sa signification, le sol tendra à absorber les autres éléments archi-tecturaux: à la fois cloisonnement, couver-ture, façade, etc…, le niveau renouvellera de fond en comble nos anciens principes de construction. Cette transformation, rendue possible par l’usage de l’oblique, est imminente, car le sol est le moins abstrait de tous les éléments, le plus « utile » et l’économie ne pourra le négliger plus longtemps. Il est aussi le moyen propre à l’architecture de spatialiser son contenu et le caractère de notre époque y aura de ce fait rapidement recours. Le complexe de Nevers nous aura aidés à cristalliser ces notions, ces problèmes. Paul Virilio.