21 ► Il faut avouer cependant que, quels que soient les efforts d’un architecte pour donner une cohérence à son action, les travaux dits de commande n’aboutissent la plupart du temps qu’à résoudre une succession de cas particuliers. Seule sa façon d’aborder les pro-blèmes de plastique architecturale constitue un lien dans son oeuvre, mais ce lien est fina-lement insuffisant, car même l’étude plastique varie suivant la technique de mise en oeuvre, de plus en plus souvent imposée (usines, su-permarchés, écoles), l’économie du projet (extensibilité, réemploi) ou le caractère (enso-leillement maximum, flexibilité, expression de légèreté, de richesse, représentation d’une marque). Le résultat de cette pratique se manifeste par l’hétérogénéité des construc-tions, le manque de cohérence des ensembles urbains, l’anarchie visuelle et l’éclatement de la civilisation du « construit ». L’architecte assiste, impulsant, à l’établis-sement de ce chaos, mieux même, il y parti-cipe, car il faut admettre que la juxtaposition de cas particuliers, même s’ils étaient tous exceptionnellement réussis, ne constitue pas un lien, ne crée pas un climat. Un architecte ne peut donc plus se contenter de répondre qu’il fait de son mieux son métier dans le cadre de ses réalisations personnelles. Il doit se préoccuper du tout, de l’ensemble, mais comme il n’a aucun pouvoir sur ce tout, il doit préparer par une recherche constante les moyens qui permettent de retrouver globalité et cohérence dans le futur. Au fond, son effort doit se porter sur la préparation des voies du futur, en situant sa recherche au stade de la « structure », ce mot étant pris dans son sens philosophique et non dans son sens technique. Il est alors obligé d’employer deux tactiques différentes. Se battre au sein des réalités quotidiennes avec âpreté, pied à pied, sans perdre même de vue le plus humble détail, guerre d’usure, souvent sans gloire, et en même temps se détacher com-plètement du substratum de l’actualité pour préparer un avenir qui ne soit plus entaché du présent. S’il ne se coupe pas des contin-gences et des contraintes du moment, il ne pourra jamais dominer le futur, créer l’appel d’un avenir à inventer. C’est de cette façon que l’urbanisme n’a jamais pu trouver sa véritable dimension, son expression et que, par exemple, vingt-cinq ans après sa formu-lation, la charte d’Athènes est dépassée et inutilisable. Il ne s’agit pas d’utopie, puisque le futur formulé arrive et se concrétise. Mais il faut pratiquer apparemment « l’utopie » pour être sûr d’obtenir des résultats réels. La méthode inquiète ou fait sourire, mais c’est la seule positive et sûre. Elle est analogue à celle de la recherche mathématique où, d’hypothèse invérifiable en hypothèse prouvée dans ses conséquences, chemine la pensée créatrice. C’est au rang et aux moyens de la physique théorique qu’il faut hausser l’architecture. Or, une recherche théorique ne s’exprime pas par des exemples mais par des hypothèses sur les concepts, sur les principes, puis par des expérimentations et enfin par des vérifications sur les conséquences. Mais il est encourageant de voir que, dès que sont entreprises des re-cherches théoriques, leur réaction se fait sen-tir sur les travaux quotidiens. Ainsi peut-on analyser les répercussions des études de la théorie « Architecture Principe » sur la réa-lisation de l’église de Nevers et le projet d’équipement culturel de Charleville. Quels sont, en effet, les principes moteurs qui régis-sent les recherches des « villes d’utopie » du groupe Architecture Principe: la fonction oblique qui, combinée avec le porte-à-faux, donne à la fois la vie sur les rampes et l’effet de surplomb. L’activation de l’architecture qui permet d’utiliser, pour la circulation et la vie, l’ensemble de la surface extérieure; la con-traction du groupement urbain sur l’axe obli-que par densification sur le principe de la circulation habitable. La certitude de redonner à l’homme la possibilité d’être concerné par l’architecture, par la mise en exercice d’une potentialité physiologique individuelle. La fer-meture par rapport à l’environnement suivant le processus de la répulsion. La stimulation et le basculement du psychisme de l’homme dans son rapport individu autonome-architec-ture. Il faut noter que ces principes, qui semblent se préoccuper uniquement de l’architecture, sont étroitement liés à l’homme en réalité. Mais le lien n’est pas de la nature que les différents mouvements récents de l’architec-ture ont mis dans les habitudes de pensée (notamment le fonctionnalisme). Il ne s’agit plus de soumettre l’architecture à l’homme en la mettant au service de ce dernier, mais d’établir au contraire une sorte de rapport d’équivalence entre l’une et l’autre. L’architecture existe en soi comme une entité indépendante et ce sont les interactions, les positions successives que prend l’homme vis-à-vis d’elle qui, dans un binôme en exercice, constituent à la fois la réalité même de l’architec-ture, sa non-abstraction et la vie vérita-ble, autonome de l’individu de l’époque ainsi que la conscience de la forme du groupement humain. Il y a donc interdépendance de l’homme et de l’architecture, mais jamais contrainte de l’une sur l’autre, ou dépendance de l’une vis-à-vis de l’autre. Ainsi Nevers comme Charleville correspon-dent dans leur matérialisation, non plus à une étude de forme au sens habituel de la plas-tique architecturale, mais à une recherche de l’efficacité, à une tendance vers l’architecture en exercice, qui conduit seule à la détermina-tion de la forme définitive. L’église est basée sur le principe de la fonction oblique : la nef est à double pente inversée tant en toiture qu’en sol et suspendue au-dessus du terrain en porte-à-faux à chaque extrémité. Forme refermée, elle est en rupture avec l’environ-nement invertébré qu’elle repousse (H.L.M. ré-cents, pavillon de la loi Loucheur, etc.). Elle n’est pas du tout comme les expériences Drusch, Mauriange ou la villa d’Antibes, en recherche d’articulation du vide, pour parvenir à une désignation de l’espace en action vis-à-vis de l’entourage (antennes, profils, etc.), mais au contraire en état de contraction et, par le truchement de cette répulsion, elle polarise l’espace alentour autant qu’un appel. Son schéma formel est d’origine organique: imbrication de deux coques éclatées dans les trois dimensions de l’espace, sorte de coeur à deux ventricules opposés, symbole de l’expression d’une fonction supérieure à l’uti-lisation. Les accès sont situés aux interstices des coques et au centre de l’édifice, point bas de la nef ; ils s’impriment dans le schéma organique. Celui-ci est d’ailleurs susceptible de développement, car ii correspond en volume à la brisure de deux plans obliques et permet des variations très différenciées sur ce thème. Pour Charleville, projet d’une sorte de maison de la culture servant également de lieu pour grandes expositions régionales, on constate deux faits complémentaires: d’une part, l’acti-vation de l’architecture oblique de l’édifice est mise en pratique, puisque sur la toiture inclinée existe un théâtre avec gradins et plateau de scène, dont la vision scénique se prolonge jusque sur la place en vis-à-vis; d’autre part, la préexistence du lieu naturel, du site était à prendre en considération : troi-sième facteur obsessioanel du trinôme homme, paysage, architecture; le cadre constitué par la place, les quais, le plan d’eau et la remon-tée végétale du mont Olympe impliquait la détermination d’un accord précis. Le passage du plan horizontal à la succession des deux plans obliques de l’architecture, puis au relief naturel plus accusé, donne une réponse ar-chitecturale intégrée étroitement au lieu. La fonction oblique, dans ce cas, permet d’éviter l’écueil de l’architecture objet en pratiquant l’exercice de l’émergence. Très souvent les propositions de Turbosites, de Nautacité, de Vagues correspondent à cette notion. Elements d’urbanisme à la dimension équivalente de celle du paysage, leur définition oblique les fait véritablement émerger du sol en reliefs artificiels. Ainsi, pour l’habitation à Bois-le-Roi, il s’agissait bien, par rapport au terrain naturel, de découper sur l’horizon lent du paysage d’He-de-France trois accents enchaînés, qui décollaient du sol. L’extrapolation à une di-mension supérieure de cette véritable ma-quette réalisée, le passage à l’habitabilité intérieure et en surface des voiles conduisent aisément par l’imagination à rejoindre les pro-positions d’unité d’urbanisation du groupe Architecture Principe. Il ne reste à résoudre que le problème du pouvoir : donner la déci-sion d’expérimentation qui ouvrira, à partir des expériences de Nevers et Charleville, une des portes possibles du futur. Claude Parent. Architecture principe C. Parent P. Virilio Pourquoi Architecture Principe? L’effondrement des pouvoirs moraux et politiques devant l’échelle et la masse population, des problèmes d’économie, laisse apparaître aujourd’hui l’architecture définition : celle de morale naturelle des sociétés. J’ai réuni, en février 1963, Michel Carrade, Morice Lipsi, Claude Parent, pour des problèmes de dans son absolue en déterminer les conséquences. P. V. Si importants que soient les éléments de nombre et de genre, il est maintenant prouvé qu’ils sont impuissants à réaliser seuls l’accès à un nouveau mode d’urbanisation. Nous sommes donc devant l’impérieuse nécessité d’accepter comme un fait historique la fin la verticale comme axe d’élévation, la fin de l’horizontale comme plan permanent, ceci au énéfize de l’axe oblique et du plan incliné qui réalisent toutes les conditions nécessaires à la c nouvel ordre urbain et qui permettent également une réinvention totale du vocabulaire Ce basculement doit être compris pour ce qu’il est: la troisième possibilité l’architecture.