LA SCULPTURE DANS L’ENVIRONNEMENT ARCHITECTURAL ET LA SCULPTURE RAPPORTEE par Simone Frigerio. La sculpture et l’architecture ont de tout temps cheminé sur des voies parallèles, dans une relation pleine d’incidences, telles un couple à la recherche d’une entente idéale. A certaines périodes ce fut l’harmonie exemplaire, à d’autres, la contradiction entre deux espèces d’essence différente_ soucieuses d’affirmer leur autonomie au sein de l’interdépendance inévitable de l’oeuvre à édifier en commun. Dans toute définition de l’architecture on retrouve les mots structure, construction, volume. La sculpture pourrait presque être définie dans les mêmes termes, si ce n’est que jusqu’à l’époque contemporaine une grande partie du patrimoine connu de la sculpture a été concue comme accompagnement de l’architecture. Cette situation de fait, reconduite de siècle en siècle, a permis de dire qu’a priori la différence fonda-mentale entre l’architecture et ia sculpture tiendrait au caractère fonctionnel de l’une, et à l’aspect gratuit, c’est-à-dire non indispensable de l’autre. Façon primaire de retran-cher l’architecture du domaine de l’art et de considérer l’art comme un luxe réservé aux happy few, alors que l’architecture est sans dcute celui des arts qui touche le plus la collectivité. La sculpture, dans l’architecture, devrait jouer à la fois le rôle d’élément signifiant et celui d’élément nécessaire du gros oeuvre. Bien des exemples nous en ont été donnés, entre autres dans l’architecture grecque, dans l’architecture romane et gothique. Une cariatide du Parthénon, un chapiteau roman, les rosaces ou les gar-gouilles d’une église gothique… remplissent cette double fonction. Une colonne grecque isolée dans des ruines conserve sa qualité de sculpture pure ; même en tenant compte du degré d’imagination évocatrice avec laquelle nous la contemplons, cette colonne exhale une individualité spirituelle autre que celle d’élément architectonique. La sculpture, en dehors de recherches stylistiques liées à celles de l’architecture même, e laissé d’une civilisation à l’autre des témoignages précieux du point de vue sociologique autant qu’esthétique, d’un symbolisme à caractère religieux, mythique et historique (frises, bas-reliefs, hiéroglyphes). La sculpture détachée, mais conçue pour un environnement d’architecture défini, a été incarnée, jusqu’à une époque assez récente, principalement par la statue. L’histoire de la statuaire remonte aux civilisa-tions les plus anciennes, car la sculpture anthropomorphe répond à un instinct com-mun à toutes les races. Cependant, il faut établir une distinction entre la statue rap-portée dans un ensemble architectural achevé (ex.: statue équestre au centra d’une place), et les statues destinées à un emplacement préétabli par l’architecte dans son projet de construction (niches, portiques…). La prétention de vouloir délimiter en termes exacts l’apport personnel de l’art du sculpteur par rapport au processus de l’architecture, est une vue de l’esprit inhérente à la critique contemporaine. Pendant des siècles, le tailleur de pierre et le rnaitre d’oeuvre ont travaillé côte à côte, le plus souvent dans l’anonymat, confrontés avec des problèmes pour lesquels l’invention esthétique du sculpteur servait parfois à masquer les insuffisances de l’architecture. La séduction de certains monuments anciens tient souvent à des solutions irration-nelles de cet ordre. Un des exemples les plus typiques de ce que peut donner le binôme sculpture + architecture nous est fourni par l’art des tombeaux à travers les âges Sans remon-ter aux pyramides d’Egypte ou aux mausolées de l’art Maya, le « quattrocento » italien nous a laissé des témoignages particulièrement significatifs avec les admirables tom-beaux élevés par des maîtres comme Bruneileschi, Tino da Camaino, Jacopo della Quercia. Michel-Ange, artiste complet de la Renaissance, était à la fois sculpteur, architecte et peintre. On ne concevait pas alors d’architecture sans sculpture, concept qui a prévalu jusqu’au début du XX« siècle, et la sculpture était une complémentaire obligatoire, aussi bien de l’architecture intérieure (cheminées, encadrements de portes, escaliers, etc.) que de l’architecture extérieure. Les arts que nous appelons aujourd’hui avec une intention péjorative « arts appliqués » ont cependant produit des chefs-d’oeuvre qui relèvent davantage de la sculpture pure que de l’artisanat (ex.: les portes de bronze de San Zeno à Vérone, les portes du baptistère de Florence, la porte de San Ranieri au Dôme de Pise…). Les sculpteurs du bronze, à l’époque de la Renaissance, apprenaient le métier chez les orfèvres, mais les oeuvres qu’ils ont exécutées pour l’architecture étaient à la hauteur de l’ensemble. La sculpture de jardins, c’est-à-dire la sculpture envisagée dans l’architecture paysa-giste, constitue un chapitre important de la relation sculpture-architecture. Au XVI° siècle, ce furent les jardins à l’italienne qui donnèrent le ton dans toute l’Europe, avant que Louis XIV et Le Nôtre n’imposent le style à la française et que le XVIII. siècle ne fasse ses délices des fantaisies du rococo. Les jardins de Versailles et des Trianons furent dessinés en fonction des bassins, fontaines, groupes sculptés, petits temples, qui animent les perspectives et les bosquets. En Italie comme en France, les sujets des groupes sculptées pour les parcs étaient en général empruntés à la mythologie, et il faudra arriver au romantisme pour qu’on redécouvre la poésie des rochers et des grot-tes, quitte à en créer d’artificiels. Actuellement, c’est au Japon que se trouvent les artistes les plus originaux dans le domaine de la sculpture et de l’architecture de jardin. L’écrasant patrimoine historique qui subsiste dans le monde, tantôt laissé à l’abandon, tantôt redécouvert suivant les préférences capricieuses des érudits, a fini par ancrer dans l’esprit du public que tout ce qui est ancien est beau e priori. Les sculpteurs et architectes contemporains se sont entendu jeter à la face des comparai-sons décourageantes avec le passé. Les voyages d’exploration et les fouilles nouvelles ont exalté l’enthousiasme général pour les arts primitifs. Tous ces engouements qui varient d’une génération à l’autre n’ont guère favorisé, il faut le reconnaître, le déve-loppement de la sculpture et de l’architecture modernes. D’autre part, alors que le XIX. siècle e vu s’accomplir une révolution fondamentale dans les concepts de la peinture, l’évolution de la sculpture e été plus lente, mais néanmoins, au XIX. siècle comme dans les siècles précédents, la transformation de la sculpture s’est répercutée dans celle des formes architectoniques. A la fin du XIX« siècle, deux courants d’esprit contradictoire se sont affrontés presque en même temps : une veine baroque partie de Gaudi, néo-gothique génial dont les audaces sans postérité devaient déboucher sur les arabesques modern’ style de Mucha ; à un autre pôle il y eut Cézanne, puis le Cubisme, et l’avènement de l’art abstrait. Entre les deux, et même contemporainement aux exemples du style proprement 1900, se situe un style impersonnel d’architecture qu’on a cru bon d’enrichir par des ornements de sculpture sur les façades, pastiches de motifs Louis XV ou Louis XVI. Paris, comme la plupart des villes d’Europe, n’a pas échappé à cette triste architecture dans laquelle la sculpture est ramenée à son niveau le plus bas : la décoration ornementale. Cette architecture passéiste était en retard sur l’évolution accélérée du monde moderne. Des groupes d’artistes novateurs parmi lesquels on comptait des architectes prirent conscience de la nécessité de sortir d’une voie sans issue. Les théories néo-plasticistes formulées par le groupe du Stijl (1917), mais surtout l’action du Bauhaus, fondé à Weimar en 1919 par l’architecte Gropius, et au sein duquel Kandinsky et Paul Klee définirent le sens de leur engagement esthétique, auraient aü promouvoir un art total, visant à confondre l’architecture, la sculpture et la peinture dans une démarche unique. Le Corbusier fut l’un des grands prêtres de cette « intégration » des arts, dont François Mathey a écrit, dans la préface de l’exposition « Babel 65 », Qu’elle est « la tarte à la crème » ! En fait, le style dépouillé, puriste, des pionniers de cette architecture moderne Partie de Hollande, d’Allemagne, de Suisse, de Finlande, avant de passer aux Etats-Unis, s’est dissocié de la sculpture. Des architectes, qui étaient des artistes, redon-naient enfin à l’architecture une noblesse exclusive qui reléguait le sculpture au second Plan. Un décalage d’une autre sorte s’est installé insidieusment entre la sculpture et l’architecture. Les progrès de la science permettant l’utilisation de nouvelles techni-ques de construction et de nouveaux matériaux ont surtout profité à l’architecture, le travail du sculpteur restant, et pour cause, plus artisanal. Aujourd’hui, les aspirations spatiales de l’architecture ne connaissent pratiquement plus de limites. La perception visuelle de l’homme s’est accoutumée à des effets de perspective autres, révélés par l’aviation, l’image filmée, la vitesse. A une échelle de dimension gigantesque dans l’architecture, les concepts d’une sculpture envisagée en tant que complémentaire doivent être entièrement repensés. S’il est difficile à la sculpture moderne de lier son devenir uniquement à celui de l’architecture, cela ne veut pas dire que les sculpteurs contemporains se soient désintéressés des développements de l’architecture. La propo-sition inverse serait plus exacte. A partir du Cubisme, la sculpture s’est radicalement métamorphosée, dans son esprit, sa forme et son matériau. L’expérience tentée par Raymond Duchamp-Villon et André Mare, qui présentèrent au Salon d’Automne de 1912 une maquette de sculpture et architecture cubistes appelée « La Maison cubiste », constituait à l’époque un jalon historique sur la voie de la réconciliation entre la sculpture et l’architecture. Après quoi il aura fallu de nombreuses années pour que les soeurs ennemies recommencent à associer leurs recherches. Au cours de ces vingt dernières années, la sculpture s’est renouvelée de façon spectaculaire, reprenant l’avantage sur l’architecture, utilisant avec virtuosité les res-sources de la quatrième dimension. Dans sa conquête de matériaux inédits, la sculp-ture e annexé l’objet en le transcendant, empiété sur la peinture à travers le relief ; une fois de plus, elle se trouve placée entre deux options : ou bien rester une oeuvre d’art indépendante au même titre qu’un tableau de chevalet, ou alors imposer l’évi-dence de sa valeur plastique nécessaire au milieu de l’environnement architectural et redevenir un élément signifiant déterminant dans l’architecture extérieure et intérieu7e. De toute façon; c’est à travers la sculpture que l’architecture actuelle pourra prendre un nouvel essor. Dans tous les pays se dessine une sorte de renaissance de la création architectonique, basée sur ce postulat. A Florence, par exemple, en Angleterre, et ailleurs, de jeunes architectes étudient la sculpture au même titre que le dessin. A la dernière Biennale des Jeunes on pouvait remarquer un grand nombre de sculptu es polychromes qui étaient des maquettes d’architecture en puissance. La plupart des sculpteurs actuels sont concernés par l’architecture civile et sacrée, et ont exécuté des oeuvres importantes (plafonds, sculptures murales, portes, sculptures de plein air…) dont nous montrons quelques exemples. La sculpture, qui a cessé aux yeux du public d’être considérée comme le parent pauvre des arts plastiques, ne peut pas se résigner à n’être aux yeux des architectes que le prolétaire à qui l’on fait l’aumône… du 1 .1! S. F. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Mathias Goeritz p. 98 L’art en général — et naturellement aussi l’architec-ture — est un reflet de l’esprit de l’homme dans une époque. Le triomphe du « fonctionnalisme » rationaliste, comme expression du matérialisme dans l’architecture, montre que les valeurs de l’esprit sont en danger. Heureusement je crois que notre époque est pleine. 111111 I d’inquiétudes — et que les gens ont besoin d’émotions spirituelles. Beaucoup d’artistes cherchent des nouveaux moyens de communication, dans l’espoir de sortir de al’impasse des galeries ou des musées. Les uns le font moyen oe nouveaux langages esthétiques, les autres essayent une « intégration des arts ». One dit que l’idée d’une intégration, dans une société hétérogène comme la nôtre, est absurde, mais on ne peut pas nier qu’elle soit au moins une expression de bonne volonté de la part des artistes qui s’en préoccu-pent. Et, sans doute, elle signifie un commencement. Peut-être, notre société n’est plus tellement hétérogène comme nos intellectuels nous l’assurent ; L’âge de l’individualisme n’est-il pas en train de se terminer, aussi dans le monde des arts? La relation entre l’Architecture et la Sculpture est un thème qui m’a préoccupé depuis 1952, année où j’ai écrit le « Manifeste de l’Architecture émotionnelle » (contre le « fonctionnalisme vulgaire ») en commençant la construction d’un Musée Vivant et Expérimental « El Eco » (L’écho) à Mexico. J’ai construit cet édifice comme une sculpture, sans plans exacts. Dans cette construction, peinture, sculpture et architecture étaient une seule et même chose. Les Tours de la Cité Satellite près Mexico, réalisée en 1957 en collaboration avec l’architecte Luis Barragan étaient l’exemple d’une architecture dont la fonction exclusive est l’émotion (pour les spectateurs). Une grande affiche sculptée dans l’espace? Peut-être. Mais aussi : Peinture, Sculpture, Architecture émotionnelle, une oeuvre totale, sans fonction matérielle. J’écrivais à cette époque qu’il faudrait incruster de petites flûtes dans les coins de ces tours pour qu’elles soient aussi Musique (sons différents produits par le vent). Plus tard, j’ai changé d’opinion. Je suis devenu plus modeste. Je crois maintenant que l’art — le grand Art — était un Service. Et l’art doit devenir de nouveau un ser-vice. Et dans ce grand Art l’ « Ego » de l’artiste est beaucoup Moins important qu’on ne le croit actuellement. Une chose me paraît sûre: l’art de l’avenir sera le résultat d’une collaboration étroite entre l’architecte, le technicien et l’artiste. Grâce à la clairvoyance des architectes mexicains j’ai pu travail:er avec eux, sous leur direction, en plusieurs occasions. Un cas idéal était celui de Automex, dans lequel l’architecte Ricardo Legorreta m’avait appelé pour étudier la création d’une place centrale dans les grandes usines d’autcmobiles qu’il était en train de construire. Les Tours coniques qui sont nées de cette collaboration — à laquelle l’ingénieur L. Zeevaert e contribué de façon importante — sont le résultat d’un effort pour spiritualiser une atmosphère technologique. typique du XX• siècle. M. G • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Tom Hatashita p. no Des rochers, des rochers, et de la terre, au Japon, j’en ai transporté des tonnes et bien davan-tage. Ayant suivi un « designer » maître paysa-giste, et vivant sur le site avec les jardiniers, mon rit passait des résidences cossues à une humble auberge, tantôt chez un marchand de vin, tantôt dans un temple bouddhiste abandonné. Graduellement, ce qui n’était qu’un simple rocher pour le Canadien, que je suis de nationalité bien que d’ascendance japonaise, devenait ce qu’un rocher e signifié aux yeux des jardiniers japonais depuis plus de mille ans — un univers bouddhi-que, une île du paradis taoïste, une tortue, la Nature. C’était toujours quelque chose de sacré, de vivant, et plein de signification. Les rochers, le seul élément inchangé dans le jardin japonais, commen-cèrent dans mon esprit à acquérir une signification nouvelle. Chaque rocher dans le jardin commença à parler, et il se mit à parler parce que le jardinier en avait décidé ainsi. Les jardins de cent ans, de cinq cents ans, de mille ans d’âge se mirent à parler. Finalement le personnage que j’étais devenu quand le m’embarquai pour quitter le Japon, était bien différent de celui oui y avait débarqué cinq ans auparavant. L’art et la culture maintenant n’étaient plus seulement pour moi quelque chose qui doit être apprécié, c’était quelque chose qui transforme ou éveille une création existant en dehors de nous-mêmes, mais, ce qui était plus important, c’était devenu une forme de création à l’intérieur de l’homme. Angkor Wat, Taj Mahal, l’Himalaya, Bamiyan, Persepolis et Acropolis passèrent devant mes yeux pendant les deux années suivantes, émergeant avec les images des rochers et des temples. Mais la beauté et ma réponse intérieure à tout ce que je contemplais étaient partout constamment obscurcies par la pauvreté matérielle et spirituelle de l’homme. L’homme, né avec un énorme potentiel, paraissait enchaîné, semblait-il, par les coutumes sociales, traditionnelles, religieuses et politiques de son pays, celles-ci déterminant souvent pour lui quels groupes aimer, ou haïr, ou méme tuer. Ces deux années de voyage de Tokyo à Paris, développèrent en moi une forte tension intérieure et en conséquence, lorsque je me demandai ce que j’aimerais créer dans ce petit espace de sept mètres sur dix niché au coeur de Paris, quelque chose sembla surgir du dedans de moi-même, que je traduisis immédiatement dans des formes sculptées à même les rochers. Graphiquement, c’est une énorme masse émergeant de l’eau qui vient se briser sur la croûte terrestre. C’est l’expression d’une violente force vivante intérieure qui est à la source de toute création, comme nous le voyons dans le simple bourgeon poussant du sol et dans la force qui fait éclater la semence. Mais cette pierre centrale représente pour moi l’Homme émergeant de sa coquille en dépit de l’asservissement des préjugés et des traditions, symbolisé par les rochers plats et les murs inclinés qui représentent la croûte terrestre. Les croûtes brisées, néanmoins, ont assumé maintena rôle plus vita!, celui de compléter cette nouvelle force créatrice. Les problèmes psychologiques, tout autant que les difficultés tech par l’espace limité et l’entourage de murs, furent souvent exigeants, n de les adapter à mon avantage. Je pense que cette expression est jardin d’un bureau d’architecte, pas seulement à cause du rôle de l’arc que créateur, mais parce que M. Raymond Audigier, à mon étonnem mon idée à partir de mes esquisses et, sans hésitation, m’a accordé s FIND ART DOCj