Etienne Martin. « Demeure n° 1 o. Bronze. 1956-58. Photo Laurent Pinsard. —L’oeuvre, le grand oeuvre d’Etienne-Martin est une oeuvre vécue, et je préciserai même; une oeuvre subjective, car il a bien ‘voulu l’admettre en précisant: « parce que seule la voie subjective conduit à l’absolu… de notre temps ». Sans lui prêter abusivement des intentions et un but qu’il ne définit pas autrement et ne peut, sans doute, définir, ne voit-on pas que son oeuvre entier prend le sens d’une interrogation obstinée dont l’objet lui reste, en vérité, inconnu, occulté dans la condition nocturne de l’homme (les Nuits) et qu’il espère voir surgir en lui préparant un tabernacle (les Demeures) et à force de creuser la forme, exactement comme on dit: creuser une idée. Pour y mieux parvenir, il prend même la forme par l’intérieur après s’y être véritablement enfoui pour atteindre pour découvrir le tréfonds du réel. Mais plutôt que de décrite les Demeures successives qu’il a déjà édifiées, reportons-nous aux quelques explications qu’il a notées lui-même au moment de la conception et de l’exécution de la Demeure n. 3 de 1960. « J’ai commencé par faire le centre », c’est-à-dire le siège-guérite destiné à recevoir et à abriter l’homme et dont la mobilité doit permettre à celui-ci de « voir » dans tous les sens l’intérieur de la coquille-habitacle que deux mains gigantesques vont refermer sur lui. Et ce qui importe, c’est bien cet intérieur, cet autre côté de l’amande… « l’autre côté — de l’en-deçà, peu importe —, l’autre côté du miroir — le ciel —, enfin i’autre côté. » Et lorsqu’il tente de définir plus précisément cet enveloppement, il parle de « ce fruit, de cette porte, de cette serrure, de ce ventre, en un mot de ce passage, de ce tombeau — de ce lit clos. de cette demeure » enfin, ajoutant: « Pour moi je l’ai divisé en zones ; chaque espace est comme une pièce d’une demeure (cette demeure étant vous-même, cela se lit comme un blason) — chaque espace que j’appellerai maison ou encore demeure (pour ne pas faire astrologie) est pour moi une portion bien distincte de ma propre vie. » Et, confirmant en même temps la continuité, l’unité de son oeuvre, il ajoutait: « Ceci est une suite et à la « nuit » et à la « demeure » (il avait déjè sculpté les demeures 1 et 2). C’est une Nuit Janus, un côté tourné vers la nature tangible, un sexe-porte et son double qui est toujours, elle, tournée vers l’autre côté, le subtil, etc… » (Extrait d’un article de R.V. Gindertael publié dans « Quadrum », n° 19, Bruxelles.) • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • LA SCULPTURE • • • • • • • • 6 • • e • • 6 • • • • • • SCULPTURE ET ARCHITECTURE par Gérald Gassiot-Talabot. Les noces de la sculpture et de l’architecture modernes étant orageuses, propices aux équivoques et aux désillusions, ce n’est pas la vieille espérance de l’intégration des arts que nous évoquerons ici. Bafouée (voir Babel 1965) avant d’avoir iamais été réalisée en toute plénitude, elle est entrée dans le paradis des mythes où un jeune architecte, un jeune sculpteur iront peut-être la déloger un jour en-semble. Cet échec trahit cependant un besoin profond, une tendance qui cherche à passer sur les égoïsmes, les paresses, les routines, les alibis les mieux fondés en apparence. D’une certaine façon, même, chaque sculpteur porte en lui un archétype de synthèse, une image idéale qui serait à la fois sculpture et architecture, forme gratuite et forme utile, espace clos et espace ouvert. C’est cette propension de la sculpture à aller vers l’architecture qui nous intéresse : moment transitoire et fragile qui s’éternise dans certaines oeuvres. Entre la sculpture de salon, qui est objet d’une jouissance esthétique indi-viduelle et d’une appropriation particulière, et la sculpture à desti-nation architecturale dont Di Teana, Mathias Goeritz, Schoeffer, et quelques autres, nous ont donné des exemples, nous trouvons un type de sculpture monumentale qui tente d’échapper à l’étroite définition de l’oeuvre d’art pour atteindre à quelque chose de construit. Derrière la forme opaque et le volume plein apparaissent un délié, un enjam-bement, une trouée, un rapport de forces qui font surgir une image possible d’habitacle, un logis ô combien imaginaire pour une humanité non encore inventée. On connaît l’aventure de Gilioli qui voulut sculpter une femme et qui fit une « halle « dont on aurait voulu pour une église. Elle est exemplaire, cette mutation, parce qu’elle nous plonge dans le secret même de l’acte créateur qui échappe à tout dessein trop arrêté et mène l’artiste hors de ses propres Hm-des Les Demeures d’Etienne Martin sont là pour nous indiquer ce chemi-nement indicible de la pensée : à proprement parler narratives puisqu’elles nous livrent le secret d’un rêve et le déroulement d’une vie, ces sculptures tracent un itinéraire intérieur; elles possèdent une entrée, un lieu de repos et de contemplation, et une sortie par laquelle l’artiste sait qu’il s’en ira un jour. Elles procèdent de ces formes naturelles, fruits et matrices nourricières, auxquelles s’appa-rentent le mieux la maison des hommes, l’abri du fond des âges. Pour cette raison, elles sont purs projets de temples. symphonies baroques de murailles pétries de pensée et de sève créatrice. Les Demeures enveloppent à la fois le sculpteur et chacun d’entre nous, l’invité, l’ami d’un instant. Elles refusent l’égoïsme d’une plastique fermée sur la vie et empruntent à l’architecture le droit au passage, à l’occu-pation des lieux par le sujet. Chaque fois qu’un sculpteur progresse sur cette voie étroite nous assistons comme à une naissance : la coque se brise, l’appareil respire à de nouvelles dimensions, l’espace défini se dilate : les cones tronqués de Philolaos deviennent de vrais châteaux d’eau, des couronnes altières et hiératiques à poser sur des collines; les marbres purs de Gilioli nous proposent soudain de parfaits édifices, de vivants clochers comme au détour d’un chemin; Virilio inspire à Claude Parent une église qui bouleverse le style habituel de l’architecte : galet aux volumes polis, convergence des masses exactes où l’annulation statique des forces devient repos. Ces exemples pourraient être multipliés : les entrelacs dans le goût préco-lombien se transforment en gerbes de pierre chez Magda Frank, et Berrocal corsette d’étranges bustes démontables, mi coffres, mi taber-nacles, places fortes sans garnison. Chez Mannoni, chez Chavignier, chez Lipsi, chez Werthmann, la sculpture est maintes fois un appel à l’édifice, à l’arc, à l’ouvrage d’art. Le propos sans être touiours explicite apparaît pourtant claire-ment dans cette tension particulière aui donne à la chose sculptée une nature double, ambiguë. André Bloc, pour sa part, a cherché un lien entre ses travaux d’atelier en pierre ou en métal et ses maquettes pour habitat tropical, ses études de modénature par élé-ments interchangeables : c’est dans la sculpture habitacle a. u’il l’a trouvé. A deux doigts, en esprit (mais réellement habitée) de telle villa construite par lui en Espagne, il édifie dans son parc de Meudon un mausolée tout en cintres et en contreforts, ni chapelle, ni pavillon de chasse, ni casemate, mais volume sculpté, chaos pensé avec ses angles nets, ses cassures de plans, ses trouées bruvtales. Quelque chose d’âpre et d’imprévu surgit, où l’on est sollicité, harcelé par la pierre. Il y a donc, on le savait, une sculpture oui tend vers l’architecture, comme la philosophie tend vers la vérité. Pétrifiée à un moment choisi de cette trajectoire sans retombée, elle témoigne puJi Pine d51 plus profondes et des plus heureuses ambitions du scuip’.em, ni aussi pour l’un de ses complexes les plus écrasants. C’et d-^s ‘.. approche patiente et une confiance simple entre le maît A d’ ,.ore l’artiste que naîtront le volume total, la synthèse esperEe. E.péj seulement, jusqu’ici.