I Nous voulons l’espace illimité, construit par l’homme. ■ Nous voulons I ECHNIQUE la cité totale, dominant la terre IIII L’AVENIR DE L’ARCHITECTURE iExiste-t-il encore une architecture de nos jours? L’architecture a-t-elle encore un ns dans la deuxième ère des machines? Les architectes font-ils l’architecture aujourd’hui ? Quels sont les ouvrages. expression de notre temps? « « Des cathédrales d’une autre vue ou monde », tel était le terme employé par le ,urnaliste américain d’aéronautique Edwin Diamond pour qualifier /es rampes de incement de fusées à Cap Kennedy. L’architecture, qui a donné son nom aux grandes poques, est devenue un terme désuet devant les immenses réalisations de ta tech-ique, ses constructions et ses machines. L’arcnitecture d’aujourd’hui ne peut être n véritable reflet de notre temps qu’à la condition de ne pas s’opposer à la tech–ique, de s’en servir non seulement comme d’un objet purement utilitaire, mais ‘utiliser ses puissances plastiques, dynamiques, expressives, formelles et émotion-biles. :‘i L’objectivité des constructions techniques est un faux mythe. Elles sont subjectives ? souvent empreintes de sentiments. Nombre de rêves d’architectes sont déjà réalisés dans des constructions de la « J?chnique. De nouvelles échelles dominent le paysage. C’est par la découverte de ces qualités latentes et leur divulgation que la ville d’aujourd’hui — et !a ville c’est l’architecture ‘aujourd’hui — trouvera ses symboles, deviendra véritablement monumentale, expres-ion authentique ce la vie de notre siècle, signe des hommes dominant l’espace et uxquels la terre s’est soumise. H. H. HANS HOLLEIN Né à Vienne en 1934. Etudes d’architecture à l’Académie des Arts Plastiques de Vienne. Diplômé en 1956. Graduate Studies d’architecture et d’Urbanisme à l’Illinois Institute of Techno-logy (IIT), Chicago, de 1958 à 1959, et à l’Université de Californie, Berkeley. « Master » d’architecture en 1960. 1955-58. Travaille dans un bureau d’architecte en Suède. Pre-miers projets et publications sur l’ « architecture absolue ». 1958-60. Séjour de deux années aux U.S.A. Projets d’urbanisme et d’architecture. « Plastic Space », publications et projets. Tra-vaux de recherche sur Rudolph M. Schindler. 1960-63. Séjour à Vienne, travaille dans un bureau d’architecte. Projets, conférences, publications. 1963. Exposition « Architecture » à Vienne (avec Pichler). 1963-64. Professeur temporaire à la Washington University, St. Louis, U.S.A. Deouis fin 1964, agence personnelle à Vienne. Activités d’architecte indépendant et de rédacteur de la revue d’architecture « Bau ». 1965. Participation à différentes expositions et à des congrès (UIEA Stockholm, Team 10 Berlin, Rome). Réalisation, Magasin Retti à Vienne (voir « l’Architecture d’Aujourd’hui , n, 126, 1966). 1966. Pendant six semaines, professeur invité aux U.S.A. A reçu le Reynolds Memorial Award 1966 pour le magasin Rett. Des articles de Hollein et sur ses travaux ont été publ’és dans différentes revues d’architecture. Projets dans tes collections du Museum of Modern Art, New York. WALTER PICHLER Né à Ponte Nova, en 1936. A étudié à l’Académie des Arts Appliqués de Vienne. Après des débuts de sculpteur, s’oriente vers l’architecture, travaille à Paris et Stockholm. Réside actuellement à Vienne. LES CITÉS : centres où converge la Vie ■ Dès que l’homme eut appris à se tenir debout, il se mit à bâtir. Il entassa des pierres l’une sur l’autre, enfonça un pieu dans la terre, y creusa un trou. L’architecture était née. Il dota les sites sacrés de symboles religieux, édifia des structures pour le culte. Il cerna les centres où se développaient les activités humaines. Et la ville fut. La ville : aménagement méthodique de l’espace matérialisé par la construction. La ville : création la plus personnelle de l’homme. Elle est l’incarnation de sa volonté, de ses désirs, de sa force et sa puissance spirituelle. La ville, c’est la manifestation de son évolution. Le sort et la destination de l’homme, sa culture et sa civilisation sont inconcevables sans la ville et ne peuvent en être séparés. C’est là que naquirent les grandes idées, que palais et cathédrales sortirent de terre, que grondèrent les révolutions, que se constituèrent les élites. C’est là que l’homo sapiens devint enfin l’homme, le seigneur de la nature et du monde ambiant. Au sommet de la civilisation et de la culture, l’homme veut vivre dans un espace imprégné, saturé de vie humaine, dans la ville. ll veut une ville encore plus ramassée, encore plus concentrée et une campaene encore plus intacte, plus natureile, encore moins construite. Il donne la priorité e’l’esprit devant le corps, à ses nostalgies devant les nécessités de sa condition. Enfin nous pouvons quitter nos huttes et nos tanières miséreuses pour aller vivre dans des villes qui dressent leur force et leur grandeur bien au-dessus de la terre et par endroits, denses et compactes, s’enfoncent dans le sol. Là, dans ces cités, règne une hiérarchie des espaces et des destinations. Ils sont gouvernés à partir de, centres, de foyers, d’où émane leur organisation et leur ordon-nancement. On peut signaler les centres par un élément distinctif. Par un édifice. Ou par le vide. Ou bien, on peut simplement les percevoir senso-nettement. Les rapports entre /es centres — organisation spatiale et spirituelle de la vie : configuration de la cité. Nous voulons la concentration, non la décentralisation. Nous ne voulons pas de millions de petites agglomérations, restes d’un ordre et d’une époque révolus, dissé-minées à travers la campagne vierge et faussant son caractère. Nous voulons des centres agricoles modernes, basés sur la conception actuelle de l’exploitation industrielle de la terre, entre les cités. Nous voulons une campagne authentique, sans constructions — aire des lignes de force entre les cités. Sur quelques points choisis du paysage, nous édifierons des bâtiments. H. H. 55 Article publié dans « Bau », Vienne, novembre 1955. 11 L’architecture c’est la volonté de l’homme de définir lui-méme son milieu. Les villes représentent l’expression tridimensionnelle de son comportement. Aujourd’hui l’homme doit prendre possession de toute la terre, qui deviendra une ville continue et infinie, un seul bâtiment, un espace entièrement créé par lui. Dans une certaine mesure ce sera une nouvelle nature, Le sol vierge ne sera plus parsemé d’agglomé-rations isolées, ne s’opposera plus à leur communication, mais deviendra partie intégrante de ce nouvel environnement. Les villes de notre passé ont été déterminées par des nécessités d’un autre genre: voies commerciales ou positions stratégiques, conditions politiques et religieuses. Leurs expressions plastiques les plus marquantes se trouvaient concrétisées par les murs et les tours : Défense et Culte. La ville d’aujourd’hui, son environnement, sont principalement l’expression du comportement et des relations entre les hommes, de leurs acquisitions, émotions et passions. La ville d’aujourd’hui est moins mur et tour qu’une machine colossale de communication, manifestation de la conquête et de la domination de l’espace, et union de toute l’humanité. Elle est dynamique et non sta-tique. Ses symboles sont différents, son expression plastiqué est déterminée par les éléments de cette communication, par les signes de l’ordre et de l’organisation de l’espace, ainsi que par les manifestations tridimensionnelles de ses réseaux. Les pyramides étaient simples dans leur but et faites d’un seul matériau. La ville, l’architecture d’aujourd’hui, procède d’une élaboration complexe, face aux nombreuses solutions et matériaux offerts. Pour sa réalisation, elle dispose de possibilités presque infinies, d’une technique, d’une science parfaites. Les villes, créations des hommes, sont maintenant une nécessité humaine. Construire des villes veut dire aujourd’hui faire de la politique. ■ Ces villes changent la surface de la terre, elles ne sont plus une extension en deux dimensions — par addition — d’un plan bidimensionnel. Elles se développent en volume aux nombreux niveaux entrelacés. La circulation quitte le sol. Les moyens de communication ne sont plus seulement horizontaux et verticaux comme les trains, les rues et les ascenseurs; du fait de la tridimensionnalité pluridirectionhelle, les moyens de communication percent la ville de lignes fluides obliques et dynamiques comme l’escalier mécanique, le transporteur à bande, le trottoir roulant, l’oléoduc (aujourd’hui nous pouvons pratiquement tout transporter par canalisation). Tous ces moyens de transport se rejoignent aux points principaux, aux points de transfert, aux points de rencontres. Il est possible d’accéder à cette ville de tous côtés, d’y monter et d’y pénétrer, elle est en surface et en profondeur. Les mégastructures représentent le squelette de la ville et en contrôlent le volume. Une grande place sera réservée aux macropièces. A l’intérieur, les micrcpièces pourront abriter la plus grande anarchie et offrir la plus large liberté personnelle. Les macropièces sont les éléments qui donnent à la ville son identité, qui l’organisent et la dominent. Ici la forme acquiert une fonction. Sans la reconnaissance de la forme, il n’y a pas de reconnaissance physique « per se », pas d’identité. Dans le monde immense créé par l’homme, l’architecture — forme, conception, contenu — a un rôle spécifique. De nouveaux éléments déterminent le visage de la ville : la plupart des anciens « édifices représentatifs » qui lui donnaient sa physionomie n’ont plus de valeur aussi déterminante. On leur accordera une autre échelle s ils restent valables et si leur importance se justifie, sinon ils se trouveront dans les centres groupant les autres éléments d’activité de la ville. Ces centres seront marqués, soit par un édifice, soit par un vide, soit par le simple fait d’être au centre. Il De nouveaux symboles surgissent, qui en eux-mêmes contiennent l’idée de monu-ments et qui représentent des fonctions importantes de la vie citadine. Ainsi, pal exemple, le château d’eau et le réfectoire deviennent des éléments prédominants d’un kibboutz, d’une ville agraire (le kibboutz représente l’une des rares réalisations actuelles des nouvelles conceptions urbaines). De même, le barrage qui retient les eaux destinées à l’alimentation de la ville et les ouvrages de distribution, devien-dront des monuments (voir déjà les aqueducs romains). Les bâtiments techniques immenses nécessaires au fonctionnement des villes ont une expression monumen-tale latente que l’architecte doit découvrir et souligner. Les pylônes des ponts devien-dront ainsi les portes immenses de la ville et surtout les ports de débarquement et d’atterrissage, seront expression de la nouvelle ville, ce qui existe déjà pour les gares le sera davantage pour les aérodromes et les bases de lancement de fusées. L’aspect des bâtiments changera. Les acquisitions techniques de notre siècle, per-mettant de réaliser par exemple des formes sphériques et surtout des éléments en saillies (comme celles du XIX. siècle ont permis d’édifier des bâtiments en hauteur), offriront la possibilité de construire à la fois en hauteur et en porte-à-faux, nous pourrons enfin construire en oblique et nos bâtiments, expression d’une nouvelle cynamique, s’inclineront vers le ciel et permettront ainsi une grande flexibilité d’im-plantation au lieu d’être une addition monotone d’éléments horizontaux et verticaux. Nous nous enfoncerons également sous la terre. Tout ce qui n’a pas lieu d’être en surface pourra y disparaître pour conserver aux hommes un terrain précieux. Ainsi, nous nous approcherons de l’époque de l’environnement entièrement clos sur terre, sous terre, sur l’eau et sous l’eau, comme le sont déjà les stations polaires, les îlots artificiels en mer, les porte-avions, le Norad Command Center, etc., ensembles autar-ciques formant la transition vers la station et vers la ville du cosmos. L’architecture pourra, dans ce milieu entièrement créé par l’homme, mcntrer ce qu’elle sait faire et surtout ce qu’elle devrait faire, aucun ciel, aucun soleil, aucune couleur na chan-geant avec les saisons et ne jetant d’ombres favorables sur ses défauts. Ces ensembles pourront être mobiles. Nous avons la maison mobile, nous aurons des villes mobiles. U Déjà au début de notre siècle, quelques hommes ont eu la vision de telles choses, mais la plupart des architectes, des urbanistes et des politiciens sont restés aveugles. S’ils avaient eu des yeux, ils auraient vu les promesses immenses que la Tour Eiffel portait en elle. Ils auraient également vu que l’urbanisme ainsi que la vision et l’idée de l’urbanisme commençaient déjà par la chaise et que certaines chaises et maisons de certains grands architectes annoncent déjà une nouvelle ville, une ville future qui devrait être la ville d’aujourd’hui. Les moyens existent pour la réaliser, mais il manque ta volonté et l’esprit de notre siècle. tiens Hollein. Unowis, 1920. Rietveld, 1919. F.L. Wright, 1913. Tour Eiffel, 1887.