fp Hermann Finsteriin est né le 18 iuillet 1887 à Munich. Etudes de chimie, physique et médecine puis philosophie,. A partir de 1913 étudie la peinture. En 1916 s’installe à Schonau, écrit, peint et sculpte. Prend part à un certain nombre d expositions et notamment, en 1919, Architectes inconnus à Berlin. Il participe en décembre 1919, pendant un an, à la Chaine de verre » (Die glaserne Kette) où, sous l’impulsion de Bruno Taut, des architectes et des artistes échanoent leurs idées (H. Scharoun, B. et M. Taut. W. et H. Luckhardt en font partie). En 1922 abandonne définitivement ses recherches, n’ayant rien pu réaliser. En 1926 s’installe à Stuttgart où il vit actuellement. ID Le texte ci-dessous, intitulé Agencement spatial intérieur et les i’lustrations sont extraits de la revue Fruhlicy (1920-22), ie Bruno Taut, dont les numéros viennent d’être réédités dans la collection Bauwelt Fundamente, dirigée par U.rich Conrads, Edit.ons Ullstein, Berlin. Peut-être avez-vous entendu parler de gens qui, les yeux fermés, rien qu’à la résonance de leur propre voix, perçoivent sans jamais se tromper les formes solides de leur entourage et les corps qui s’approchent d’eux, et qui déclenchent même leur sympathie ou leur aversion. Vous n’ignorez pas avec quelle intensité les lignes d’un espace enclos peuvent agir sur les êtres, lorsqu’ils sont en disharmonie avec les pôles de nutation de leur âme ou le nombre de son vivant contenu. Il est incom-préhensible que l’étude de cette « acoustique de l’âme » ou, pour complaire aux physiologistes, du centre encore inconnu du système sympathique ou des nerfs sensoriels soit encore tellement négligée de nos jours. L’être humain est constamment exposé aux assauts du monde qui l’entoure, il lutte sans cesse consciemment, incons-ciemment ou subconsciemment contre l’influx de forces organiques 0,1 inorganiques. Dans le refuge de son logis, l’homme pourrait neutraliser ces attaques, pourrait baigner dans l’équilibre et l’harmonie de son « royaume ». Si jusqu’à présent, et aussi longtemps que les femmes enfanteront, la plus grande partie de l’humanité pîte comme le font ses propres parasites, dans les entrailles schématiques des chevaux de Troie cubistes qu’elle édifie, un petit nombre d’inspirés insufflera quand même, malgré toute la merveilleuse égalité et fraternité de l’avenir engagé, une nouvelle âme, celle de l’esprit humain libéré, à la pierre inerte de son paradis irrédentiste en lui conférant le don de métamorphose de Protée — ou des amibes et une nouvelle lignée d’âmes fluides cristal-lines pourra se dégager petit à petit de l’emprise du rigidé cérémonial formel datant de milliers d’années. On ne comprend, on n’apprécie pas assez, de nos jours, la force de vie, le caractère essentiel de l’art vu sous son aspect de prolongement de la nature, de phénomène cosmique et mystique. Une machine, un bâtiment, un tableau, etc., ces formes de vie — relativement stabilisées — de second rang, ces hôtes les plus nobles de la terre des hommes sont des entités directement rattachées aux diverses formes de la vie incluse. Ce rameau à la cime du grand arbre généalogique comporte ses variations, ses mutations, ses évolutions, ses métissages, individuels ou collectifs, constants ou sporadiques, ses hybrides auxquels je voudrais ouvrir, sous le totem de l’ « Architecture Héraldique », la porte menant à leur matérialisation sur ia terre. Entre cette nou velle architecture et l’architecture conventionnelle, il existe le même genre de rapports qu’entre une orchidé des tropiques et une petite pâquerette de nos prairies. Dans l’art comme dans la nature, un mouvement purement téléologique est une forme de compromis, de contrainte ; c’est « le sourire divin embué de larmes ». Or, moi, je veux qu’elle rie à gorge déployée, ne serait-ce que de ses joies éphémères au faîte de son existence, condam-née peut-être à disparaître, mais manifestant entre temps son brillant aspect de chrysalide, et je voudrais la voir lancer, avec des cris d’allégresse, la victoire de son espèce par-delà les nuits les plus sombres vers l’aube éblouissante des siècles futurs. Et si la note trop personnelle de ces réalisations devait choquer le sentiment de la population, rassurons-la en l’informant qu’une variante de base de cette nouvelle architecture se prête parfaitement à son développement en un type de caractère communautaire et populaire. Dans ce cas, la colonie de coraux doit simplement édifier son propre nouveau récif. Dans la construction religieuse, cette nouvelle conception architecturale offre d’in-nombrables possibilités de réalisations d’esprit communautaire. Son apogée, la nouvelle cité, conçue en organisme homogène et bien défini, en complexe organique, exprimerait avec beaucoup plus de dignité les données spiri-tuelles de la population que n’importe lequel des antres de cyclopes dont on nous a gratifiés jusqu’ici. Si la conception fondamentale de la nouvelle architecture permet sa transposition à une plus vaste échelle, elle influe aussi bien sur les moindes éléments d’une entité architecturale. La forme organique, type de forme de la dernière grande invention du génie tellurien, se situe entre le cristal et l’état amorphe. C’est dans cette région médiane de transition que mon architecture jaillit du sol. Dans la nouvelle maison, on n’aura pas seule-ment l’impression de se trouver au centre d’une féérique druse de cristaux, on se sentira habitant intérieur d’un organisme vivant, passant d’un organe à l’autre, symbiote en association avec un « sein maternel géant ». On retrouve la trace de la structure imbriquée de translation des formes manifestées de l’univers dans la série d’emboîtements : ville, maison, meuble, récipient. Comme des gonades d’organismes vivants. ces entités naissent l’une de l’autre : il ne faut plus que ces objets créés creux soient, comme jusqu’ici, disséminés au hasard. Des meubles tels que nous les mettons dans nos grandes boîtes d’habitation ne seraient, si on les plaçait dans un espace clos de nouvelle conception, fatalement que des éléments incongrus, gênants, destructifs et irritants. Dites-moi donc, si le schéma obligatoire de vos six murs contenant des cercueils pour vos mille obiets nécessaires ne vous a jamais agacés — si vous n’avez jamais été envahis de l’envie secrète de vous voir entourés d’un espace s’accordant au rythme respiratoire de votre âme : si vous n’avez jamais désiré creuser et forer comme un oxyure en plein dans la masse résistante d’un vieux bloc erratique et donner libre cours à vos impulsions dans la matière friable de la pierre ? Les meubles de la nouvelle chambre seront inamovibles, ce seront des formes secondaires, des excroissances inséparables des organes de la maison, des organes dans un organe, des réceptacles dans un réceptacle. Inutile de souligner que, dans ces conditions, le matériau qui les constitue doit être identique ou, au moins, apparenté à celui du contenant. Une armoire, par exemple, peut prendre racine dans la paroi de béton d’une maison et, en s’évasant, se terminer par de la majolique — on ne saurait prendre en considération l’emploi d’autres matériaux si ce n’est pour des revêtements décoratifs. Essayez d’imaginer des lits en majolique dont /es pieds jaillissent de l’infrastructure du sol et qui portent dans leurs corolles un doux duvet, comme des champignons abritant le mycélium qui donnera naissance air; futures générations. Comme « à l’extérieur », de moelleux cratères se creuseront pour inviter au repos les coron fatigués ; les pieds marcheront sur des sols vitrés transparents qui n’interdiront plus la perception sensorielle de l’ensemble des reliefs et supprimeront dans l’imaginaire le plan horizontal. Cette horizontale nécessaire et fertile, si elle était massive et opaque, trancherait l’espace enclos par ce nouveau genre de bâtiment comme une membrane pathologique. Le matériau transparent du sol permet au sens spatial de se diffuser librement dans toutes /es directions, et il assure à l’habitant une sensation d’équilibre indescriptible. Ce sol en verre recevra, comme des plates-bandes de fleurs, des taois de formes et de nuances nouvelles sur lesquels se jouera la première lueur pénétrant à travers les fenêtres’ « organiques » : les parties les plus minces des murs, les endroits dématérialisés par les excroissances de meubles jusqu’à la transparence, à la ressemblance avec le verre. Ou bien, le pied nu frôlera à chaque pas des motifs en relief sur le sol oui raviveront le sens du toucher tellement négligé et nous enrichiront de perceptions dont seules les parties les plus manifestes atteignent aujourd’hui le niveau de notre conscience, puisque nous nous sommes privés des pures et harmonies mélodieuses du monde de la matière qui nous embrasse de toutes parts. Le foyer pourrait ainsi devenir une expérience vivante, une mère-kangourou qui nous abrite et nous protège tendrement, la goutte de sève où niche ta bébé-cvnips, un Saint-Graal qu’empliraient chaque four /es forces éma-nant des pulsations de notre planète et non plus une tombe pour des momies de chiffons, réglées sur la taille 4 et coupées à la bonne longueur sur le lit de Procuste, des créatures insolites, déracinées, dont nous sommes contraints de subir, heure après heure, la réprobation. Pour vous qui avez le sens des réalités, je ne suis qu’un fou — ou le créateur d’un capharnaiim architec-tural qui aurait concrétisé sur cette terre simple et séria/se, imperturbable comme une matrone l’éternel para-doxe, le « carrus navalis » — ou encore, un conte de fée irréel, une brillante méduse qui risque de se dis-soudre en gelée dès qu’on l’arrache à son élément, l’utopie. Mais répondez-moi : le conte de fée n’est-il pas l’expression de notre constante nostalgie, à nous tous, l’éter-nelle aubade que l’Histoire offre à l’avenir, notre plus forte incitation à créer l’image de la terre friture ? Le conte de fée ne comportera-t-il pas tous les prototypes du surhomme ? N’avons-nous Pas contraint, à l’aide d’une mani-velle, le coursier d’airain ailé à sortir des mille et une nuits pour faire partie de notre vie quotidienne et dérobé à sa main divine les foudres de Jupiter ? Ne frottons-nous pas couramment la lampe magique pour établir des contacts qui mettent à notre service les esprits les plus puissants parmi les forces de la terre , Pourquoi fermez-vous alors le moindre recoin de votre foyer à la brise printanière ineffable du « conte de fée » prêt à se maté-rialiser ? Hermann Finsterlin.