ARCHITECTURE SANS ARCHITECTES >Dar Bernard Rudofsky • Architecte, ingénieur et critique, Bernard Rudofsky en organisant et en présen-tant l’exposition « Architecture sans architectes au Musée d’Art Moderne de New York (novembre 1964-février 1965) a entrepris de dégager le chemin qui, à travers tes civilisations fort différentes définit notre sens de l’histoire architecturale et pré-;ente l’art de bâtir comme un phénomène universel. Se dégageant des préjugés sociaux et géographiques qui ont trop souvent obscurci une vision totale de l’archi-tecture, il nous présente des aspects de mondes inconnus et parfois même insoup-onnés, celui des architectures spontanées, créées par des communautés dont le sens :atistique est indiscutable. Nous présentons de larges extraits du texte qu’il a écrit pour le catalogue de cette exposition ainsi que des illustrations dans les pages suivantes. •• •• ••  »  »  »  »  » •• ••  »  » ••  »  » • »• ••  »  » L’histoire de l’architecture, telle qu’elle est écrite et enseignée dans le monde pccidental, ne s’est jamais intéressée à plus de quelques cultures choisies, se limitant une petite partie du globe — l’Europe, l’Egypte et i’Anatolie — L’évolution de architecture est traitée habituellement dans ses dernières phases seulement. Laissant le côté les premiers cinquante siècles, les chroniqueurs ne présentent qu’une proces-ision costumée de l’architecture formelle. Bien que le rejet des débuts puisse être expliqué, mais non excusé, par la rareté de monuments architecturaux, l’approche particulière de l’historien est due principalement à son esprit de clocher. De plus, )’histoire architecturale comme nous la connaissons, est également partiale sur le ‘Plan social. Elle devient plus ou moins un « who’s who » d’architectes qui glorifiaient ya puissance et la richesse ; une anthologie de bâtiments de, par et pour les privi-légiés — les maisons des dieux vrais et faux, des princes marchands et des princes !de sang — sans jamais un mot sur les habitations du peuple. De telles préoccupations fde l’architecture noble et de la noblesse de l’architecture à l’exclusion de toutes autres sortes peuvent être compréhensibles jusqu’à la génération dernière, quand les reliques let les ruines de constructions anciennes constituaient des modèles d’excellence pour l’architecte, mais aujourd’hui, alors que l’imitation des formes anciennes se pratique !de moins en moins, quand les banques ou les gares’ ne sont pas obligées de ressembler là une prière en pierre pour inspirer la confiance, de telles limitations librement !consenties par l’artiste, paraissent absurdes. L’exposition « Architecture sans Architectes » essaie d’abolir nos concepts étroits [sur l’art de la construction en introduisant le monde peu connu de l’architecture sans généalogie. Elle est si peu connue que nous n’avons même pas un nom à lui donner. A défaut d’étiquette générique, nous l’appellerons vernaculaire, anonyme, spontanée. qndigène, rurale, suivant le cas. Malheureusement, notre vue de l’image totale de l’architecture anonyme est déformée par une pénurie de documents, visuels et autres. !Sur les objectifs artistiques et la compétence technique des peintres qui vivaient bo 000 ans avant notre époque, nous sommes passab:ement bien informés, mais les archéologues considèrent avoir de la chance quand ils découvrent les vestiges d’une :ville datant du troisième millénaire avant le Christ. Puisque la question des débuts .de l’architecture est non seulement légitime mais qu’elle pèse lourdement sur le thème de l’exposition, il convient de faire allusion, même rapidement, aux sources possibles. Une nation qui jure sur la bible la considère aussi comme un livre incomparable de références. Hélas ! les précisions données dans les Ecritures en ce qui concerne yrarchitecture ne sont jamais aussi déconcertantes que lorsque nous apprenons (Genèse nIV : 17) que Caïn, le fils d’Adam, a construit une ville qu’il nomme d’après son fils tEnoch. Une ville pour une famille — c’est une entreprise extravagante qui n’a sûrement kjamais été répétée dans l’histoire. Si elle démontre quelque chose, c’est le progrès ‘fait par une seule génération — de l’existence bénie du Paradis à l’organisation compliquée d’une ville. Les sceptiques qui considèrent Enoch comme une chimère :trouveront plus de signification dans l’arche, surtout parce qu’elle était commandée par ile Seigneur lui-même et construite d’après ses spécifications. I; Les impies qui préfèrent se tourner vers la science dans leurs recherches des !origines de l’architecture auront à avaler quelques faits indigestes. Car il semble ‘faire longtemps avant que l’homme entreprenant ait tordu quelques branchages pour ‘faire un toit peu étanche, plusieurs animaux étaient devenus déjà des bâtisseurs accomplis. Il est peu probable que les castors aient eu l’idée de faire des barrages en regardant travailler les hommes. Cela s’est produit dans le sens contraire. Très probablement, l’homme a eu son premier stimulant en voyant les abris construits „par ses cousins les singes anthropomorphes. Darwin a observé que les orangs-outans ‘clans les îles d’Extrême-Orient et les chimpanzés en Afrique élevaient des plate-formes sur lesquelles ils dormaient, « et puisque les deux espèces suivent la même habitude, ion pourrait prétendre que ceci est dû à l’instinct, mais nous ne pouvons être sûrs que ce ne soit pas dû au fait que les deux animaux éprouvent des besoins analogues, et possèdent des pouvoirs similaires de raisonnement ». Des singes non apprivoisés ne partagent pas l’impulsion de l’homme de chercher abri dans une caverne naturelle, ou sous un rocher en saillie, mais ils préfèrent un échafaudage aéré de leur propre :fabrication. Dans un autre passage de « La Chute de l’Homme » Darwin explique ‘que « l’orang-outan se couvre la nuit de feuilles de pandanus, et Brehm notait qu’un ide ses babouins » prenait l’habitude de se protéger de la chaleur du soleil en se !jetant un paillasson sur la tête. Dans ces habitudes, conjecture-t-il, nous voyons proba-blement les premiers pas vers les arts plus simples, tels que l’architecture sommaire, et l’habillement, comme ils naissent parmi les ancêtres de l’homme. Le banlieusard qui s’endort à côté de sa tondeuse à gazon, la tête protégée par une page de son ! journal du dimanche, représente à nouveau la naissance de l’architecture. , Cependant, même avant que l’homme et la bête ne marchassent sur terre, il (existait une sorte d’architecture, modelée grossièrement par les forces vierges de ,création, polie par le vent et l’eau en structures élégantes. Des cavernes naturelles surtout, gardent pour nous une grande fascination. Ces cavernes, ayant été parmi les [premiers abris de l’homme, seront peut-être les derniers. Bien que les arts exotiques aient été appréciés dans le monde occidental depuis L longtemps — tout en étant qualifiés de « primitifs ,, l’architecture exotique (le mot .exotique est employé ici avec sa signification originale, c’est-à-dire étrangère) n’a ,soulevé aucune réaction, elle est encore reléguée aux pages de revues géographiques ‘et anthropologiques. En effet, à part quelques études régionales et des notes épar !pillées, aucune littérature n’existe sur le sujet. Néanmoins, dernièrement, depuis que l’art de voyager s’est converti en activité industrielle, les charmes des villes « cartes postales » et l’architecture « populaire » des pays de « contes de fée » se sont révélés d’un attrait considérable, mais notre attitude reste manifestement condescendante. Sans doute l’élément pittoresque abonde mais cette exposition n’est, ni un exercice du pittoreSque, ni un guide touristique, sauf dans le sens où elle marque un point de ,départ pour l’exploration de nos préjugés architecturaux. Elle est franchement pole-j trique, en comparant comme elle fait, si ce n’est que par insinuation, la sérénité de l’architecture dans les pays réputés sous-développés avec le fléau architectural dans les pays industriels. Dans l’histoire orthodoxe de l’architecture, l’accent est mis sur le travail de l’architecte individuel : ici l’attention est attirée sur le travail en commun. !Pietro Belluschi a défini l’architecture commune comme « un art commun, qui n’est E pas produit par quelques intellectuels cu spécialistes, mais par l’activité spontanée et continue de tout un peuple avec un héritage commun, agissant sous l’influence d’une !communauté d’expérience ». On peut prétendra que cet art n’a pas de place dans une civilisation inexpérimentée, mais la leçon à tirer de cette architecture ne doit pas !être complètement perdue pour nous. Il y a beaucoup à apprendre de l’architecture avant qu’elle ne suit devenue l’art d’un professionnel. Les bâtisseurs non formés manifestent un talent admirable pour créer leurs constructions en harmonie avec l’environnement naturel. Au lieu d’essayer de dompter la nature comme nous le faisons, ils accueilllent avec joie les caprices du climat et le défi de la topographie. Tandis que nous préférons un pays plat sans caractère (actuellement les accidents de terrain son facilement égalisés par un bulldozer) les peuples plus primitifs sont attirés par un paysage plus rude. En effet, ils n’hésitent pas à rechercher les configurations les plus compliquées. Les plus optimistes d’entre eux avaient déjà choisi de véritables nids d’aigle pour construire —Machu Picchu, Monte Alban, les bastions rocailleux de la république des moines au Mont Athos pour ne citer que les plus connus. La tendance à construire sur des sites d’accès difficiles peut être reliée sans doute à un désir de sécurité mais peut-être encore plus au besoin de définir les limites d’une commune. Dans le vieux monde, beaucoup de villes sont encore entourées par des douves, des lagunes, des glacis, ou des murailles qui ont depuis longtemps perdus leur valeur défensive. Bien que les murs ne présentent plus aucun obstacle aux envahis-seurs, ils aident à circonvenir une expansion non désirée. Le mot • urbanité » leur est lié, le mot « urbs » en latin avant la signification « ville murée ». Donc une ville qui aspire à être une oeuvre d’art doit être aussi limitée qu’une peinture, un livre ou une musique. Puisque nous sommes ignorants de ce genre de planification urbaine, nous nous épuisons dans la prolifération architecturale. -Nos villes, avec leur air de futilité, poussent sans contrainte — un eczéma architectural qui met au défi n’importe quel traitement. Puisque nous sommes ignorants des devoirs et des privilèges des gens qui vivent dans les civilisations plus vieilles, puisque nous donnons notre assentiment en acceptant le chaos et la laideur comme un destin ordonné d’avance, nous neutra-lisons nos doutes sur les empiètements de l’architecture sur nos vies avec de faibles protestations sans but bien déterminé. Une partie de nos ennuis résulte de la tendance à imputer aux architectes — et à tous spécialistes — une perspicacité exceptionnelle pour les problèmes de la vie, quand, en vérité, la plupart d’entre eux, ne se préoccupent que des problèmes d’affaires et de prestige. De plus, l’art de vivre n’est ni enseigné, ni encouragé dans ce pays. Nous le considérons comme une forme de débauche, peu conscients que ses principes sont la frugalité, la propreté et un respect général pour la création, sans parler de la Création. A un certain degré, cette situation est due à l’assiduité de l’historien. En soulignant invariablement le rôle joué par les architectes et leurs protecteurs, il a obscurci les talents et les réussites des bâtisseurs anonymes, hommes dont les concepts frisent les idées utopiques, dont l’esthétique s’approche du sublime. La beauté de cette archi-tecture est depuis longtemps jugée comme accidentelle, mais aujourd’hui nous devrions pouvoir la reconnaître comme le résultat d’un bon sens rare dans la solution des problèmes pratiques. Les formes des maisons, quelquefois transmises à travers cent générations semblent éternellement valables, comme celle des outils. B. R. L’ARCHITECTURE POPULAIRE par Varenka Marc. L’architecture populaire nous attire, nous émeut, nous éblouit, nous rassure. Sa parfaite intégration au site, son adaptation instinctive aux conditions imposées par la latitude, le climat, les matériaux, le genre de rie des occupants, n’ont jamais été dépassés par les plus grands architectes contemporains; architecture d’instinct, archi-tecture sans le savoir, guidée par une simple nécessité d’adaptation à des besoins géographiques, historiques ou de défense, elle traduit directement l’esprit du peuple et ne subsiste que dans les régions restées pures de toute influence étrangère. Ses artisans constructeurs n’ont jamais étudié l’architecture ils la réalisent instinctivement, sans le vouloir, en suivant une voie naturelle, elle est parfaitement authentique et liée aux lois de la nature. Ils improvisent mais leur improvisation est logique, jamais gratuite et n’a pas pour fin essentielle de raire une oeuvre d’art ou une construction grandiose. C’est le plus parfait exemple d’architecture fonctionnelle dont la forme dérive de la fonction prévue au préalable. La tache primordiale du construc-teur est l’aménagement de l’espace intérieur, toujours à la mesure de l’homme, parfai-tement proportionné et conçu en fonction de la vie de l’homme à l’état naturel. La maison populaire se lie merveilleusement à son cadre. Construite avec des matériaux primitifs, elle s’associe à l’aspect général du paysage. C’est une coopération de la nature et de l’homme avec pour collaborateur le temps et le hasard, qui lui permettent de conserver une certaine individualité quoique le plan de chaque maison soit presque identique. Nous sommes souvent surpris par une survivance de formes créées parfois à deux époques fort éloignées et apportant une solution à des problèmes identiques posés par les mêmes nécessités matérielles. L’architecture populaire, homogène et pure, sans faux semblant, toute tendue vers l’essentiel, éblouit notre siècle anxieux mais avide de vérité. On sait quelle influence elle a exercé au début du siècle sur les grands architectes contemporains, Wright et Le Corbusier. Architecture toute de rigueur, sans concessions ni coquetteries, elle nous ramène aux sources les plus pures de l’architecture actuelle et possède en elle une lueur du plus bel idéal de l’homme. La brusque naissance d’un monde nouveau, le prodigieux essor industriel de notre temps fait surgir une architecture nouvelle mais du fait que l’homme fait toujours partie de la nature tout ce qu’il crée ou construit répond à des conditions d’ordre naturel. Les moyens inouïs apportés par le monde machiniste bouleversent l’architecture envers et contre les poncifs de l’architecture traditionnelle. Le retour à la maisol populaire de l’artisan constructeur n’est pas possible ; les ressemblances plastiques ne sont qu’illusion. Les formes que l’on croit semblables n’ont aucune parenté réelle. Lorsqu’il s’agit de créer il faut se méfier des ressemblances : r Les vessies que l’on prend pour des lanternes ne donnent pas de lumière ». Un fait est là : la transformation du monde a été plus profonde en cinquante ans qu’en cinquante siècles. On recherche une architecture fonctionnelle mais elle exige l’authenticité et n’admet pas l’imitation. Admirons la maison populaire, acceptons l’exemple qu’elle nous donne, mais sachons n’en copier que l’esprit : le respect du site, de la matière et l’expression franche de son caractère. Ne nous laissons pas emporter par le seul plaisir des yeux ; l’architecture perd alors sa raison d’être, son exactitude, ses qualités vitales, elle se réduit à l’apparence. « On comprend tout lorsqu’on remonte aux sources » dit Erie Faure. contemporaine touche aux mêmes vérités profondes que l’architectu lorsqu’elle est l’oeuvre d’un véritable artiste : « L’homme capable d’ jusqu’à la poésie sans qu’il s’en doute ». 19 FIND ART DOC