18 NOTES ET DIGRESSIONS SUR L’ÉGLISE DE L’AUTOROUTE DU SOLEIL (avec une prémice sur le rapport nature-architecture) par Luigi Figini. Texte publié dans « Chiesa e quart:ere », Bologne, no 30-31, 1964. • En donnant ces quelques extraits de l’article de Figini, nous avons voulu montrer comment l’enthousiasme peut soutenir un ensemble d’idées très cohérentes sur une forme d’architecture ouverte aux mouvements et à l’esprit de la nature. On peut partager les vues de l’auteur ou au contraire les trouver déplacées, mais ou ne peut pas après la lecture de ces lignes demeurer dans les certitudes que l’on croyait avoir acquises. Il faut entrer dans les discussions avec un nouvel arsenal d’arguments. Nous avons choisi les phrases ou les paragraphes les plus positifs par souci de clarté, mais nous avons conscience de perdre le lyrisme de l’auteur qui touche lui aussi une part très importante de la réalité. J. A. • SUNT CERTI DENIQUE FINES…? Des limites existent-elles, entre les oeuvres construites par l’homme et celles cons-truites par la nature, qui les partagent avec certitude ? Est-il écrit que l’homme est d’un côté et la nature de l’autre? Tout au long de cette muraille ae Chine qui sépare les deux domaines, des pas-sages secondaires ne s’ouvrent-ils pas, fortuits, passages secrets, masqués, qui per-mettraient certains dépassements de frontière ou incursions abusives dans ces domaines réservés? Un examen des rapports réciproques et divers entre architecture et nature, s’il peut répondre à certaines des questions posées, en pose à sen tour de nouvelles, compli-quant ainsi la déjà complexe problématique avec toutes les réactions successives qu’elle comporte. Pour construire ses monuments spectaculaires, la nature a travaillé essentiellement de deux façons: à l’équerre et au fil à plomb (exemple : les pyramides naturelles nubiennes, les cathédrales dans le désert), ou bien sans l’usage de ces instruments, « au sentiment o (ex.: icebergs et grottes), ou bien encore à travers une contamination mêlée des deux manières (ex.: tours, châteaux et clochers dolomitiques, etc.). L’homme n’a pas toujours superposé ou juxtaposé au cadre de la nature /es lignes et les volumes de ses constructions élaborées, il a même parfois cherché la collabo-ration de la nature, au moyen d’apports divers et différemment dosés. Avec ce résultat parfois automatique, parfois imprévu ou involontaire — de prodigieuses et incons-cientes contaminations. Et ce sont les temples rupestres et païens, érigés en Afrique et en Orient, comme le grand TEMPLE DE HARMAKHIS et celui de HATHOR DE ABOU-SIMBEL (nous ne les verrons désormais plus « ainsi » : ils sont devenus au cours des siècles une chose, une couleur, avec le paysage nubien intact seulement — fait de dos rocheux et de sables fauves, avec pour seule ombre celle d’un arbre tourmenté, gigantesque, que l’on nomme là-bas la « barbe du prophète », garni d’acacias rares et jaunes — se reflé-tant dans les eaux du Nil). Tout comme les tombes-sanctuaires que les Nabathéens creusèrent à PETRA à même les parois verticales de roche ose; comme le TEMPLE DE KAILASA A ELLORA et les GROTTES DE AJANTA, aux Indes. Ce sont des églises et chapelles chrétiennes, entièrement creusées à même la roche: à Goreme, en Cappadoce. « unicum » dans leur genre, les églises rupestres de la « Vallée Pétrifiée o, de type byzantin, narthex, absides et iconostases, historiés par des cycles complets de fresques. Souvent la nature-modèle a proposé à l’homme constructeur ses propres archétypes dans toute leur splendeur. De la splendeur organique du corps humain ou du monde animal (modèle indirect et analogique seulement) à la splendeur géométrique des cris-taux de quartz, de pyrite, de neige • de l’oeuf et de la coquille d’escargot (modèle direct), à la splendeur informelle, agéométrique, des coquillages, de certaines forma-tions rocheuses, des icebergs (modèle stimulant, par suggestion). L’homme — à son tour — en construisant (par réaction, peut-être contre les pseudo-incursions effectuées par la nature dans la maison d’autrui), a pris le goût parfois d’aller à l’école de la nature, suivant en bon élève, outre ses lois, les suggestions que lui inspiraient certains archétypes que la création venait lui offrir. Après l’exemple peut-être plus illustre, celui du gothique qui, dans les forêts de sapins nordiques, a rencontré le modèle vivant, en grandeur véritable, des forêts de colonnes pour ses cathédrales, nous voyons — avec un saut de plusieurs siècles —un Gaudi qui retrouve dans les troncs déracinés des arbres la première intuition et le motif de ses pilastres pour L’INTERIEUR DE LA SAGRADA FAMILIA, et des pilas-tres Inaccoutumés de SANTA COLOMA (des terres cuites seules, mais inclinées en inquiétantes angularités jamais tentées encore). • L’EGLISE DE L’AUTOROUTE DU SOLEIL. Nous nous trouvons en face d’une espèce d’anarchie contrÉlée, ou mieux encore, d’une Anarchie de Programme : non sans limites, mais au contraire dans les limites peu libérales d’une forme d’auto-imposition ; opérant suivant tes lignes d’un programme avec des marges d’arbitrage pré-déterminées (lequel, combien, comment ?). Un arbitre qui parfois peut sembler trop ample, voisin du divertissement, de l’exhibition voire même du caprice, même s’il n’en est rien. Une architecture aussi complexe. hérissée de problèmes irrésolus, parmi ses nom-breux aspects présente celui (technico-spatial) de la non-représentabilité par des pro-cédés, des graphiques ou des moyens normaux. Et comment définir une sculpture à travers des géométries (plan, couples, sections, etc.) ou des coordonnées cartésiennes. Seule le,modelage tri-dimensionnel, peut ici être de quelque concours au projeteur et au constructeur en chantier, grâce à l’usage et à l’abus de modèles. Cette « sculp-ture-église » est, aussi bien dans les intérieurs que aans les extérieurs, extrêmement difficile à « représenter », comme certains coquillages, très beaux, dont l’intérieur est aussi compliqué que l’extérieur. Michelucci, exceptés les premiers modèles en bronze, a travaillé ensuite sans modelages… Réussissant ainsi à dominer les volumes, les pleins et les vides, et la fin et la réunion des espaces intérieurs dans leurs imprévisibles et complexes séquences. On a du mal à s’en persuader : s’il en était ainsi il faudrait lui attribuer un instinct extra-normal, un sixième sens dont les autres sont généralement dépourvus. Après la création, personne n’a plus rien créé à partir du néant (cf. même en parallèle : « on ne peut ni créer ni détruire la matière, mais seulement la trans-former »). On ne part jamais du zéro absolu ; il faut bien partir d’un certain point. Même Colomb de Palos… Tous — même les grands novateurs et en tous domaines — ildt ont tous commencé à partir de quelque chose. Il y a bien ceux qui prétendent qu’il faut repartir à zéro, réinventer tout de a à oméga ; mais ce ne sont que de « faux prophètes », ils ne vendront que de la fumée. Aucun artiste n’est jamais, tout à fait, un « voyageur sans bagages » (et dans ses bagages il n’y a pas que !a préparation, le substrat culturel, etc., [nais aussi les influx, son monde privé de « sympathies », les affinités conscientes ou inconscientes), Il les laissera en dépôt temporairement ces bagages, il les oubliera peut-être; ou il feindra de les oublier partant pour une aventure plus imprudente et plus dangereuse que d’habitude, mais il ne pourra jamais s’en défaire complètement. Parce que Ce bagage, petit nu grand, continuera toujours à lui appartenir, malgré lui. D’aucuns ont parlé d’un cas d’architecture informelle, d’autres encore d’architecture • • • . . • • • existentielle. Or, la définition d’informelle nous semble impropre (voire même injuste) : nous rry trouvons ni l’excès d’arbitre, ni la place gratuite, typiques de la plus grande partie de la peinture informelle ; e l’on ne pourrait guère insérer dans cette poétique la très longue et accablante fatigue, la rigueur de la méthode, le tourment de longues saisons et la volonté précise de l’artiste-homme présents dans l’oeuvre de Michelucci, où une loi, parfois une « dura lex », est imposée à l’arbitre même. Pour une grande part de la peinture informelle, l’oeuvre accomplie apparaît souvent comme la résultante d’une partie de cartes jouée avec le Hasard et l’Inconscient (au mythe souterrain et aveugle duquel on cède, et on abdique en lui accordant le sceptre). Chez Michelucci, au contraire, l’oeuvre qui tour à tour prend forme entre ses mains, est déjà prévue « ab ovo », rien n’est laissé à l’improvisation du « geste , même si ensuite, en chemin, de nouvelles variantes et contaminations viennent se greffer à travers des examens ou des regrets nouveaux. Michelucci, aussi bien, n’attend pas comme une grâce que le Dieu Hasard ou le démon de l’Inconscient, qui colla. borent avec lui, ne lui disent à un moment donné : tu es arrivé, arrétes-toi ; ils le préviennent : le voyage est terminé. Mais toujours « a priori » il sait comment, pourquoi et où il veut arriver. Il faut considérer enfin que la matière même de l’architecture (aussi bien physique, des matériaux de construction, que morale et sociale : des fonctions, des instances humaines et civiles auxquelles il doit satisfaire) répugne à l’arbitre total, qu’elle en trahirait le « corps » et l’âme. Le deuxième qualificatif ne nous semble pas plus adéquat. L’opération de détache. ment de la rumeur mondaine extérieure, de tout sous-entendu matérialiste et la religio-sité profonde, réunies dans cette église suffisent à elles seules pour le nier. Et elles s’apparentent mal — antithétiques qu’elles sont — à I’ « angoisse existes. tielle » en général, et encore moins à l’existentialisme nihiliste sans espoir et sans dieu, qui dans la vie voit « tout noir, tout silence, tout fini, tout balayé » (Cf. par exemple, le théâtre de Beckett — la citation vient de « .;eu »). A moins que l’on ne veuille se référer — sans que cela ait été éclairci — à un existentialisme chrétien racheté, comme celui de G. Marcel ou que l’on n’entende pas se réclamer de ses sources les plus pures, surgissant d’une religiosité prcfonde, c’est-à-dire à Kirkegaard. Mais une telle extension même — seulement implicite — ne ferait qu’accroître la polyvalente ambiguïté de la terminologie utilisée. Et si nous devions vraiment nous entêter de placer l’église de l’autoroute dans un lit de Procuste d’une classification a tout prix (chose toujours difficile, dangereuse, et souvent inutile), alors nous préférerions (insistant sur la re-découverte et sur la nouvelle rencontre de Michelucci avec la « Nature-Modèle ») chcisir la définition d’architecture naturelle rendue à une signification plus naturelle. L. F. FORMES NATURELLES ET ARCHITECTURE par Enzio Gianotti. Extraits d’une étude sur l’homme et l’ambiance publiée par « Edilizia n° 11, .,965, …Les premiers modèles de refuge, de protection, d’ordre et de disposition, l’homme les a pris dans la nature : d’abord directement, et ensuite en tant que moyen, en s’appliquant peu à peu à en développer dialectiquement tous les motifs implicites jusqu’à son dépassement sur des bases inorganiques. Pourtant, les phases de cet iti-néraire ne sont pas tellement en contradiction avec l’évolution des techniques, qu’elles ne le sont à l’égard du devenir de la structure humaine et sociale de l’homme. C’est donc la modification de certaines valeurs éthiques et de la civilisation, conditionnant toutes les structures et les expressions de la vie, qui altère l’équilibre organique des architectures et qui développe la puissance dynamique, la verticalité, le long des lignes de force centrifuges. C’est l’abandon d’une conception statique de la vie pour une autre dynamique (au sens absolu), qui dénoue l’arcnitecture de la nature, et qui en inter-rompt l’osmose. Parce qu’au fond telle est bien la dominante dans le processus naturel. Entre la nature et l’ambiance, en fait, l’interpénétration est constante, et par consé quent l’intégration des composantes, absolue, alors qu’au contraire elle est épisodique, donc relative, entre l’architecture humaine et l’ambiance, aussi bien l’action réciproque que l’intégration… … L’architecture protohistorique (si l’on peut dire), et celle de l’histoire antique (Méso-potamie, Egypte, Grèce, Rome), apparaît à un tel point avertie d’une conception monu-mentale et autocontenue de la forme (entendue comme expression d’une réalité éthique ou religieuse absolue), jusqu’à se développer en mesures et en cadences qui retiennent de la sculpture l’intention décorative et la signification symbolique au plus haut degré. Conception qui trouve en Grèce (plus qu’à Babylone ou à Thèbes, oppri-mées par le gigantisme théocratique) sa plus haute et plus parfaite expression. « Quand les athlètes couraient nus dans l’arène — dit R. Furneaux-Jordan dans sa conférence (1) — comme pour un rite religieux, il existait un idéal unique ranscen. dental qui ne pouvait être exprimé qu’au moyen de la sculpture. Quant à l’architecture, elle devint non seulement le véhicule de la sculpture, mais elle se fit sculpture La ma-thématique, entendue comme un mode pour définir la forme et comme tanatisme mys-tique (observation peut-être excessive si l’on considère le peu de passion du tempéra-ment grec) (2), triomphait sur l’Acropole ; comprise comme aide pour circonscrire l’es-pace, elle était pratiquement inexistante. S’il avait pu, Ictinos aurait sculpté un temple dans un unique bloc de marbre, en donnant des références anatomiques à chacune des parties. La structure — distincte du problème de l’arrangement des pierres dans un ensemble — n’existait pas ; elle n’avait aucun intérêt. Le Parthénon était un édifice bicellulaire présenté comme unicellulaire. La trabéation qui posait sur les colonnes du péristyle avait un coefficient de sécurité de 30, alors que la couverture principale aval! été depuis longtemps emportée par le vent. Puis, ‘ruand il fut achevé, il était davantag-un tabernacle ou une arche qu’un édifice, il fut émaillé de haut en bas comme n’ire porte quel autre sarcophage oriental… o E. G. • • • (1) R. Furneaux-Jordan : « La signification de l’histoire o. Conférence publiée dans » Ar. chitectural Association Journal o, Londres, juin 1963. (2) Note de l’auteur. • Dans l’église de l’autoroute du Soleil de l’architecte Michelucci, les références à des formes naturelles, même à travers la rigueur structurelle et par conséquent mathématique, sont evidentes. e• Dans l’architecture de l’Espagnol An. torii Gaudi, le rappel naturaliste est visible Le temple de la Sagrada Familia, -à Barcelo et le parc Gilet/ restent cc mir = •in C as moignages /es plus valables ‘2e` rot (tett Gaudi entendait la constru,tion ,orr■rne ramification chromatique nature, comme une libre r. 9ri celle-ci, sans autre règle . nique des formes.