Poissy, Garches, Marseille, Harvard, l’exis-tence des rues et des places y est bien plus tangible que dans l’urbanisation totale qu’on nous annonce comme prochaine. C’est lui qui a introduit la fonction archi-tecturale dans la fonction urbaine. Conséquence de son respect pour l’espace total dans lequel prennent place tous les évé-nements de la vie. Faire toucher, sentir, l’existence de cet espa-ce total au moyen de volumes bâtis a été intro-duit par l’homme de la rue de Sèvres à Paris et par-là même il a mis entre les mains de l’homme de la rue, la possibilité de s’identi-fier en tant que personne avec le phénomène essentiel et ainsi de devenir roi dans son propre domaine. Il a créé des bâtiments qui mettent en har-monie volumes et espaces, ombre et lumière, pauvreté et richesse, prière et poésie, sculp-ture et peinture. Ce sont comme des « machines à organi-ser » des bâtiments qui détruisent la doctrine, reconnaissant la force de la vie en toute chose, la force du sourire. Le Corbusier a donné aux jeunes une base solide pour aller vers une architecture qui soit action dans la vie de l’homme en quête d’harmonie. Quand, en 1959, les jeunes ont trouvé que les CIAM avaient perdu la concentration et la densité nécessaires pour aborder les problè-mes actuels, ils se rencontrèrent de manière spontanée et directe à Otterlo. En recevant l’ouvrage qui résulta de cette rencontre « CIAM 1959 à Otterlo » Le Corbusier écrivit à l’édi-teur la lettre ci-dessous et il m’a envoyé une copie en ajoutant ce croquis : Paris, le 5 juillet 1961 Monsieur Karl KRAMER, Stuttgart W. Monsieur, Je vous accuse réception de votre ouvrage « CIAM 59 in Otterlo ». Ce livre me paraît très bien fait et d’un excellent esprit. Je suis très content de voir la ligne de conduite adoptée par les gens d’Otterlo. Il faut que chaque génération prenne sa place à l’heure utile. Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations les meilleures. —74,j3 ‘3o L■31,,,.., nous faut maintenant dire : merci Le Corbusier, et prendre nos responsabilités. … l’architecture exige de formuler claire-ment les problèmes. Tout dépend de cela. C’est ici le moment décisif. Limiterons-nous le pro-blème à la satisfaction pure et simple de l’utilité ? Il s’agirait alors de définir l’utilité. La poésie, la beauté et l’harmonie, font-elles partie de la vie de l’homme moderne ou n’exis-te-t-il pour lui que les fonctions mécaniques de la machine à habiter. Il me semble que la recherche de l’harmonie est la plus belle passion humaine. Le but dans son infini est précis, il est large car il s’étend à tout… (Le Corbusier, Paris, septembre 1929.) Je crois que maintenant, 36 ans après qu’il ait écrit ces mots et 35 ans avant l’an 2000, il est plus clair que jamais que c’est Le Cor-busier qui nous a montré la route. NORMAN N. RICE C’est ce jour de 1961, passé à Philadelphie avec Le Corbusier, qui m’a rendu pleinement conscient des treize mois révolutionnaires pendant lesquels j’avais travaillé avec lui, 31 années auparavant, au 35 rue de Sèvres. En vieillissant, il est devenu de plus en plus lui-même, un géant plus fort et plus grand. Il disait que son temps devenait plus bref, et davantage de personnes lui demandaient de le gaspiller en leur faisant plaisir. Néanmoins, il a consenti à parler à un groupe d’étudiants rassemblés hâtivement, et il les fascinait. Quand le président de « American Institute of Architects » lui a décerné la médaille d’or, il remarquait en plaisantant que la médaille de la R.I.B.A. était plus épaisse ! Il a influencé chaque architecte dans le monde, même si cette influence n’est pas reconnue consciem-ment, ou même si elle est reniée. La nature humaine incite souvent le débiteur à décrier la dette et le créditeur, mais de telles paroles ne diminuent au moindre degré la puissance et les vastes dimensions du génie. Merci encore, mon ancien maître. 15 septembre 1965 DENYS LASDUN (extrait) Pendant presque un demi-siècle, Le Cor-busier, comme architecte, ingénieur, peintre et écrivain, a constitué un idéal. Il a planté les poteaux indicateurs essentiels qui ont dirigé les oeuvres des architectes de sa propre géné-ration et des deux générations suivantes, dans le désert contemporain qui se trouve entre la technologie et l’inspiration. Ses conceptions architecturales ont des antécédents dans l’his-toire et des descendants qui peuplent le monde entier de l’architecture moderne. Ses liens avec l’histoire et ses propres sources d’inspiration peuvent être retrouvés autant dans l’architec-ture de la Grèce, de Rome, du Moyen-Orient qu’avec Ledoux, les Futuristes, le Cubisme et le travail des ingénieurs du XX’ siècle. Il y a trente ans, il a visité le Crystal Palace de Paxton et, deux ans après, quand cet édifice a brûlé, il rendait hommage à cette splendide structure en ter et verre, où tout était gran-deur et simplicité, et dans laquelle il recon-naissait une façon de penser, d’accomplir un ordre applicable aux problèmes contemporains. VLADIMIR KASPE (extrait) Le Corbusier a été, – dès ses débuts —l’homme contemporain par excellence et par anticipation. « Autodidacte », il entreprit de repenser et de refaire l’homme, tel qu’il l’a trouvé au début de ce siècle. Dès son premier apprentissage de graveur de montres, dès ses stages chez Hoffmann, Perret ou Berhens et ses premiers voyages à travers les pays de l’Antiquité et de la Renais-sance, Le Corbusier « vit » avec une acuité exceptionnelle le conflit grandissant entre l’homme désorienté et la machine envahis-sante, il vit l’abîme qui séparait l’homme de ce que le monde nouveau pourrait et devrait lui donner un jour. Or pour préparer le chemin à l’homme futur il fallait « le vivre » soi-même en totalité. Exercer son métier ne pouvait suffire. Le Cor-busier se lança donc dans la lutte, avec tous ses dons et tous ses moyens. Fait significatif : Le Corbusier fut, à la fois, le héros et la victime de son temps. Héros, parce que toujours à l’avant-garde de la lutte contre les conformistes, les indifférents, contre ies pouvoirs publics, contre ceux même qui, tout en paraissant le suivre, exigeaient de lui une « fidélité » absurde à ses soi-disant pre-miers principes. Héros, parce que souvent il sacrifia à ses idées ce qui aurait pu être une brillante « carrière » d’architecte. Héros, enfin, à ses périlleux débuts, pour les étudiants que nous étions alors et pour qui il représentait un îlot de résistance, auquel on s’accrochait dans l’espoir de se réaliser. ALDO LORIS ROSSI (extrait) Contre toutes les « orthographes » d’épi-gones bornés et tenaces, l’oeuvre du maître se précise, comme un document lucide-ment chargé d’intention dans sa synchroni-sation avec les époques de l’histoire, réaffir mant dans un exercice d’hérésie cohérente (qu’on me pardonne ce paradoxe verbal) le sens ultime de sa recherche expérimentale, essentiellement hétérodoxe, de vérités nou-velles. Dans la mesure où le problème de concilier méthode et liberté expressive, pro-gramme idéologique et invention linguistique, matrice théorique et hasard stylistique, consti-tuera encore une fois le thème central du débat des générations nouvelles, on compren-dra jusqu’au fond l’enseignement passionné et intransigeant de l’un des plus exceptionnels, et en même temps mal compris, des maîtres du mouvement moderne. BRUCE GOFF Toute sa vie le génie de Le Corbusier n’a cessé d’étendre les horizons de l’architecture. chaque nouvelle oeuvre individuelle surprenait avec son imagination et sa beauté toujours fraîches. Sa sincérité, sa diligence, son cou-rage et son dévouement se révèlent à travers ses toiles, ses écrits et son architecture au sens le plus large. Il n’était pas seulement une machine, comme certains se plaisent à croire. Feu Eric Mendelsohn, son grand contempo-rain, a dit de lui : « Un jour le monde se rendra compte que Le Corbusier est un des plus grands poètes ». Il avait une personnalité complète et supérieure, qui travaillait d’une façon nette dans un monde ignorant, hostile à sa valeur. Nous avons tous profité de son exemple. Sa puissance créatrice, en dévelop-pement constant, a été abrégée par la mort, au moment où nous en avions le plus grand besoin. Le monde ne peut se permettre de perdre Le Corbusier. 11 octobre 1965. ALAIN FOURQUIER (extrait) Le Corbusier était un révolutionnaire. Révolté contre toutes les puissances illicites, les orga-nisations inefficaces, les fausses valeurs… « Lorsque la civilisation machiniste aura compris que vivre harmonieusement doit être l’objet même du compte qu’elle doit régler avec les stocks de son passé, l’urbanisme retrouvera le fait social, l’architecture appor-tera du bonheur quotidien, l’autorité aura géré la véritable matière qui lui est confiée. La révo-lution sera faite, non pas sur les partis. mais sur la substance même de la vie. Mais ceci n’est pas notre affaire… » Mais si, monsieur Le Corbusier, cela est l’affaire de tous, donc l’affaire de chacun et, en particulier, celle des plus doués, vous l’étiez ! Des plus respon-sables ! Vous l’étiez ! A force de penser que nous ne sommes pas faits pour nous mêler de certains problèmes, nous risquons de ne jamais les voir résolus. Ce que vous n’avez fait vous-même, risque de n’être fait pas personne, ce que vous n’avez pas fait hier, de n’être jamais fait demain… » Tombe de Le Corbusier et de sa femme à C Martin. (Photo G. Rottier.) FIND ART DOC