choses sont devenues si complexes qu’un seul homme n’y suffit plus. Ce n’est « ni la mort des architectes qui s’occupent de la chose humaine… » Ni des ingénieurs qui s’occupent de la physique des choses… » Il donne à l’urbanisme, « mot neuf et incomplet dans sa signification, une ampleur d’une intensité formidable… » Il déclare, à l’occasion de Chandigarh, « que l’urbanisme était la science de l’occu-pation du territoire par les travaux humains… » Pour lui, la société est un fout, il y a trois établissements humains : « — la ville radioconcentrique des échan-ges… ; » — l’unité de grandeur conforme agrai-re… ; » — la ville linéaire, industrielle, où les conditions de logement, de travail, sont conjuguées idéalement… » Il ressent profondément la transformation de notre société : « Voyez-vous, y a à définir bien d’autres facteurs généraux de la société moderne, il s’agit de définir la société moderne, de voir quels sont ses besoins, les richesses qui lui sont offertes par la rapidité des transferts, il y a un tas de problèmes qui entrent en jeu… » Attitude de combat. Action directe : « Contact avec mon corps, mes yeux, pas avec les livres. » Sa première maison était un acte de pos-session, il ne l’a pas que pensée, « Il l’a construite… » Corbu avait horreur du bla-bla-bla. « Il faut pousser son burin, avec toute la force du bras, il faut pousser devant. » Il osait : « J’ai eu la chance d’avoir du culot… « J’ai vu Auguste Perret qui m’a reçu gen-timent. Il m’a engagé tout de suite…» Il passait outre si nécessaire : parlant du survol (cependant interdit) de Paris par le comte de Lambert, Corbu dit : « En attendant, il l’a fait… » Avec Ozenfant : « Nous nous sommes un peu emparés de la revue… « L’Esprit Nouveau », qui avait un beau titre, a pu être justifié par des articles que nous Cimes sur ia peinture… » Ils firent de la revue « L’Esprit Nouveau » un instrument de combat pour exprimer l’époque révolutionnaire, où tout était à repenser —pour le devenir harmonieux de l’homme, en accord avec son époque. Ainsi naît l’architecte de combat, il en a bien la notion puisqu’il parle de lui comme d’un être nouveau, pro-jeté hors du moi. « L’apparition d’un monsieur dénommé Le Corbusier, nom d’appel à travers le monde entier… » Visionnaire, missionnaire, nous faisant dé-couvrir à tous le XX° siècle et toutes les pro-messes qu’il contient pour le mieux-être de l’homme… Hélas ! « Dans la suite, ne pouvant bâtir certaines choses, je pouvais les dessiner ; ne pouvant pas les exprimer entièrement, je pouvais les expliquer… » Il écrit, il lutte de toute son âme, de tout son corps. « Livrer bataille, être dans l’état d’inten-sité, s’y plonger de pleine volonté, il faut se débattre et en sortir, c’est un facteur extrê-mement important dans la vie… » Quelle leçon ! Sa lutte féroce. « Recevoir des coups de poing sur le nez et en donner aussi… » Et sa tendresse. « Ils parleront de temps en temps avec un mot gentil, avec le coeur, pas avec des phrases… » Il déclare même « en public » sa recon-naissance à ceux qui lui ont manifesté leur gratitude « par un tas de gestes charmants… », les remercie presque d’avoir pu leur apporter quelque chose. Qu’a-t-il dû souffrir de « ceux qui ne voyaient que le panache », les priant L’Atelier, 35, rue de Sèvres, Paris. « d’abaisser les yeux et d’être gentils au lieu de crier ». Et nous en arrivons à la grande déception de sa vie : Paris. « Après un voyage, on rentre chez soi… » Ecoutez-le parler de « son » Paris, dès la première face du disque, sa découverte de Paris : « Voir Paris, l’étudier et l’aimer, l’aimer passionnément… » C’est Paris qui est bien en soi… » Centre de la France… » Œil de l’Europe… » Précisant bien : « Ce que j’aime, c’est l’ensemble de sa population…, l’esprit de Paris… » Paris lui devait bien l’hommage qu’il lui a rendu. Et il s’est penché, passionnément, inlassa-blement, sur le devenir de Paris. Mais Corbu est vulnérable par l’objet de son amour, il faut l’écouter, comme tout à coup il se referme lorsqu’on lui demande son avis sur les projets envisagés : « Pas tenu au courant… » Jamais questionné d’un seul mot par les autorités… » Je m’en fous parfaitement… » Et bien non, il ne s’en fout pas, ni nous non plus. A quoi serviraient les honneurs tardifs, les hommages, s’il n’y a pas suite, non seulement dans la réalisation des oeuvres inachevées, mais dans le prolongement de son esprit. Le Corbusier n’était pas un homme à for-mule, surtout pas. Il lui a fallu une vie de combat, utilisant ses propres moyens d’expression, projets, conférences, écrits. Son oeuvre est un chaînon incontestable d’une longue chaîne, pour aller au-delà, il faut passer par ce chaînon. Il a tellement dit que notre devoir devrait être, non pas de le redire (pour cela laissons-le parler, seule condition de ne pas le trahir), mais de l’aider à projeter cette oeuvre totale et pure du XX° siècle vers un autre chaînon, nos pas dans ses pas, avec d’autres pas pro-jetés en avant, vers la transformation sans précédent de notre univers, pour le mieux. « Vas-y, petit… » Beaucoup de travail a déjà été fait… » Je suis sûr que les deux générations qui viennent, dans cinquante ans, auront abouti à quelque chose d’épatant… » Beaucoup de travail a déjà été tait… pour-tant, à mon tour, je me permettrai d’ajouter, et par expérience : Le Corbusier, lui, a remis tout en cause, vous, ne repartez pas à zéro, au cours de trop de discussions stériles, mais faites comme Corbu, prenez la peine d’exami-ner la raison des choses, étudiez avec la même attention qu’il savait apporter à toutes choses jusqu’aux modestes murs d’Asie Mineure, pour y découvrir l’esprit de vérité. N’attendez pas de son étude des formules (ce qui arrive, nelas ! trop souvent), n’ouvrez l’oeuvre dessi-née et écrite de Corbu que pour y découvrir, à chaque problème posé, une vraie solution, toujours différente, car chaque problème se pose différemment. Quelle richesse d’invention possible… Corbu disait de ceux qui venaient dans son atelier : « ll y a ceux qui restent et travaillent et ceux qui ne restent pas et viennent seule-ment pour respirer l’air… » Si votre recherche est directement intéres-sée, d’un utilitarisme sordide et, de ce tait, superficielle — tu te casseras la gueule —, vous participerez consciemment, ou incons-ciemment, à la lèpre dite moderne. Conçue à travers des programmes aux données mai posées, elle continuera à recouvrir notre pays. La formule de paresse, de facilité, est tou-jours restrictive, elle ne permet pas d’évoluer, d’inventer, et ne donne pas la joie et la pos-sibilité de découvrir. La situation est révolutionnaire — plus que jamais —, c’est notre, votre manière de vivre, de penser, votre bonheur, l’engagement des générations futures, le devenir de l’homme qui est en jeu, vous en êtes responsable. Corbu dit : « Oui, il y aura encore une fois une poésie d’architecture… » Si elle n’est pas dans les faits, elle sera dans le coeur des hommes, dans leurs désirs… » Ainsi donc, beaucoup d’énergie sera encore perdue, beaucoup d’enthousiasme sans doute inemployé, car la bonne manière (fréquente) d’user un homme, est de le laisser sans em-ploi, sans possibilité d’expression : alors il ne lutte pas, il subit. Ce qui est horrible. Le Corbusier n’a pas subi, il a lutté, il s’est donné à ses convictions, à son oeuvre. Il a pris tout le sel de la vie, en en refusant les plaisirs. N’oubliez pas : trois sortes d’hommes : « — Ceux qui veulent faire de l’argent, » — Ceux qui oeuvrent par vanité, » — Ceux qui ont l’esprit social et essaie-ront de causer ensemble… » Toute cette tâche devant la société mo-derne fait appel à ceux qui ont envie de se donner à quelque chose et pour quelque chose… » A vous de vous reconnaître ! L’oeuvre et l’esprit, l’architecte et l’homme sont indissociables. Lisez attentivement la lettre de Corbu à son maître en 1908, et écoutez ses disques. Voilà pourquoi je ne parlerai pas de mes dix années passées rue de Sèvres, dans une atmosphère d’admirable ‘camaraderie. Les dix plus belles années de ma vie. « Le père Corbu a engendré… » a fait des petits… » Voilà pourquoi nous nous sommes tous en-volés aux quatre coins du monde, parlant, sinon la même langue, du moins le mê langage, lui conservant toute notre gratit et notre tendresse. FIND ART DOC