Pour clore cette étude, nous publions les points de vue de trois architectes : lannis Xenakis, compositeur, architecte et ingénieur, fut l’un des principaux collaborateurs de Le Corbusier pendant 12 ans, et l’auteur du Pavillon Philips à l’Exposition Universelle de Bruxelles. Il voue une admiration profonde à Le Corbusier. Hervé Baley et Dominique Zimbacca sont au contraire par leur créa-tion même en opposition totale avec l’esprit qui règne dans les oeuvres de Le Corbusier. Participant au mouvement de l’architecture organique, c’est dans l’essence même de leur pensée que nous trouverons les raisons de leur attitude. IANNIS XÉNAKIS lannis Xenakis, né en 1928, il fit ses études à Athènes avant d’émigrer à Paris où il fut l’élève d’Olivier Messian. Collaborateur de Le Corbusier, il participa à la conception du monastère de la Tourette et des édifices de Chandigarh. Il créa per-sonnellement l’architecture du pavillon Philips pour l’Exposition de Bruxelles, 1958. Depuis 1960, il se consacre totalement à la musique. On trouvera dans l’ouvrage de Françoise Choay « L’urbanisme, utopies et réalités » (Ed. du Seuil), son texte écrit en 1964 « La ville cosmique ». Texte publié dans la revue « Gravesaner blâtter », Hermann Scherchen, Gravesano, Tessin, Suisse. C.P., P.G. Pour parler de Le Corbusier il faut remonter aux années 20. Là il traça tout son che-min. Quarante ans après il restait dans ses sillons. Aujourd’hui seulement on accueille pêle-mêle le bon et le mauvais sans discerne-ment, vieux de plus d’une génération, sans voir que tout a changé et que les occasions manquées ont fait marcher la vie à travers champs et villes comme un géant bull-dozer renversant les belles visions et les maquettes utopiques des cités-jardins verticales, de la séparation piéton-voiture, des cités-linéaires bien ordonnées le long des voies de communi-cation et suivant des tracés géométriques à l’équerre et au té, des cités spécialisées, de la décentralisation, de la libération de la fem-me, etc. Petits et grands poncifs accumulés en route, dépassés, débordés, dispersés, déchi-quetés, engloutis dans les croissances de !a jungle humaine et par le principe du moindre effort. Les années 50 et 60 ne sont plus celles de naguère, les mêmes solutions ne sont plus valables et les prophéties étaient fausses. 1. Le tracé urbanistique préconisé et les solutions proposées sont aujourd’hui après quarante ans de palliatifs impuissants devant les complexes et inextricables problèmes éco-nomiques, sociologiques, démographiques et de communication d’une ville complète actuelie que tous les architectes par formation ignorent profondément, s’attachant au « beau rendu », au plan et non à la réalité. Sur le papier la ville est géométrisée, verte, ordonnée. Dans la réalité elles sont mort-nées, sèches, ennuyeu-ses, inefficaces. On pense être d’avant-garde ou à la page lorsqu’on entoure les maisons de 300 ou de 1 000 habitants de parcs verts. En fait ceci n’est qu’une simple multiplication de la cité-jardin horizontale du type victorien par un coefficient. Voir les villes catastrophi-ques telle que la Nouvelle-Delhi ou les futures villes-taudis de la banlieue parisienne (de toutes les banlieues européennes). La voiture est toujours le fléau indispensable, l’horizon est toujours bouché, la femme toujours asser• vie. La solution radicale est dans toute une autre direction que celles proposées à la suite du Bauhaus et de Le Corbusier par les archi-tectes actuels. 2. La conception sociologique de l’apparte-ment et de la vie urbaine est vieille de plu-sieurs siècles (voire millénaire) malgré les 30 % à 40 % de femmes au travail qui ne sont pas suffisants pour modifier les « plans-types » ! Dans ce cas la « libération de la femme » *moulue par l’appartement de Mar-seille par exemple est illusoire et dépassée depuis vingt ans au moins. L’égalité des sexes qui s’établit inexorablement n’a pas ébranlé les chères traditions de la famille patriarcale où la place de la femme est dans la cuisine, même lorsque la vue donne sur la salle com-mune. Une fois de plus l’urbaniste et l’archi-tecte sont à la remorque des changements pro fonds de la société même bourgeoise. 3. La technique est restée vétuste, lourde et archaïque. Il y a vingt ou quinze ans lors de la naissance des multiples industries plastiques un espoir s’était établit pour une industriali-sation réelle du bâtiment. Des études ont été faites au 35, rue de Sèvres, avec des hommes comme Bernard Laffaille, Jean Prouvé, etc., pour trouver des matériaux, des formes et dei structures nouvelles. Il fallait se rendre à l’évi-dence, le béton était le moins cher (après la brique). Les industries des plastiques n’avaient pas su saisir l’opportunité unique de s’intro-duire dans l’économie du domaine bâti. Elles ont préféré fabriquer des tubes. Une occasion tut perdue et les architectes d’avant-garde, ramassant les restes sans broncher se sont contentés de faire de la brique enduite ou du béton. Les cases à lapin se font maintenant de l’Oural à l’Atlantique (même aux U.S.A. !) en plaques de béton « préfabriquées » sur place, sur plans d’appartements carrés ou rectangulaires ou bien elles se font à l’aide des conformistes « murs-rideaux » importés d’outre-Atlantique ou enfin par un mixage sa-vant de ces trois procédés de base. « Pourquoi les architectes ne construisent-ils pas des unités comme celle de Marseille ? » se lamen-tait-il semi-naïvement. 4. Par contre, là où Le Corbusier semble s’être vraiment imposé est l’expression stylis-tique. L’angle droit et le plan hérité du cubis-me, de l’abstraction du Bauhaus et de l’usinage des matériaux nouveaux à l’époque, acier, bé-ton, verre, ont dominé /es écoles d’architecture ainsi que le purisme. Les organes fonctionnels imaginés par Le Corbusier, par quoi il propor-tionnait ses édifices, ont dégénéré chez les imitateurs en des poncifs de décoration, tels les claustra, les pilotis, les loggia, etc. Mais comment voler la chapelle de Ronchamp ? Pourtant malgré ces vrais échecs de son oeuvre (c’est le vrai sens de cette affirmation réitérée par lui-même et non pas la conquête sentimentale des Français), Le Corbusier mort, il n’y a plus d’architecte en France (pour le moment). Sa valeur vraie n’est pas tellement dans les solutions ponctuelles à tel ou tel pro-blème qui sont périssables à cause de la fantastique expansion de l’homme au XXe siècle (« tout va trop vite, il est temps que j’entre sous terre », me disait-il en souriant en 1956), mais par les objets mêmes conçus par lui, c’est-à-dire par le prolongement du caractère, du tempérament et de l’intelligence d’un homme spécial. Car dans tout produit fait main, en sculpture, musique, peinture, mathé-matique, science…, c’est l’homme qui trans-paraît. C’est-à-dire que I’ « oeuvre d’art » est un signe symbolique profond. Pour ceux qui ont travaillé avec lui dans de mauvais jours qui malgré tout s’estompent, et de bons jours, sa façon de faire était une liturgie, une transmutation secrète. La propor-tion métrique, mais aussi la force de l’espace, mais aussi la fonction, mais aussi la matière, mais aussi la lumière, la couleur, la technique Tout en un éblouissant carrousel d’interdépen-dance. Il trouvait son chemin petit à petit en quelques petites heures dans une discussion avec lui-même et avec nous à laquelle on assistait souvent émerveillé par la rapidité, la sûreté, les retours, les corrections, le geste vrai, les solutions finales nécessaires. L’éter-nelle remise en question qui est un trait de caractère qui ne s’apprend pas à l’école. Lui, l’autodidacte par vocation, était l’éternel et profond ennemi du pompiérisme de ces « mes-sieurs les architectes » de tous les temps et de toutes les professions qui a d’hui croient le posséder par sa mo lan FEND ART DOC