Quand on parle de !a nécessité préjudicielle en ce qui concerne toute construction neuve à Venise de s’insérer dans la réalité particu-lière à cette ville, on cherche avant tout à rendre légitime l’opinion retardataire des no-tabilités locales. Et le problème de cette inté-gration devient, entre leurs mains, un bastion insurmontable, un alibi qui leur permet de donner libre cours à des accommodements maladroits d’un éclectisme insensé comme, par exemple, le nouveau Danieli ou le Park Hôtel, mais les incite à censurer durement l’oeuvre d’un Wright ou d’un Nervi. Même si les réalisations modernes sont comme un coup de poing dans l’ceil, il n’est pas vrai que pour autant ces notabilités ten-tent un effort pour que le visage de la vieille cité reste inaltéré. Insérer (au contraire) signi-fie faire naître un édifice nouveau urbanisti-quement, en trouvant une dialectique pour le dehors » et pour le « dedans », de manière à savoir trouver une forme neuve qui agisse comme un réactif sur le tissu urbain. Et pour construire à Venise, cette sensibilité et cette conscience doivent être profondes, mais elles ne doivent pas correspondre à quelque chose d’archétypique, circonscrit dans le temps et le lieu. Le Corbusier a eu l’instinct de cela dans son long contact idéal avec Venise et il l’a exprimé avec la rigueur et la grâce propres à l’oeuvre complète dans son projet pour le nouvel hôpital du quartier de San Giobbe. Tout a été individué par le grand maître et tout a été recréé, comme s’il avait voulu se donner à lui-même la démonstration, dans une des épreuves les plus difficiles, de la concré-tisation et non pas de l’abstraction à priori, sur laquelle se fondent ses meilleurs principes plastiques. Une fois individué le sentiment de la construction, il s’est soucié de le coor-donner avec celui de l’endroit très particulier qui devait l’abriter. Et il n’hésita pas à se servir de l’horizontale adverse, quand, comme dans ce cas-ci, il lui sembla qu’elle était l’unité caractéristique et vivante qui traduit Venise. Le sentiment de l’homme, riche ou pauvre, face à la maladie et à la mort mena-çante lui a suggéré la nécessité de réconforter le malade hospitalisé, en le plaçant seul dans une cellule de trois mètres sur trois, avec un plafond « brisé », une large fenêtre qui donne au malade une lumière indirecte, et des murs. coulissants. Ces cellules seront au nombre de 1200, elles se trouveront au sommet de l’édi-fice, d’une hauteur d’environ 13,30 mètres, mais la partie murée en bordure de la lagune est seulement de 2,70 mètres; au premier étage, les salles d’analyses et de cures spé-ciales; au rez-de-chaussée, les services et les accès. Profitant de l’emplacement limité à sa disposition, Le Corbusier a prolongé l’hôpital sur la lagune en l’élevant sur les pilotis clas-siques dont le réseau édilitaire tracé s’en-fonce dans la terre et dans l’eau. Berto MORUCCHIO. Le nouvel hôpital de Venise, 196► Plan et coupe des cellules.