6 octobre 1887. La Chaux-de-Fonds. Naissance de Charles-Edouard Jeanneret. Le père est graveur, la mère musicienne. 1901. 14 ans. Rentre à l’Ecole d’Art de La Chaux-de-Fonds où il a pour professeur Charles l’Eplattenier. 1905. 18 ans. Villa Fallet (membre du Comité de Direction de l’Ecole d’Art) à La Chaux-de-Fonds. Avec les honoraires : premier voyage : Italie, Bu-dapest, Vienne (où il rencontre Joseph Hoffman). 1907. 20 ans. Voyage en France (à Lyon, il ren-contre Tony Garnier). 1908. 21 ans. Villa Jacouemet et Stotzer à La Chaux-de-Fonds. Séjour prolongé à Paris. Il travaille quinze mois dans l’atelier d’Auguste Perret. Participant vers 1900 du mouvement d’esprit héroïco,conquérant d’alors, j’avais, à priori, admis que les arts décoratifs seuls m’attacheraient à une tâche sérieuse ; les « arts libres » me paraissaient trop voués au bon plaisir. On parlait de la rénova-tion du cadre social, alors que la peinture ne s’in-quiétait plus que de faire fuser des rayons de soleil entre les frondaisons de paysages paresseux ; bien peu savaient que Cézanne travaillait et que Seurat avait existé. Mon maître, un excellent pédagogue, véritable homme des bois, nous fit hommes des bois. Mes années d’enfance se passèrent avec mes camarades dans la nature… Je sus comment étaient les fleurs, dedans et dehors, la forme et la couleur des oiseaux, je com-pris comment pousse un arbre et pourquoi il se tient en équilibre au milieu même de l’orage. Mon maître avait dit : « Seule la nature est inspi-ratrice, est vraie et peut être le support de l’ceuvre humaine. Mais ne faites pas la nature à la manière des paysagistes qui n’en montrent que l’aspect. Scrutez-en la cause, la forme, le développement vital et faites-en la synthèse en créant des orne-ments. » Il avait une conception élevée de l’orne-ment qu’il voulait comme un microcosme… Les jeunes gens sont trop vrais ; ils dérangent ; on les parque hors du clos bien étanche où se tasse une société bourgeoise. Nous avions fondé une école (un peu comme le Bauhaus de Weimar devait le faire dix ans après). Les professeurs des autres écoles de la ville avaient alors commencé un sourd travail de termites. Rivalités, calomnies, mensonges, aigreurs… « Je suis un gosse qui cherche… un maître ! Ici six ans, là quatre ans ! Les enseignements sont bien lents et paraissent renfrognés, avec des picots au-tour comme un hérisson qui fait la boule. Se fourrer dans l’une de ces galères ? à Paris, à Vienne, à Munich, à Berlin ? alors qu’on sent bouillonner la vie dehors, une vie qui est autre que celle dont parlent les enseignements ? Recherche de la vérité dans les bibliothèques. Les livres. Les livres sont innombrables ; où est le com-mencement? Ces heures de bibliothèques où l’on poursuit, dans les livres, la vérité ! Et l’on tombe tout à coup dans un trou. Il fait nuit, on ne com-prend plus rien. Les musées m’ont fourni les certitudes sans trous, sans embûches. Les oeuvres sont là comme des en-tiers, et la conversation est sans fard, le tète-à-tête est à merci de celui qui questionne ; l’oeuvre répond toujours aux questions qu’on lui pose. Ce sont de bonnes écoles que les oeuvres des musées. En 1907, j’avais frappé à la porte de M. Grasset qui me conseilla : « Allez voir Auguste Perret. » Auguste Perret venait de terminer le garage Pon-thieu et sa maison de la rue Franklin. Il disait à qui voulait l’entendre avec l’éclat du combat dans la voix : « Je fais du béton armé. » Eh ! oui, c’était livrer une bataille alors. Ce fut une heure héroïque. Auguste Perret fut l’homme de cette heure. Et c’est une place précise qu’il occupe et qui lui demeurera acquise dans le recul des ans. » Confession, « L’Art Décoratif d’Aujourd’hui «, 1924. 10 La révélation 1908 (L. C. 22 Lettre à Charles L’Eplattenier Extrait de « La Gazette Littéraire », Lausanne, 4-5 septembre 1965. ans) Paris, dimanche, le 22 novembre 1908. 3, quai Saint-Michel. Mon bien cher Monsieur, Je vais rentrer pour quelques jours au pays; j’en ai beaucoup de joie — celle de vous revoir ainsi que mes bons parents — et beaucoup d’angoisse aussi. Les cartes et lettres reçues de Perrin, qui est mon ami, me laissent une impression de malaise… et ça m’est une nécessité (tâche bien difficile à cause de mon jeune âge) de vous dire ce que je suis afin que notre revoir soit fait tout de joie et d’encouragement — de vous à moi — et non de malentendu. Peut-être n’aurez-vous pas, eu tort de faire de moi autre chose qu’un graveur, car je me sens de la force. Vous dire que ma vie n’est point de rigolade mais de travail intense, nécessaire, est inutile, car, de graveur que j’étais, pour devenir un architecte de la conception que je me suis faite de cette vocation, il faut faire un pas, immense… mais maintenant que je sais où je vais, je pourrai faire l’effort, — en pleine joie, en enthousiasme victo-rieux — de ce pas. Les heures de Paris sont des heures fécondes pour qui veut faire des heures qui passent une moisson de force. Paris la ville immense — de pensées — où l’on se perd, si l’on n’est, pour soi, sévère et impitoyable (sans pitié). Tout est là, pour qui veut aimer — (amour de l’esprit divin qui est en nous, et qui peut être notre esprit, si nous l’invitons à cette tâche noble). Et rien n’est, pour celui qui ne contracte pas ses pensées sans souffrir, à chaque heure de la journée, pour savoir si ces heures qui coulent sont des heures bonnes. La vie de Paris est faite d’austérité active. Paris est la mort des rêveurs, le coup de fouet cinglant à chaque minute, des esprits qui veulent travailler (fournir du travail) La vie de Paris est solitaire pour moi. Et depuis 8 mois je vis seul, seul à seul avec cet esprit fort qui est en chaque homme, et avec qui je veux chaque jour causer. Et aujourd’hui, je puis parler avec mon esprit, heures fécondes de solitude, heures où l’on sape et où le fouet cingle. Oh que n’ai-je un peu plus de temps pour penser et apprendre ! La vie réelle, mesquine, est dévoreuse des heures. Mon concept s’établit, je vous dirai plus loin quels furent ses provocateurs (ceux qui provoquèrent les idées) et sur quoi il se base. Pour l’établir, je vous dirai : « Je n’ai pas rêvassé ». Il est large ce concept; il m’enthousiasme… il me châtie; il m’em-porte, il me donne des ailes parfois, quand la force qui est en moi me crie — provoquée par un fait intérieur — : « Tu peux ! ». J’ai devant moi 40 ans pour atteindre ce que j’estompe de grand sur mon horizon encore lisse. Et aujourd’hui, c’est fini des petits rêves enfantins d’une réussite semblable à celle d’une ou deux écoles d’Allemagne, Vienne, Darmstadt. C’est trop facile, et je veux me battre avec la vérité elle-même. Elle me martyrisera peut-être, sûrement. Ce n’est pas la quiétude, qu’au-jourd’hui j’envisage et me prépare pour l’avenir. Et peut-être moins encore le triomphe de la foule… Mais moi, je vivrai — sincère — et de l’invective je serai heureux. La force qui est en moi parle, et quand je dis ces choses, je ne rêve pas. La réalité sera un jour (sous peu, peut-être) cruelle : car la lutte contre ceux que j’aime s’approche et eux devront venir, en avant, sinon, nous ne pourrons plus nous aimer. Oh, combien je voudrais ardemment que mes amis, nos camarades, chassent loin la petite vie aux satisfactions journalières et brûlant ce qu’ils avaient de plus cher — croyant que ces choses chéries étaient bonnes, — ils sentent combien bas ils visaient et combien peu ils pensaient. C’est par la pensée qu’aujourd’hui ou… demain on fera l’art nouveau. La pensée se dérobe et il faut se battre avec elle. Et pour la rencontrer afin de se battre avec elle, il faut aller dans la solitude. Paris donne la solitude à celui qui ardemment, cherche le silence et la retraite aride. Mon concept de l’art de bâtir est ébauché dans ses grandes lignes que seules jusqu’ici mes faibles ressources — ou incomplètes res sources — m’ont permis d’atteindre. Vienne ayant porté le coup de mort à ma conception purement plastique (faite de la recherche seule des formes) de l’architecture arrivé à Paris je sentis en moi un vide immense et je me dis : « Pauvre tu ne sais encore rien, et, hélas, tu ne sais pas ce que tu ne sais pas >. Ce fut là mon immense angoisse. A qui demander cela : Chapallan qui lui le sait encore moins et augmenta ma confusion à Grasset alors, à F. Jourdain, à Sauvage, à Paquet ; je vis Perret mail n’osai l’interroger à ce sujet. Et tous ces hommes me disent : « voun en savez bien assez de l’architecture ». Mais mon esprit se révoltait et j’allai consulter les vieux. Je choisis les enragés lutteurs. ceu auxquels nous sommes, nous du XX° siècle, prêts à être semblables les Romans. Et pendant trois mois j’étudiai les Romans, ie :mir à bibliothèque. Et j’allai à Notre-Dame et je suivis la fin du cours gethiq de Magne, aux Beaux-Arts… et je compris.