…A Alger se fait jour la notion d’un passage à « la plus grande dimension » qui représente la première condition nécessaire à la résolution de problèmes d’urbanisme contemporains… …A Alger, Le Corbusier avait trouvé sa réponse à la conurbation… …La solution de la dernière chance, ce sursaut libérateur du lyrisme, cette résurgence romantique, C’est le caractère contradictoire entre l’ampleur de l’idéal, la magnifique prétention du but à atteindre et l’élémenta-risme volontaire des moyens d’expression qui entraîne déjà les risques de la dégénérescence. L’expression finale de la doctrine se manifeste en effet par les organisations systématiques des cités. La ville de trois millions d’habitants, le plan Voisin, la Ville Radieuse se matérialisent par l’invention d’une « ima-gerie architecturale », d’une figuration répétée et simpliste. Un vocabulaire très restreint mais frappant soutient la recherche de la « figure » d’un ordre esthétique nouveau. Ce visage est destiné à concrétiser une philosophie d’orga-nisation globale du territoire. Il ne varie jamais tout au long de la partie théorique et ne fera que procéder par simplifi-cation lorsque Le Corbusier tentera de réaliser. Ce visage n’est pas fait de recherche plastique ; il est l’illustration d’une organisation symbolique et typifiée, carac-térisée par l’emploi de deux éléments-clés : — le gratte-ciel des affaires, vertical, ponctuel et isolé ; — l’immeuble à redents pour l’habitation, horizontal et continu, se développant en grecques ou se refermant en îlots liés les uns aux autres. L’implantation de ces deux éléments se fait de façon idéale sur un sol plat ne présentant aucun accident de relief. Elle correspond à une pensée urbanistique ndépendante des problèmes de spécificité architecturale, à une organisation « préalable ». L’articulation du zoning est basée sur des tracés géomé-triques très rigides. La composition se réalise par addition et juxtaposition de l’élément modulaire de base et la recherche de standards est la fin en soi. Les immeubles-villas qui accompagnent et expliquent les plans de villes le montrent bien. C’est la cellule biologique « habitation + jardin » de l’Esprit Nouveau qui est intégrée à un cadre d’habitat collectif. L’immeuble se détermine par « empilage », agglomération de ces éléments individuels, mais ne remet jamais en ques-tion la structure spatiale générale. Il n’y a pas de modification au stade du concept mais uniquement le souci majeur de rassembler, d’ordonner en système dans une quéte vers une perfection de nature intel-lectuelle ; glissement vers les erreurs que ncus retrouverons amplifiées au stade de « l’unité d’habitaticL7 de grandeur conforme ». La destruction de la rue corridor qui était une réalité de vie, la table rase faite sur le lotissement du pavillon-jardin qui traduisait une autre réalité des rapports humains n’en-gendrent comme formule de remplacement que des propo-sitions abstraites qui n’apportent de satisfactions qu’à la volonté d’organiser. La libération du sol présentée comme une solution uni-verselle n’est que la réponse à l’idée d’une circulation auto-mobile toute puissante que les faits ont vérifiée dans leur côté quantitatif au-delà de toute prévision, mais non en qualité. L’homme piéton, bien qu’évoqué sans cesse, subira en fait l’esclavage de l’automobile. Les villes sont pensées pour elle et non pour l’homme à qui sont seulement dévolus les espaces naturels neutres situés entre les bâtiments. Cette discrimination de la « nature enveloppe » de l’élément bâti, cette dissociation idéale entre espaces verts et construction sont tellement schématiques qu’elles aboutissent à une erreur fondamentale. 2 La plupart des successeurs de Le Corbusier ont entériné cette erreur. //s ont pris le schéma pamphlétaire pour une réalité de vie, l’organisation systématique pour l’expression concrète d’un groupement humain, le vocabulaire symbolique pour une solution d’architecture. Si Le Corbusier avait matérialisé ses pensées d’urbaniste, il aurait évolué en fonction du cheminement de la création. La réalisation aurait réagi sur la doctrine. Celle-ci ne se serait pas cristallisée une fois pour toutes sur la figuration des années 1920. Le plus grand crime commis contre Le Corbusier fut de l’empêcher pratiquement de construire jusqu’en 1945. Ce n’est pas à la carrière de l’homme qu’on s’est attaqué mais à sa pensée même, en enrayant son développement naturel, en empêchant son perfectionnement, en stoppant toute pos-sibilité d’évolution au contact de la réalité. III. LA SCLÉROSE Aussi en 1945, hélas, nous retrouvons-nous devant les mêmes slogans, encore incompris et refusés, déjà surannés. Uns guerre qu’il avait annoncée et redoutée est passée sur le monde. L’accroissement démographique, l’attraction des métro-poles prennent en vingt ans rang de cataclysmes universels. L’automobile, si prestigieuse dans le contexte du paradis machiniste de 1925, conteste à l’homme sa place dans ses propres cités. Ce ne sont plus les mêmes villes stables, fixées démogra-phiquement qu’il s’agissait seulement d’adapter à un état d’esprit moderne, ce ne sont plus les automobiles serviables du temps de la prophétie à qui on ouvrait boulevards, rues et coeurs mêmes des cités. « Libérer le sol » est devenu faux. Occuper le so/, au sens militaire du mot, devient la seule action vraie en face de cette double invasion. Les immobiles, les éternels adversaires de Le Corbusier cherchent à contenir, à limiter, à s’opposer au mouvement, à ignorer, volontairement aveugles, l’inéluctable. Mais comme le refus est impossible, la demi-mesure prend force de loi. Le collectif R + 4, universel, immonde, étouffe le territoire sans aucune chance de le structurer. Ces hommes qui assumaient officiellement la charge de la construction de la France portent la responsabilité d’avoir perdu vingt ans et d’avoir rendu en vingt ans la solution presque impossible. Face à eux, contre eux. Le Corbusier est seul, avec quel-ques amis et sa vérité. Il durcit sa position théorique et pour l’imposer, pour la faire passer dans les faits, fort de sa certitude, la schématise à l’extrême. L’unité d’habitation de grandeur conforme est née, mais isolée, sans équipements, sans voisinage, greffée sur une trame urbaine qui la refuse. Les plans d’urbanisme dont elle est l’élément de base se multiplient, farouches, systématiques, caricatures des villes idéales de 1925. L’unité veut échapper à la notion d’immeuble collectif traditionnel ; elle se veut en partie autonome, vivant sur ses propres équipements, mais ni sa taille insuffisante, ni son mode de regroupement ne l’y autorisent. L’ « espace vert » qui la cerne, « neutre », sans structure propre, dévoré par /es circulations automobiles et les zones de stationnement, sépare, isole plutôt qu’il n’assemble ; l’absence de tout prolongement au sol interdit toute liaison « active », toute vie : l’individu est isolé dans un cireur solitaire, quotidien, au sein de « son unité ».