ARTS PLASTIQUES EN GRANDE BRETAGNE I. LA FIN DU POP ART Les vagues de l’op.nion publique, agitées par une critique d’art partisane, se sont élevées très haut pendant ces dernières deux ou trois années. L’influx du Pop Art, la menaçante superdomination de l’influence américaine sur la peinture anglaise, (pas la sculpture), s’est maintenant tout à fait calmée. La question d’une des critiques . enga-gées » dans un numéro du Sunday : « Pop Art: sortie ou entrée?» a trouvé sa réponse. Le Pop Art est dehors. Il n’a pas fallu plus de deux ans pour que cette tentative, l’exploitation d’un goût commun, alimentée par l’attraction superficielle du dessin publicitaire qui « fait vendre», s’éclipse. Le retour au « sujet » sous cette forme n’a pas prouvé son authenticité. La comparaison avec le mouvement Dada était une erreur critique. Dada a été une révolte désespérée contre l’hypocrisie d’une • culture > qui avait permis le massacre de toute une génération dans les trancnées. C’était fait pour choquer, pour faire peur, pour être détesté, injurié. Cela se termina par la décadence du mouvement. L’agréable Pop fut populaire, apprécié, acheté, aimé —c’était une esthétique bon marché présentée à travers des moyens d’expression bon marché. Il s’est construit sur la décadence de Dada, en ajoutant des couleurs d’affiche criardes, en utilisant la technique bien connue du collage, l’insertion d’objets trouvés (principalement des rebuts), etc. Son dernier triomphe à la Biennale de Venise (le prix donné à Rauschenberg, le plus acceptable d’eux tous), a été davantage la preuve de l’adresse américaine à manier le mécanisme de l’attribution des prix, que celle du mérite artistique. Ce fait a abaissé le niveau critique de la Biennale à zéro. La politique des prix s’est avérée tout à fait dangereuse pour les arts. Un sauvetage de Venise n’est possible que sur la base de l’élimination de toutes les influences et manipulations politiques (nationales) et économiques (marchands d’art). Sous cet aspect, la Documenta de Kassel a l’avan-tage d’être fondée sur le choix et la qualité; d’où son succès moral. L’élément « humain », là non plus ne pouvait pas être exclus dans la sélection, mais il était minimisé par l’absence de politiques officielles. Cette Documenta a été un grand succès pour l’art britannique, jusqu’à présent le plus grand à l’étranger, et mérite une sérieuse considération. II. PEINTURE CONTRE SCULPTURE La sculpture moderne anglaise s’est affirmée après la fin de la dernière guerre à travers l’impact de Henry Moore, de Barbara Hep-worth, et le groupe de jeunes sculpteurs (maintenant d’âge moyen), qui a exposé collectivement à la Biennale de Venise. Reg Butler, Armitage, Chadwick, furent les noms principaux. La sculpture britan-nique a conquis une position de premier plan dans le monde et l’a maintenue. La génération moyenne des peintres anglais a essayé en vain d’atteindre à une position égale. Ceux-ci étaient trop dérivatifs, trop dépendants. La sensation du « déjà vu » continuait toujours à se manifester. Seuls deux peintres britanniques atteignaient le sommet de l’appréciation internationale: Ben Nicholson et Francis Bacon. Un troisième nom vient aussi à l’esprit : Victor Pasmore. Son oeuvre sérieuse, solide, animée par sa maîtrise de la technique et un goût basé sur les symboles néo-plasticistes et puristes, s’imposera pour sa qualité artistique inhérente, quand on se sera aperçu que Pasmore est autre chose qu’un suiveur dans un développement qui l’a précédé sur le continent, de deux décades. Un quatrième nom, pas encore suffisamment apprécié à l’étranger, est celui de Ivon Hitchens. Son art lyrique, enraciné dans le Fauvisme, est l’expression d’une attitude purement poétique: beauté, harmonie, amour de la nature. La dépendance de la génération moyenne de Staël, Dubuffet, du « hard-edge» américain, de Motherwell, Rothko, Gottlieb et autres, a ouvert de nouvelles perspectives artistiques et conduit à de bons résultats, quoique secondaires. Mais la confraternité aveugle avec le Pop a balayé toute chance. Cela prendra un certain temps à l’art anglais pour s’en remettre. Ben Nicholson est un peintre authentiquement anglais bien que relié à Arp, Mondrian, Braque et à un certain primitivisme. Néanmoins, sa personnalité était assez forte pour neutraliser ces influences et ajouter quelque chose de neuf qui soit acceptable en tant que marque d’un accomplissement vraiment personnel. Aucun des représentants de la génération moyenne anglaise n’a encore atteint ce point, et ils n’y atteindront pas tant qu’ils n’auront pas rejeté leur dépendance, en particulier des exemples américains. L’attitude de certains critiques d’art anglais s’est avérée désastreuse. J’en avais fait la remarque dans une lettre ouverte que j’écrivis à la presse : Je suis étonné de l’attitude servile à l’égard de la soi-disant avant-garde, répandue parmi les critiques d’art anglais. L’art moderne anglais a eu besoin de l’Ecole de Paris pour le souffle même de sa vie. Sans Paris il n’aurait pas existé du tout, comme on peut le voir dans le Vorticisme et auparavant dans l’Impressionnisme. L’art moderne américain est impensable sans les idées et l’inspi-ration données par l’Europe, et particulièrement Paris. Il n’y a aucun élément créateur dans l’art américain qui n’ait ses racines en Europe. Arrêtez la colonisation et la commercialisation de l’art anglais. Le dollar américain est une bonne monnaie, mais les intérêts des mar-chands, l’espoir de bourses, de fonds, de nominat’ons, ne doit pas fausser notre jugement sur l’Art. » Mais est-ce suffisant de répudier une source d’influence? Quand on était confronté avec l’effet violent des peintres Pop qui repré-sentaient la Grande-Bretagne à la Biennale de Paris, on pouvait mé-diter ce qui suit : Aujourd’hui une réorientation dans les arts est nécessaire. Qui 60 par J.P. Hodin. peut prendre la tête ? Ni l’Angleterre ni l’Allemagne. L’Amérique a essayé en vain, l’Espagne a montré le chemin pendant un temps. Alors il reste seulement la France, et peut-être l’Italie. Les Français regagneront-ils le pouvoir critique sélectif qui fut leur force au XIX’ et au XX’ siècle? Produiront-ils encore les génies qui firent de Paris la Florence des temps modernes? Les arts ne peuvent pas rester sans une capitale. Ils peuvent exis-ter sans un marché de l’art centralisé, mais pas sans un centre pour l’orientation spirituelle. Paris est unique. C’est le centre nerveux de la vie artistique et intellectuelle, dans lequel artistes et intellectuels ne travaillent pas dans l’isolement et en opposition à un entourage anti-artistique et anti-intellectuel. Maintenant de nouveau Paris s’est repris, après l’accomplissement épuisant de trots générations d’artistes depuis les Impressionnistes, les Fauves, en passant par Cézanne, le Cubisme et l’Expression libre. Nulle part n’existent aussi fortement qu’à Paris la conscience de la tradition culturelle et l’esprit d’avant-garde. Ceci est concentré dans la personnalité d’André Malraux, un grand écrivain, un grand humaniste, et le représentant des plus belles qualités de la civilisation française. Dans le théâtre, dans les arts, dans la musique, on sent sa main conductrice, la ferveur d’une vue définie d’homme moderne, et la conviction que la France a quelque chose de vital et d’important à offrir à la civilisation occidentale. Un jour, ses années d’activité en tant que Ministre de la Culture seront appelées l’ère de Malraux. » La peinture anglo-saxonne s’est imposée après la seconde guerre mondiale comme la peinture d’avant-garde russe et allemande s’est affirmée avant et après la première guerre mondiale. De toute façon, la peinture anglo-saxonne est encore en fusion, et si le peintre anglais entend réclamer sa part de renommée internationale il sera d’abord obligé de trouver ses propres racines fraîches. III. SEXUALITE ET ABSTRACTION Au cours de la recherche d’un nouveau sujet, dans la répudiation du chaos causé par l’Expressionnisme abstrait, dans l’atmosphère d’ennui créée par les modèles à répétitions de la peinture abstraite, ce qui reste après tous les abus d’effets hasardeux, c’est le sexua-lisme. Il est fortement représenté dans le Pop, il se fait sentir dans bien d’autres formes de peinture et de sculpture actuellement. En fait, c’est la pornographie dans l’art, avec son parallèle dans les lettres, plus attirante pour une génération qui croit dans la « chance » plutôt que dans l’« ordre cosmique», dans la supériorité de l’esprit scientifique plutôt que dans le destin ou la création ou le mysticisme, dans l’inévitabilité du désastre plutôt que dans l’humanisme, dans le plaisir momentané plutôt que dans les valeurs perpétuelles. Nous parlons de nihilisme spirituel de licence morale et d’avidité maté-rialiste. Cette situation ne pourra être changée que par l’attitude de ceux qui créent et défendent des accomplissements plus stables que l’aspect transitoire de la production de masse. Ils sont déjà à l’oeuvre, et, on l’espère, avec un effet plus durable que celui des . ismes » à la vie brève. IV. L’ICARE DE CORNOUAILLE. IN MEMORIAM : PETER LANYON Un des peintres anglais de la moyenne génération ne partage pas la faiblesse de l’attitude que nous venons de souligner. C’est Peter Lanyon. Pour lui, l’expérience intérieure et la création artistique furent aussi réelles que les rochers de granit de son pays natal, la Cor-nouaille. Pas à pas il a conquis la maturité de sa vision et les moyens de la transposer dans ses peintures. Il fut le poète de Cornouaille dans la peinture. Profondément impressionné par la beauté changeante de ses paysages, par ses vieilles traditions, sa singularité à part, et lié à ce pays par l’amour et l’admiration, il s’est attaqué à son but poétique, découvrant encore et toujours de nouveaux secrets, de nou-velles fascinations, de nouveaux aspects. Il a élargi ses expériences en plongeant le long de falaises rocheuses, ajoutant les sensations sous-marines à sa palette et à son monde de formes. Et il s’embar-quait aussi pour des plongées aériennes. Ces doubles équipées enri-chissaient son monde d’artiste. Les peintures à la fois subtiles et vigoureuses de son atelier de Carbis Bay sont parties pour des expo-sitions en Angleterre et à l’étranger. Victime d’une catastrophe dans la dernière semaine d’août 1964, il devait succomber à ses blessures dans la nuit du 1″ septembre. C’est une perte irréparable pour la peinture anglaise. On peut comparer son destin à celui de Christopher Wood et de De Staël, qu’il appréciait grandement tous deux. Peter Lanyon était un peintre paysagiste d’une grande intégrité. Il n’était pas un réaliste mais il peignait la réalité — la réalité et le caractère de la Cornouaille, et de cette manière, la réalité et le caractère de la vie elle-même et du monde. Son développement a été cruellement brisé dans les prémices de son âge viril. Peter Lanyon a commencé sa carrière comme un pupille de Ben Nicholson. Ce fut lui, ainsi que Naum Gabo et Adrien Stokes qui produisirent les impacts durables sur sa jeunesse. Les problèmes du subconscient, de l’Existentialisme, de la Relativité ; Jung, Jaspers, Heidegger, Teilhard de Chardin, Saint-Exupéry, pour ne citer que ceux-là occupaient son esprit chercheur. Son expressionnisme, dont on a souvent parlé comme abstrait, était entièrement concret. Il utili-sait les couleurs comme Mallarmé se servait de mots bien sonnants, et la forme, l’atmosphère, l’humeur et la clarté, se fondaient ensemble dans ses compositions, avec une unité d’une qualité exceptionnelle. Il est possible que ses plus grandes oeuvres s’écartaient déjà de nous Mais ses peintures seront comptées un jour parmi les phis riaro,Lail, de cette période dans la peinture anglaise.