58 le contenu du musée : de Kandinsky à Ubac, de Bonnard, de Braque à Tal Coat est-ce si mal ? Miro, Chagall, Calder, Bazaine, Giacometti peuvent être considérés par certains comme des pionniers d’une histoire aujourd’hui dépassée. Dépassée mais non révoquée. Disposer d’une exposition permanente de quelques centaines de pièces, dont des Kandinsky de 1909 et des Braque depuis la période fauve, nous semble utile et ne peut manquer de jouer un rôle éducateur. L’Etat ne nous concédant que des « Janniot „ (1) nous acceptons sans déplai-sir qu’un commerçant nous offre ce que les musées officiels nous refusent. Car enfin c’est l’art qui nous concerne et non les calculs d’usuriers. Voici une salle Giacometti, comme aucun musée de France n’en peut présenter, qui mène l’esprit jusqu’à l’hallucination, jusqu’à une sorte de néantisation où ricane, excorié, l’homme en creux, comme l’em-preinte que la bombe atomique d’Hiroshima laissa des corps volatilisés. Avec Giacometti, Kandinsky et Braque sont particulièrement bien représentés. Les origines de la peinture lyrique abstraite se trouvent ici avec le peintre russe. Si pour Chagall et Matisse le choix est moins heureux, Miro règne sur un jardin labyrinthique où « la femme tortue », „ l’oeuf », « l’arc », accomplissent les thèmes obsessionnels du peintre du « Message d’ami », « spermographiques », ovulaires, fécondant-fécondé, que peut symboliser son « grand totem „. Nous n’avons pas place pour amorcer même une critique des oeuvres : dix Kandinsky, onze Braque, plus les sculptures et les plâtres gravés, et Bonnard, et Léger. Les vivants, outre ceux nommés, Chillida, Palazuello, les frères Van Velde. Tal Coat enclôt le parc d’une mosaï-que de trente-cinq mètres où la Chapelle Saint-Bernard forme écrin pour un Chemin de Croix d’Ubac (des ardoises), qu’éclairent des vitraux de Braque et de Bazaine. La visite finie on peut discuter du sexe des anges. La pinède, où le cerbère de Calder loge, doit y être propice. Mais en quoi cela concerne-t-il « usager., ? Habitué aux musées français il n’est guère gêné par l’entassement des oeuvres. L’amateur qui a visité les collec-tions étrangères est plus réservé. La mariée serait-elle trop belle? Doit-on enlever des pièces pour « aérer » l’ensemble ? D’autres déci-deront. Ceux qui, sur la Côte d’Azur, veulent une vie culturelle, souhaitent, leur commerce en dut-il fructifier, voir chaque grande galerie parisienne édifier sa « fondation ». Nous attendons les offres. Ne serait-ce pas plus courageux que de fuir outre-atlantique ? Encore quelques aventures « commerciales » et la Côte d’Azur sera la métro-pole d’art que seule l’incurie des pouvoirs publics lui empêche d’être, et elle émergera de ce « désert français „, selon l’honorable formule de M. Georges Duhamel. Jacques LEPAGE. (1) M. Gaétan Picon, inaugurant la « Biennale de Menton » en 1964 a offert a cette ville, au nom de l’Etat, un monumental « navet » dû à une personne de ce nom.