Photos Cauvin. Francis Salles. L’enfant mélodie ». 1965. Galerie Europe. Samuel Buri. Week-end ». 1965. Galerie Jacques Massai. sements personnels) sont par trope évidentes. L’écran chromatique de Garache n’ajoute rien aux recherches qui ont été faites depuis Rothko ; les modulations d’Arias tiennent à la fois compte d’un paysagisme abstrait dont nous avons la nausée et de certains détails de Tal Coat. Quant à Fromager, c’est sans doute le plus pénible des trois avec ses figures qui surgissent laborieusement d’un magma lavaire qui a emprunté son chromatisme à Marfaing. On se prend à ressentir quelque mélancolie en constatant l’effort prodigué par la Galerie Maeght pour mettre en avant cinq peintres et un sculpteur (Gardi-Artigas), dont la plupart sont trop lourdement débiteurs de formulations plastiques antérieures, alors que moisissent dans ses réserves la magnifique série de gouaches que Nasser Assar fit, il y a deux ans, sur des textes d’Yves Bonnefoy, en travaillant en collaboration avec le poète. Cet exemple à peu près unique d élaboration concomitante de la lettre et du geste (Yves Bonnefoy écrivit de sa main les poèmes qui avaient été choisis), mériterait une mise en valeur et une exposition à laquelle la galerie ne semble pas songer. De son côté, la Galerie Arnaud, en présentant la première exposition per-sonnelle du jeune peintre Hamisky, s’efforce aussi de trouver une descendance aux principaux peintres de la génération 50 qui composent son fonds et qui tous, à des titres divers, ont acquis une notoriété méritée. La démarche d’Hamisky est empreinte d’une réelle dignité et d’une grande sobriété. Ce jeune peintre a fait des apparitions modestes, d’abord dans des groupes, et on a visiblement attendu pour l’exposer seul, qu’il ait atteint un degré de maturité suffisante. Dans son cas, les dettes me semblent suffisamment évidentes pour qu’il ne serve à rien de les passer sous silence. C’est un peintre de la galerie, John Koenig, qui a » parainé », si l’on peut dire, l’inspiration sinon la facture du nouveau promu : même travail sous-jacent, sous la couche claire du dernier passage, même crispation de pâte (ici sous l’armature d’un papier froissé) dans certaines zones de la toile, même esprit de rareté, de distinction plastique, que Koenig a su mener à bien avec la maîtrise qui définit son style. Pourtant s’il est un peu vain de comparer ces deux peintres, étant donné qu’Hamisky manifeste encore un peu de raideur et d’esprit de système dans son option, il faut lui reconnaître une personnalité attachante : ses agglomérations en rehaut ont quelque chose d’organique, de plus énumératif qui lui appartient en propre ; sa manière est rapide, sans longues élaborations par couche. On voit très bien comment à partir de là s’accomplira une évolution qui vient d’ailleurs, avec cette exposition, de franchir une première étape. Hamisky utilisait il y a quelques mois un geste d’une élégance un peu courte dont il a su résorber les effets. Si ses mises en pages (sinon sa technique) trahissent aujourd’hui les réminiscences que nous avons dites, il faut se persuader que ce jeune peintre possède des moyens dignes de considération. L’enjeu est de connaître quel chemin il choisira maintenant pour atteinçire à une formulation plus complètement personnelle, dans un territoire de l’art que tant de peintres ont déjà parcouru et inventorié avec une invention créatrice et une expérience qui rendent, évidemment plus difficile la tâche de ceux qui viennent après eux. C’est sur de telles expositions que nous pourrons former notre sentiment et décider de la pérennité de l’abstraction, telle qu’elle a été pratiquée dans les années 50, non pas certes lorsqu’elle reste entre les mains de peintres qui ont pris leurs options à ces dates cruciales, mais lorsqu’elle échoit à de jeunes artistes dont le tempéra-ment et la vision plastique refusent les expériences auxquelles sacrifient la plupart de ceux de leur génération. Il est certain que l’exigence et l’honnêteté intelleeeuelles seront dans beaucoup de cas du côté de ces peintres et non du côté des suiveurs de la onzième heure de Télémaque, de Rancillac et de Recalcati. G. G.-T. Lapicque. Il semble que, par miracle, Lapicque rencontre toujours les lieux qui l’attendaient ; ceux où son art devait trouver son meilleur épanouissement. Après Venise et ses nuits charriées d’étoiles, ses dômes baroques, ses eaux réfléchissantes, après Rome impériale et guerrière, voici une Grèce arcadienne et tendre où les dieux et les hommes conversent familièrement. Voici le fauve scintillement des arbres sur la route d’Argos, la vallée de l’Alphée profondé-ment ancrée dans une perspective qui capte une lumière crépitante ; voici Apollon et Dionysos, doux athlètes bucoliques et les architectures saisies dans d’audacieuses perspectives, de savantes contre-plongées cinématogra-phiques. Mais Lapicque sait que derrière cet embrasement solaire, ces claires architectures se cache parfois la tragédie. Prolongeant son voyage le peintre lève le voile sur les ombres qui façonnent le visage de l’aveugle CEdipe traînant avec lui de larges pans de l’Enfer. Plusieurs de ces oeuvres retrouvent l’ampleur de vision d’un Tintoret, la mise en page audacieuse qui projette le regard vers des perspectives célestes largement ouvertes : sorte » d’Opéra de limage ». Ainsi Dionysos déplcee ses fastueuses promesses, » Les Funé-railles de Patrocle » Lent le ciel et la terre. Dans « La Naissance d’Aphro-dite » l’artiste retrouve cette élégance graphique, cette virtuosité incomparable du Matisse de » La Danse » du élégance de l’Ermitage. Pour les rétines fragiles sans doute cette peinture peut paraître outrée. Mais pour ceux qui n’ont pas Peur des parfums poivrés et des fleurs sauvages quel enchantement ! (Galerie Villand-Galanis.) J.-J. L. Antonio Dias. Projet pour un vol d’attaque 1964. Brassaï ou (‘oeil insatiable. A Henry Miller j’emprunte oeil insatiable. Il dit Brassaï. L’homme, le photo-graphe comme le chroniqueur. « J’ai toujours voulu échapper à la servitude de la vie moderne, nous dit-il, à son défaut : la spécialisation. » Et Brassa.’ peint, sculpte et vit. C’est une erreur de le résumer photographe. S’il le fut dès 1930, à 33 ans, pourquoi ? Parce qu’il ne savait pas assez le français pour l’écrire. « Je n’aimais pas du tout la photo. Lorsque je suis arrivé à Paris, venant de Berlin, devant la vie surprenante de la capitale française, !’art m’a paru une chose ridicule — s’enfermer, non. Je n’ai plus travaillé. Quelques années ont passé ; quelques années perdues ? Peut-être en ai-je tiré quelque chose ; j’aurais pas mal à raconter de Montparnasse ! » C’est mémo-rialiste qu’il se veut. Mais notre langue est trop difficile, comment rendre la nuit de Paris qui l’envoûte, et dont la séduction vient de lui faire « perdre » dix ans — les années folles — de sa vie ? On lui prête un appareil photo-graphique et » j’ai fait comme ça un premier livre » Paris la nuit » (1). Le texte est de Paul Morand, d’ailleurs je ne l’ai jamais rencontré : Morand était au faîte de la gloire, quant à moi… » Mille neuf cent trente-deux, le livre paraît ; Maurice Raynal et Tériade lui font connaître Picasso. Pendant vingt-cinq ans il va photographier les sculp-tures du créateur du cubisme d’où résultera l’album, préfacé par Kahnweiler : plus de 200 photos, qui, lorsqu’elles paraissent en 1948, reproduisent l’ensemble de l’oeuvre sculptée de Picasso (2). De rencontres quotidiennes pendant plu-sieurs années devait naître le plus vivant des ouvrages consacrés au peintre: » Conversations avec Picasso » (3), où Brassaï restitue l’événement, appelle à la vie, en leur conservant la fugacité de l’instant vécu, les heures écoulées en compagnie de Picasso, de ses familiers, de ses relations ; Eluard, Matisse, Camus, Reverdy, aussi bien qu’André Bloc, Michaux, Kahnweiler… » Il ne faut pas compter sur la mémoire ; mais je n’ai jamais écrit de journal, cela fausse le rapport avec les hommes. Je prends des notes. » Ces notes possèdent la magie de l’objectif photographique lorsque c’est Brassaï qui le braque. Picasso y voit « le portrait le plus vrai » que l’on ait tracé de lui. Il en a témoigné chaleureusement son plaisir à Brassaï en confiant spontanément à Suzanne et à Georges Ramié, pour la signature du livre à Cannes (4), vingt sculptures de sa collection personnelle, parmi les plus belles et les plus importantes. La même année 1932, Brassaï rencontre Henry Miller. L’auteur de « Tro-pique » le raconte : » Je me rappelle encore vivement comment, débarqué à Faris la première fois, j’errais tout une journée pour arriver à son hôtel, à la recherche d’un peintre. Mais il m’a fallu retourner en Amérique, revenir en France une seconde fois, crever de faim, traîner dans les rues, prêter l’oreille à d’idiotes théories sur l’art et sur la vie, fréquenter toutes sortes de ratés avant qu’il me soit possible de connaître l’homme qui, comme moi, avait compris Paris sans aucun effort de volonté… Quand un jour, enfin, la porte s’ouvrit quelle ne fut pas ma surprise de voir là, sur son lit, mille répliques de toutes les scènes, toutes les rues, tous les fragments de ce Paris où je mourais et renaissais. » (5) Miller n’est pas seul à devoir à Brassaï la révélation de Paris. Par le pho-tographe des graffiti, la petite remarque de Léonard de Vinci a franchi le seuil de la réflexion pour entrer dans la vie : la » lézarde » léonardienne va envahir la conscience humaine et » l’art brut », la transcender dans l’imaginaire. C’est que Brassaï dispose d’une puissance inconnue pour débus-quer la réalité originelle : » Dès que vous le rencontrez, vous apercevez aussitôt que ses yeux ne sont pas des yeux ordinaires, dit Miller. Ils ont cette parfaite, cette limpide sphéricité, cette voracité qui étreint tout et qui fait du faucon ou du requin la sentinelle frémissante de la réalité. » Et cette puissance taraudeuse, dont l’essence est dans l’observation rigoureuse, Brassaï l’applique à ses écrits. Son premier texte, » Histoire de Marie » (6), un témoi-gnage, n’est rien de plus que propos, soliloques, confessions d’anonymes devant une table de café. » Cette idée m’et venue, nous dit-il, très tard, en 45, parce eue je travaillais dans un . bistrot-tabac », séparé par un verre dépoli du comptoir. Je ne voyais personne, c’était comme la cabine sonore d’un ingénieur du son ; je ne pouvais travailler, alors j’écoutais… » La nuit descend sur la Méditerranée, à nos pieds, déchirée par la côte, tandis que Brassaï évoque pour nous souvenirs d’enfance, vie artistique, recherches plastiques. Cet homme multiple a fui le village d’Eze, sophistiqué, pour la solitude de la Grande Corniche où mer et montagnes, rocs, arbres, feurs se mê’ent pour le repos de e » oeil » de l’homme qui a le mieux » vu » la ville. Ses dessins — en 1946, Picasso les lui fit exposer, — ses galets sculptes, aussi doux à la paume que si en les tirait vierges des fonds marins, font penser à un Brancusi qui aurait l’âme d’un homme de Lascaux. Brassa1 leur consacre beaucoup de son temps en préparant son prochain ouvrage. Lucidité et vision neuve des choses et des êtres s’y retrouveront à l’image de ses photographies qui donnent une traduction humaine du monde pour nous permettre une communicabilité avec la vie universelle marquée d’un sceau d’éternité. Jacques LEPAGE. (1) « Paris la nuit » (Arts et Métiers graphiques). (2) » Les Sculptures Picasso » (Editions du Chêne). (3) Gallimard. (4) Cannes (Gaelrie Madouri (5) Henry Miller » L’CEil de Paris ». (6) « Histoire de Marie » (Edition du Pol du Jour). FIND ART DOC