38 Herold. « Le Dandy ». 1965. o cL Photo Luc Joubert. ai e 0 Ghika. « Paysage initiatique ». 1962. Les expositions à Paris Marcel Maeyer. « Les Immaculées ». Divers visages de l’abstraction. La peinture abstraite a connu déjà bien des vicissitudes. Elle ne s’en est jamais mal tirée, quoi qu’on en dise en certaines chapelles où la manie des procès est plus évidente que la démonstration des talents. C’est qu’elle a ce pouvoir, plus difficile qu’on ne croit à analyser, mais peu importe, de rester l’expression de sa seule nature tout en s’offrant aux signes les plus divers et dont certains, parfois, lui sont étrangers. Sans doute se confond-elle avec ce qui est l’essence même de la poésie picturale. et de cette poésie-là, Wols, chez lolas, nous fournit un éloquent témoignage. On ne peut, disons-le tout de suite honnêtement, se retenir de quelque gêne devant un certain maniérisme. Mais l’essentiel n’est pas là, au moins dans la mesure où il serait maladroit d’insister sur ce qui est, après tout, le défaut d’une qualité. Ces multiples réseaux qui parcourent les toiles, ces tissages serrés d’espaces conquis dans une science féerique du détail, ces éclatements d’ailleurs sans violence et projetés vers des zones diffuses, enfin ces aspects fondamentaux d’une oeuvre riche d’intentions et d’idées nous séduisent, exercent d’emblée ce pouvoir d’envoûtement qui ne se rencontre pas, il faut bien le dire, chez tant de peintres, aussi remarquables que soient certains talents. La réussite de Wols, en ce sens, tient sans aucun doute à ses dons, mais aussi, le tempérament n’expliquant pas tout, à ses acquis. Il y a beaucoup plus d’invention concertée et de patiente raison dans ses oeuvres qu’on ne serait, d’abord, tenté de l’imaginer. La complexité qu’elles nous livrent tire de là, tout à la fois, l’indéniable force de ses charmes et leur relative faiblesse aussi : il arrive que le système apparaisse trop. Mais, par bonheur, l’expres• sion même finit toujours par l’emporter, dans ses surprises et sa liberté, sur les définitions plastiques qui la fondent. C’est, je crois, ce qui rend durable l’oeuvre de Wols, lui conférant cet équilibre très sûr que la délicatesse et les suavités éthérées du magicien dissimulent parfois. C’est là comme un excès de spiritualisation de la matière, par le jeu infini des lignes et des couleurs, qu’on ne saurait, par exemple, discerner criez Fon-tana dont la galerie Vingtième siècle nous offrait, dans le même temps, une sélection établie sur près de quinze années (1950-1964). Ici, les grandes torces naturelles demeurent toujours plus près d’une passion contrôlable : Fontana est un homme qui surveille ses hantises. J’aime assez cela, précisément. Cette tension me parait d’autant plus heureuse qu’elle n’exclut jamais la diversité, au contraire : c’est dans la mesure même où elle atteint l’extrême de ses possibilités qu’elle se remet en cause vers d’autres tentatives. Les procédés varient : sur des fonds presque toujours uniformément, et très simplement colorés, apparaissent de petits reliefs, tantôt isolés, tantôt confondus en un ensemble plus ou moins chaotique qui n’est pas sans rappeler l’image d’une chaîne de montagnes ; il y a aussi des adjonctions de pierres conservées dans leur couleur naturelle ou peintes avec la toile. et de multiples trous composant un graphisme délié, de longues fentes, le plus souvent verticales, blessure habile faite à la toile au nom d’un plaisir aigu qui envahit ses fibres. Cet art du coup de canif, sadisme intellectuel tempéré par la grâce incontestable du geste, c’est l’un des signes tout à la fois les plus pu-s, les plus doux et les plus audacieux du talent de Fontana. Il ne nous est pas donné si souvent de percevoir une telle justesse et de discerner une volonté de synthèse aussi sûre dans l’acte créateur. J’admire, quant à moi, que cette réussite parvienne à dominer ses moyens sans tomber dans la logique froide où le calcul est trop visible. Paradoxalement peut-être, le secret de Fontana est dans sa mesure. Peu d’artistes sont capables de résister aux tentations qu’entraînent certains choix. De là, sans doute, nous vient cette impression d’aisance, où le raffinement précis garde un air de santé majestueuse. Aux limites de cette distinction, voici, par exemple, un grand ovale (je crois d’ailleurs que la toile s’appelle L’Œuf) dont le fond blanc est troué par-ci par-là de cratères aux formes assez agressives, aux bords déchirés, et qui se font de plus en plus petits en se multipliant à la verticale. Cette idée d’un monde volcanique se retrouve chez Saby (Galerie L’OEil) mais elle n’a pas la paix statique, fût-elle ardemment mystérieuse, de ces volcans éteints dont Fontana dessine les cratères à la surface si fragile de Quilici. Peinture. Galerie Claude Levin. Lindstrom. « Dame de trèfle « . 1965. l’oeuf. Au contraire, c’est le dynamisme de l’éruption qui, seul ici, l’emporte. Ces coulées de laves aux tons trop travaillés, aux contours à la fois relâchés et précieux ne témoignent pas d’un goût irréprochable. On aimerait, dans l’ensemble, plus de naturel. L’imagination est plaisante, parce que son mou-vement vise à changer, dirait-on, une origine tellurique indisciplinée en formes surprises aux volutes du rêve, mais cette belle transmutation ne s’opère pas dans une respiration assez large : elle manque aussi bien de simplicité que d’ampleur. Ces qualités, au contraire, me semblent assez bien définir le tempérament très affirmé, assurément très riche, et le sens pictural de Claude Augereau, l’un des plus prometteurs parmi ceux qui, dans la jeune génération, restent obstinément fidèles à la peinture abstraite parce qu’ils pensent, non sans raison, qu’elle est loin d’avoir tout dit et que ses chances sont à redécouvrir sans cesse. Les lavis et les toiles que présentait Claude Augereau à la galerie Davray ont ceci d’assez exceptionnel aujourd’hui que leur expression première tient en un certain bonheur de vivre, un certain bonheur d’être, ou si l’on préfère encore, de sentir. Non que toutes ces oeuvres s’alimentent au courant de quelque optimisme foncier, ce qui ne serait pas forcément négligeable, mais parce qu’elles tirent leur justification d’une lucidité accordée au charme vif des présences qui n’ayant pour l’oeil à priori aucune définition précise, attei-gnent d’autant mieux les sensations. C’est cet état privilégié où, ne cessent d’intervenir les multiples jeux de la lumière, des transparences, des miroite-ments, d’un reflet hâtif saisi dans la forme, de la forme donnée à la couleur, que transcrit admirablement Claude Augereau. Mais il le fait avec une grande force calme, virile et dégagée, et c’est en ceci qu’il nous intéresse, car cet aspect proprement humain de la création ne se rencontre pas si fréquem-ment. Ses espaces sont composés avec une maîtrise qu’on souhaiterait à beaucoup d’autres, et c’est un excellent coloriste. Il m’est arrivé de dire, déjà, que ce qui s’impose avec Claude Augereau, c’est une notion de fête. Nous en avons bien besoin, dans le ridicule désordre actuel et ce goût des morosités agressives ou latentes qui, je ne sais pourquoi, ne cesse de visiter tant de productions. Au moins, voici une fête à laquelle peuvent par-ticiper aussi bien les exigences de l’esprit que celles du coeur. Je ne sais si, dans une autre perspective, il est possible de rejoindre ainsi les oeuvres de Fichet présentées chez Arnaud, mais je dois avouer, dans ce cas, qu’il y a là un chemin que ni mes habitudes de pensée, ni mes goûts ne savent emprunter. Je le regrette d’ailleurs, car Fichet est certainement un bon peintre et je ne mésestime pas son talent. Ce qu’il fait de ce talent me laisse toutefois sceptique. Tout cela est trop élémentaire, trop négligé, et la couleur est rarement heureuse. On apprécierait mieux une certaine violence, qui doit avoir ses beautés, si le peintre ne la projetait, au risque de dénaturer des conceptions qu’on devine mieux fondées, dans une symbolique simpliste à l’expression peut-être exacerbée, mais courte. De quoi s’agit-il ? D’une sorte de mysticisme saisi à l’état brut ? Alors, il reste à découvrir, sûrement, le langage d’une transcendance. En matière de langage, Castellani, exposé chez Lawrence, doit aimer aussi les simplifications. Ses grands panneaux monochromes, en bleu, ou jaune, à la Klein, sont hérissés légèrement, et de plus avec une régularité très ennuyeuse, de petits points qui d’ailleurs sont des pointes, mais fixées sous la toile. Cela vous irrite sour-noisement comme une espèce de mal sous-cutané. Quant aux petits jeux d’ombre et de lumière qui peuvent apparaître à la surface, n’exagérons rien : je lève la tête à l’instant et ceux que je vois sur les murs de mon bureau, à l’angle des meubles, dans le voilage de ma fenêtre, ont infiniment plus de beauté. Au moins, ces nuances, Shirley Goldfarb (chez Facchetti) sait les surprendre et les multiplier dans le jeu d’une modulation plus savante, tou-jours poétique. C’est que le moyen de la seule peinture offre et offrira toujours, ici, plus de ressources. Les autres techniques, dans leur inévitable et froide systématisation, ne sauront jamais remplacer, pour ces domaines particuliers, une matière à l’éclat généreux et dont la souplesse, les possibi-lités d’emploi sont infinies. Shirley Goldfarb, en dépit de certaines réserves qu’inspirent ses grandes surfaces organisées par petites touches assez sem-blables, t’a bien compris. C’est un peintre aux ambitions séduisantes, mais chez qui les répétitions, peut-être abusives, dissimulent les vraies qualités du style. Bordeaux Le Pecq. Peinture. Roger BORDIER.