Sur la réalité implicite par René DerGuclilfe. a_ Jean Lombard. Le Réel délimite des positions fort illusoires. Pourtant, on s’accroche, de nouveau, à ses basques et on découvre, dans l’Objet, les moyens de tonifier le langage, de plus en plus abondonné aux « à peu près » du maniérisme, tout en découvrant, au sein de l’univers objectif, les possibilités d’affirmer, avec une vigueur accrue, la participation du quotidien à l’espace — jusqu’ici réservé — de l’Art. A la frontière de l’Image et du Signe, la Réalité implicite définit un no man’s land singulier. Ici l’action de l’artiste, affrontée à la représentation du monde, s’exprime, soit par le truchement de l’écriture convenue, interprétée par la sensibilité créatrice, soit à l’aide de termes nouveaux dont les relations avec le prétexte échappent aux classifications du dictionnaire. Sue et inventoriée, l’image se réfère au double idéal. Inédit et sans cesse réinventé, le signe implique une part d’inconnu, une nécessité d’invention, une approche intuitive du phénomène, qualités toujours éloignées de la pra-tique des Beaux-Arts. Sans doute, les artistes, classés parmi les « Nouveaux réalistes », appar-tiennent-ils, par bien des côtés, aux tenants de la Réalité implicite. Toutefois, et c’est là, à notre avis, une marque essentielle de leur différence, tandis que les premiers visent une prise de l’univers objectif, les seconds s’élancent, au contraire, vers les terres vierges de la subjectivité créatrice. Jean Lombard ne prétend pas s’inscrire parmi les protagonistes de l’éter-nelle avant-garde. Sensible à l’écoute du monde moderne, favorable aux expé-riences les plus audacieuses, curieux, et toujours disponible, le maître de l’Ecole du Vertbois n’a pas oublié ses attaches avec l’enquête cézanniènne. Ses élèves, eux aussi, participent à cette information originelle où le sujet pensant refuse de s’écarter de l’objet prétexte. Pour la plupart, Lyonnais ou ayant quelques attaches avec la métropole rhodanienne, les élèves de Jean Lombard ne renient point les leçons du maître du Vertbois et si Romathier, Poncet, Cabus, Cottavoz, Philibert-Charrin, etc., etc., ont précisé leur aventure personnelle, tous savent ce qu’ils doivent au peintre de la réalité, mise en question. Il ne s’agit pas, avoue l’artiste, de se détacher ou de fuir l’environnement du motif. C’est grâce à cette participation, à cet échange, que l’on se détache des formes conventionnelles et reçues, pour atteindre ou, plus modestement, pour entrevoir les couleurs, les taches, les lignes, les structures qui se trou-vent en eux et hors d’eux, dans la mesure où la lumière les brise, les méta-morphose et les recrée. « Je voudrais que mes toiles soient imprégnées de nature… » explique Jean Lombard. Ce qui ne veut pas dire que l’artiste entend demeurer fidèle au canevas cézannien de ses études, mais qu’il désire exprimer, dans une exalta-tion et profusion dyonisiaques, l’élan de sa vision et la participation de son Coeur. Cette frénésie baroque se retrouve, en particulier, dans ses études actuelles, dédiées à la Sixtine, où, sans se référer à la profusion michélangelesque des corps, Jean Lombard a voulu che’cher les équivalences plastiques et chroma-tiques, capables de donner aux signes utilisés, pour pénétrer la vie musculaire et sanguine de ses « modèles », le pouvoir implicite du récit. Le « dit » et le , tu , s’affrontent, hors de toute contradiction et établissent la distance du secret. La chose exprimée, au moyen d’un embryon d’images, contient la pensée cachée soudain entrevue et déchiffrée, non pas seulement comme un corps, un arbre, une plage de ciel ou une étendue d’eau, mais comme une restitution des sensations constitutives du tableau. Le Réel est, à chaque instant, présent dans cette oeuvre, mais, au moment où l’approche va le saisir et le limiter, il s’échappe, comme le sable serré dans la main avide, comme le mercure, insensible à toute prise. Sur la surface, les rythmes conduisent les désirs et les représentations du peintre. Les dimensions, les formes, les couleurs échappent à l’individualisation de l’objet. Aucun attribut formel et coloré n’est associé à un « invariant ›>,- destiné à limiter la singularité de la sensation. Tout est tache, noyau, courant, nuée. Tout est métamorphosé par la quête passionnée d’un artiste qui, après avoir pénétré tous les arcanes de l’apparence, sait qu’aucune image, que nulle figuration, ancienne et nouvelle, ne peut restituer les secrets troublants de la vie. Cette approche du mystère est aussi celle de Romathier, attentif comme Messagier ou Benrath ou Montheillet, par exemple, à s’immiscer à l’intérieur du phénomène et à viser, à travers lui, les grands mouvements de la nature: le dynamisme lumineux du vent, les éclatements de la sève, les fluctuations, toujours renouvelées, de l’eau. Les signes réduits à des écheveaux de lignes ou à de grands panaches ondulés s’évadent résolument de leur modèle, tout en conservant une puis-sance expressive intense, nécessaire à préciser la participation de l’artiste aux grandes mutations des saisons. Jacques Poncet demeure, pour sa part, plus près du modèle. Comme Lombard, et aussi un peu à la manière de Cabus, niais avec une volonté plus expressionniste, il sait faire naître sur ses toiles l’arabesque gestuelle et puissante destinée à traduire son tempérament révolté. Le signe se mêle à l’image en une espèce de synthèse expressive, fidèle aux thèmes des « baigneuses » fantastiques, effacés par la mer, ou aux évocations de nus provocants, absorbés par la chlorophylle et la lumière. Josyne Gallet, elle aussi, s’attache à la création d’un espace dynamique, cher aux peintres de la Réalité implicite, à la suggestion de l’énergie cachée derrière l’anecdote, à l’affirmation des rythmes envoûtants dispensés par le créateur. Des « formes témoins », sans référence avec les images pétrifiées du récit, servent de point de départ à ces recherches. A partir de ces éléments, un autre domaine s’entr’ouvre, celui qu’elle tend à prospecter, avec Jean Lombard, Louise Hornung, et tous ceux qui, aujourd’hui, renoncent à limiter les êtres et les choses par une définition explicite, et traduisent avec audace toutes les perspectives infinies de la Réalité implicite. R. D. Josyne Gallet.