Informations La mort de Roger Bissière. Roger Bissière est mort le 2 décembre 1364 à l’âge de soixante dix huit ans dans son domaine de Boissierette, où il avait vécu de nombreuses années et dont il avait façonné la pierre, le paysage à sa mesure et à son goût. Le monde des arts a accueilli cette nouvelle avec une profonde tristesse, car Bissière n’était pas l’un de ces génies tonitruants qui passent en météore, bous-culent les écoles, et se font un nom en jouant des coudes. Il était tout au contraire un homme modeste et discret, et tel qu’il nous apparut lorsque nous nous connûmes à la fin de sa vie, peu soucieux d’honneur et de reconnaissance officiels. Son oeuvre pourtant avait accédé à une renommée internationale que la mention spéciale du jury de la Biennale de Venise avait consacrée, cette année, un peu tardivement. Sa peinture était de celles dont on dit qu’elles ont une âme, c’est-à-dire que les problèmes plastiques qu’il avait cherché à résoudre dans la filiation du cubisme, puis plus tard dans une abstraction libérée de toute contrainte géométrique, reflétaient une spiritualité, un regard sur l’univers, une qualité d’être qui avait frappé tous ceux aui connaissaient son oeuvre d’un peu près. Il m’a toujours semblé que le succès de Bissière avait été dans notre monde où triomphe le bruit et la fureur, une manière de scandale, car à plusieurs moments cruciaux ce peintre avait fait exactement ce qu’il fallait pour déplaire aux puissants, se moquer des côteries, et tourner le dos aux modes. Seulement, à la fin. son art finit par l’imposer, lui vallu la reconnaissance du Musée d’Art Moderne lors d’une belle rétrospective, et permis à Bissière d’apparaître comme un maître dont les élèves furent les principaux animateurs de cette école de Paris, dans l’immédiate après guerre, qui fut la première à faire triompher une certaine abstraction toute de mesure et d’équilibre. Mais Bissière les surpassait tous, peut-être parce que son patient génie avait été mûri par l’une des épreuves les plus cruelles que puisse connaître un peintre: la cécité qui pendant plusieurs années le tint éloigné de ses palettes. Dans un récent hommage que lui a consacré le journal « Arts », (numéro 984), Walter Lewino nous parle avec émotion et sensibilité du Bissière qu’il a connu tout au long de son enfance et de son adolescence alors qu’il fréquentait Boissiérette. Il nous dit: « Quand je lis maintenant la presse consacrée à sa vie et à sa personne, les bras m’en tombent. Ces gens dont ni le talent, ni la sincérité ne sont en cause n’ont pas connu le même Bissière que moi… ce sage, cet être replié sur lui-même, méditatif, franciscain, qu’on nous pré-sente, je l’ai bien entrevu de ci de là, surtout ces derniers temps, mais comment pourrait-il me faire oublier le Bissière de ma jeunesse, brillant, drôle, baignant chacun de ses actes dans ce climat d’humour britannique que seuls les bordelais ont su adapter à la tendresse latine ? » Ces propos nous touchent d’autant plus que nous sentons bien que nous sommes de ces gens-là. Dans les études que j’ai eu l’horaReur de consacrer à Bissière dans « Jardin des Arts ., dans « Aujourd’hui » ou dans « Connaissance du Monde », je me sou-viens bien d’avoir insisté sur cette phrase que le peintre avait pourtant bien écrite et qui me semblait bien définir sa vie et son oeuvre « demeurer seul avec soi-même à regarder en soi et non à l’extérieur .. Mais il est vrai qu’une expérience tardive de sa peinture et qu’une ultime connaissance de l’artiste ne pouvait que figer dans une sorte de cire des traits qui furent infiniment plus mobiles et auxquels ne convenait aucune solennité. C’est pourquoi le témoignage des familiers sera toujours nécessaire à l’écriture des biographies, qui se contentent trop souvent de documents exacts mais sans vie. Je garde, de quelques lettres écrites par Bissière, l’impres-sion d’un homme chaleureux dans sa simplicité, accueillant et malicieux à la fois, d’une fierté très sourcilleuse aui ne badinait pas sur le compromis ni sur les demi-mesures. Bissière s’était retiré du cirque parisien dans lequel il revenait cependant de temps en temps, coiffé de son inséparable casquette, indifférent à toutes les convenances du monde. Ce peintre oui était un des moins provocants que l’on puisse imaginer, vivait son oeuvre et sa vie avec une liberté et une indépendance auxquelles beaucoup aujourd’hui ne peuvent atteindre que par les travestis de la révolte et de l’insolence. Gérald GASSIOT-TALABOT. Cartes postales brésiliennes. Cette excellente série de cartes postales qui nous arrive de Sao Paulo soigneusement publiée par les éditions « Girofle ., met dans le monde des adultes qui s’écrivent une note inattendue de fraîcheur et d’humour. Des dessins et des peintures de gosses de quatre, cinq, ou six ans nous offrent des images de leur expérience que le mystère entoure, représentation d’un monde frémissant et féerique pas encore figé dans une pra,:is quotidienne —des oiseaux enlevés d’un coup de pinceau, des crocodiles pris dans un griffonnage informel, des clowns tout bariolés, voire une famille qui se multiplie dans des alvéoles bien cloisonnées, comme si le jeune José-Augusto qui l’a peinte avait eu vent de l’existence de problèmes tels que ceux de la division du champ figuratif… J.-A. F. José Augusto G. de Lemos (4 ans). 100 Bibliographie CONNAISSANCE DE LA PEINTURE, par René Berger. Novorop, Lausanne. Cet ouvrage considérable édité par le Centre International des Arts, est une sorte d’encyclopédie en douze tomes, conçue et réalisée, nous dit-on, « à l’intention d’hommes et de femmes pour qui l’intérêt porté à l’art relève d’un goût personnel profond .. Peut-on enseigner aux gens une méthode à regarder la peinture ? La regarder, et… la voir, ce qui est bien autre chose. Rien de moins abstrait ni aride que la conception de cet ouvrage. Nous suivons avec intérêt et parfois même avec amusement M. René Berger (historien d’art et dynamique conservateur du Musée de Lausanne), qui est le guide érudit et passionné de ce voyage au Pays des Merveilles. Il abolit les frontières entre le passé et l’actualité, tirant exemples et illustrations de ce « musée ima-ginaire » que chaque amateur d’art recèle dans sa mémoire visuelle. En dehors des valeurs raisonnées de la peinture, il existe des préférences irrationnelles intuitivement basées sur des affinités électives. Ce courant qui passe ou ne passe pas, entre l’oeuvre d’art et celui qui la contemple déjoue toute dialec-tique. C’est pourquoi, da partie la plus constructive de cet ouvrage est sans doute constituée par les études critiques sur les peintres anciens ou modernes, qui sont cités pour illustrer certaines thèses. Je ne crois pas avoir jamais lu sur Dubuffet, de meilleur texte que celui de M. René Berger. L’intelligence et la sensibilité de ses analyses critiques démontrent l’importance de plus en plus grande de l’engagement, dans l’histoire de l’art, ancien ou moderne. Des planches illustrées en couleurs accompagnent chacun des tomes ; un thème différent fait l’objet de chaque volume, on peut donc lire séparément les volets de l’ouvrage, inverser l’ordre de publication, en somme le consulter comme on consulte le Littré, c’est-à-dire comme une oeuvre qui va faire autorité sans être pédante. Simone FRIGERIO. IL « CONCILIO DI VACCHI, par Enrico Crispolti. Editions d’art Fratelli Pozzo. Turin. Cette plaquette illustrée en couleurs constitue une étude critique appro-fondie, du cycle de peintures exécutées entre 1962-1963, par Sergio Vacchi, sur le thème-prétexte du concile de Rome. Le texte de Crispolti est un plai-doyer courageux pour des oeuvres accueillies avec réticence à la dernière Bien-nale de Venise. Celles-ci marquent un tournant qui est un engagement dans la démarche picturale de Vacchi. Parti il y a une quinzaine d’années de la défiguration picassienne, pour déboucher il y a quelque temps sur une sorte d’abstraction expressionniste, Vacchi a voulu ici « humaniser le symbole, tendre à le profaner si possible, pour changer son halo d’absolutisme métaphy-sique ». Malheureusement, sa figuration d’un symbole trop précisément iden-tifiable trahit un parti pris d’outrance assez gratuit, comme il s’en rencontre beaucoup chez les tenants de la « nouvelle figuration ». S. F. YOSHISHIGE SAITO publié par Bijutsu Shuppan-Sha 1964. De Tokyo nous parvient, présenté sous un cartonnage précieux, un ouvrage consacré au grand peintre nippon Yoshishige Saito. Cet ouvrage n’est pas une monographie répondant aux critères habituels, mais un recueil de 27 planches en couleurs, non reliées, d’une série de peintures de l’artiste, comprises entre 1949 et 1964. Les reproductions rendent fidèlement les finesses de la technique si particulière de Saito, qui utilise en guise de pinceau, une drille électrique. « Je grave, écrit-il, des points et des lignes (sur contreplaqué), et afin d’immo-biliser leurs traces, je peins à l’huile ». Un mince cahier imprimé en carac-tères dorés sur papier japon et illustré de dessins à l’eau et à l’encre de chine (technique dite « suiboku »), accompagne séparément les planches en couleurs. On y trouve quelques notes biographiques résumant les étapes essentielles de la carrière de Saito, ainsi que des textes écrits par l’artiste pour tenter d’expliciter la profonde spiritualité de son oeuvre. S. F. CONVERSATIONS AVEC PICASSO, par Brassaï. Gallimard. Ce ne sont pas les livres qui manquent sur Picasso. Mais tous ne présen-tent pas un tel intérêt. En voici un, en tout cas, qui retient l’attention, et peut-être parce qu’il est dû à un homme de talent qui, lui-même artiste, évolue ici dans un univers qui est le sien. Depuis plus de trente ans, Brassaï photographie les oeuvres de Picasso. Il est devenu un familier de l’artiste, son ami et parfois son confident, si bien que le témoignage qu’il nous livre consti-tue, dans sa simplicité même, et peut-être à cause d’elle, un document riche et vivant sur quelques traits essentiels d’une existence de monstre sacré. C’est là, en quelque sorte, une biographie à chaud. Attentif aux faits et gestes, aux moindres actions, aux grandes scènes, et prompt à les transcrire, Brassaï trace de Picasso, par l’écriture, un portrait aussi saisissant que ceux dont peut tirer profit l’art d’un grand photographe. La qualité narrative, le sens de l’anecdote, la sobre justesse des impressions, l’intensité retenue d’une pensée fort bien accordée à la fréquentation d’un être génial, tout cela séduit, tout cela convainc. Certains passages inoubliables concernent les années de l’occupation, et bien des pages intelligentes, émouvantes, se rapportent au souvenir de Robert Desnos, Matisse, Eluard, Camus, Cocteau, Reverdy… Ils ne sont plus parmi nous, et ils venaient dans cet atelier célèbre de la rue des Grands-Augustins dont Brassaï nous parle si bien, et qu’il a, également, si bien photographié. Ils venaient là rencontrer plus d’un demi-siècle de poésie, eux qui étaient aussi des poètes. Ils venaient là prendre une mesure excep-tionnelle, à la fois humaine et intellectuelle, de leur temps. C’était comme une grande notion contemporaine qu’il leur était donné de saisir, un peu rapidement, dans la familiarité d’un géant de l’art dont la signature est à ce point illustre que, de nom propre, elle est devenue non commun. Et dans sa part de moquerie ou d’incompréhension, comme dans ses tendances à l’idolâtrie, l’opinion générale, en ce sens, voit juste sans le savoir : l’auteur de Guernica est devenu un bien commun à tous, je veux dire à l’humanité. Mais ces grandes notions élevées sont faites aussi d’une infinité de détails quotidiens, et Brassaï ne s’y est pas trompé. Il nous présente un Picasso vrai, un Picasso pris sur le vif. Oui, décidément, ce livre est un beau témoignage. Roger BORDIER. MIRO, par Yvon Taillandier. Collection XXe siècle. Sous un joli titre empreint à la fois de modestie professionnelle et de charme bucolique : « Je travaille comme un jardinier », Yvon Taillandier a recueilli quelques-unes des impressions essentielles que lui a confiées Miro. C’est une réussite, car il n’était sans doute pas simple d’enfermer dans un texte aussi bref, d’une écriture déliée, efficace et souple, tout un monde d’idées, de sensations, d’exemples, qu’une oeuvre déjà longue et très accomplie justifie sans nous le livrer. « Je travaille comme un jardinier ou comme un vigneron. Les choses viennent lentement », dit Miro. Et Yvon Taillandier lui-même, admirablement sensible à ces rapports de langage entre les mots de l’émotion et les visions simples de la nature, reprend à son compte, dans un excellent avant-propos, ce jeu des correspondances métaphoriques : « Quelque chose dans ma mémoire, écrit-il, enfrnce ses racines, lance un tronc, des branches, des feuilles. Bref, tout se passe comme si une partie de moi-même était devenue cet atelier-jardin où il m’a raconté que son oeuvre pousse ». Dès lors, il s’agit pour le confident, devenu biographe, de se faire aussi complice : « N’intervenir qu’avec prudence. Et seulement pour veiller à ce que la forme de l’arbre écrit soit, autant qu’il se peut, un jaillissement, comme celle de l’arbre verbal. » Ce livre, d’une présentation très agréable, est fort bien illustré. Il nous offre des reproductions de ces oeuvres maîtresses de Miro où se retrouvent le mieux le mouvement de son inspiration et le choix de ses ;.u•an 1s th.?.rres plastiques. Félicitons Yvon Taillandier : il a su rencontrer ce jar linicr dMoi es au jardin des mots. 9.