Virduzzo. Virduzzo n’expose pas fréquemment à Paris. Les oeuvres qu’il nous montre à la galerie de Beaune n’en méritent que plus l’attention, car les travaux de cet artiste, couronnés à la XXXI« Biennale de Venise par un grand prix de gravure, sont dignes d’intérêt. Virduzzo, c’est la fidélité à une mise en pages constructive dont il a eu l’intuition il y a environ six ou sept ans, et dans laquelle il a persévéré depuis, en l’approfondissant et en lui don-nant une permanence plastique très particulière. Le motif circulaire qu’il multiplie, qu’il enfonce dans la matière du support, et avec lequel il se livre à des effets de profondeur et de jeu de plans, participe à la fois d’une volonté artisanale et d’une recherche ambitieuse de l’occupation de l’espace. Artisanal, le patient métier du peintre l’est bien évidemment puis-qu’il s’agit d’une élaboration méthodique, organisée, systématique. Cepen-dant, de ces phénomènes de répartition et d’accumulation, ressort un sen-timent de fascination cosmique : ces cercles sont autant d’yeux sur la queue d’Argus, autant d’astres dans un ciel tout proche, immanent à notre monde. Cette entreprise singulière, même si elle n’échappe pas toujours à la monotonie, acquiert une incontestable présence, qu’elle nous irrite ou nous séduise. Virduzzo est, nous l’avons dit, un artiste de la veine cons-tructive qui a pris ses leçons aux maîtres de rigueur et d’exactitude ; il serait donc stupide de lui reprocher cette sorte d’application obstinée qu’il met à approfondir la vision très astreignante qui conduit son oeuvre. Plus que sur sa méthode j’insisterai sur l’étrange phénomène d’obsession oculaire que procurent ses oeuvres. Ce qu’Ossorio a obtenu avec des objets de paco-tille, yeux de verte et boutons, Virduzzo le réalise d’une façon plus abstraite et plus systématique dans un style indiscutablement original. (Galerie de Beaune.) Gérald GASSIOT-TALABOT. Gnoli. Gnoli, comme naguère Segui, introduit dans l’art moderne cette notion caricaturale de l’univers « petit bourgeois » qui constitue à la fois une satire sociale et un témoignage sur un type d’humanité permanent et précis. Ce qu’il entre de suranné dans les coiffures, dans les détails vestimentaires de Gnoli, confère à l’ensemble une forme insidieuse, une savoureuse irone. C’est un art exact, méticuleux, qui permet au peintre, en s’attachant à la banalité de la parure et de l’habillement quotidien, de nous présenter un monde grossi, évident, d’une terne uniformité, qui révèle cependant la sensibilité d’une tessiture spéciale et, c’est le cas de le dire, d’une étoffe, d’un drap rugueux. Ce monde du grossissement, figé dans ces poses de mannequins, est un témoi-gnage insolite, tout à fait remarquable des tendances actuelles de la jeune peinture. (Galerie Schoeler.) La voie du biceps ». Le Point Cardinal, Photos Jacqueline Hyde. G. G.-T. Hiquily. Depuis plusieurs années, Hiquily élabore, met au point, fignole un univers de personnages sculptés, qui portent très profondément la marque de sa per-sonnalité. Sa récente exposition à la Galerie Claude Bernard nous montre que cet art est parvenu à un point de maturité où l’artiste risque évidemment de s’enfermer dans son style, mais qui, pour le moment, est révélateur de plaisirs esthétiques singuliers et intenses. Les formes plates d’Hiquily, sa toté misation stylisée, cette société de créatures sans tête, aux épaules larges, aux corps démesurés, aux organes géométriques, tout cela appartient à un ensemble très cohérent et très insolite, où la poétique personnelle de l’artiste trouve à s’exprimer avec une insolence, un humour, une virulence tout à fait réjouis-sants. Aujourd’hui Hiquily s’essaie à mettre ses personnages en rapport avec des objets concrets: le jeu ajoute en esprit de cocasserie à la naturelle fan-taisie de créateur de ce sculpteur. Juchées sur une motocyclette, coincées dans des objets domestiques, d’esthétique surannée, les statues d’Hiquily semblent prendre possession du réel, comme des robots venus d’une autre planète. (Galerie Claude Bernard.) G. G.-T. Marie Laure On ne parle jamais de la nuit du futur comme on parle de la nuit des temps. Et pourtant qui pourrait dire ce qui les différencie. On pourrait même dire avec plus de vraisemblance que nous sommes tournés vers le crépus-cule puisque notre enfance est derrière nous. Cette vue indécise dans un temps indécis, c’est l’art entre chien et loup de Marie Laure. (Et si elle se trompe, elle se trompe avec Léonard !) Aurait-elle vécu mille ans plus tôt, elle eût été une de ces femmes poètes et peintres qui faisaient l’honneur du Japon médiéval. Elle aurait noté chaque jour à midi la différence entre les couleurs chastes et les couleurs impu-diques, à cinq heures les travers de ses amis, enfin le soir, elle aurait consi-gné dans sa peinture toutes les présences nocturnes qui se révèlent au crépuscule. Tout le monde aurait admiré son esprit au lieu de s’en plaindre et toutes jalousies baissées on aurait admiré ses peintures. Etrange et amer Occident qui force d’exposer et de s’exposer et qui a fait de da peinture une course au clocher dont on ne voit pas le clocher. Marie-Laure s’est faite amie avec le Père Temps pour mieux pénétrer dans l’espace. Cela donne une curieuse patine à sa peinture. Elle l’a fait comme d’autres parient pour le présent et s’y engagent. Mais le présent, elle s’y sent à l’étroit et du moment qu’elle a fait ce pas « sur le côté », elle a perdu la notion du futur et du passé. Elle ne reconnaît plus les catégories, les genres et les espèces. Ce qui fait qu’il n’y a plus d’en haut ni d’en bas, d’Orient ni d’Occident. Il faut naviguer sans boussole. Et sans espoir de jeter l’ancre un jour dans quelque port de la certitude qui serait alors aussi celui de la félicité. (Galerie du Dragon.) J. A. Magritte. La lunette d’approche ». 1963. Le Salon de la Jeune Peinture. Les remous suscités cette année par le Salon de la Jeune Peinture repo-sent, me semble-t-il, sur une équivoque. Veut-on faire le procès d’un salon, ou celui de la jeune peinture actuelle ? Les querelles de comité, inhérentes aux structures administratives de tous les salons, n’intéressent pas le public. A la « Jeune Peinture », on est choisi ou refusé pour des motifs aussi arbi-traires qu’ailleurs, cela n’est pas nouveau. Il n’y a donc pas lieu de prendre trop au sérieux les déclarations programmatiques de la préface du catalogue. Mais, si l’on admet que la fonction de tout salon devrait être de témoigner, alors, cette année, « La Jeune Peinture . reflète exactement la tendance pré-dominante de la peinture la plus nouvelle. Ceux qui ont suivi !es grandes manifestations internationales de l’an passé, y compris le Salon de Mai, l’exposition « Mythologies quotidiennes », et des expositions antérieures signi-ficatives comme « Antagonismes II » et « Donner à Voir », seraient de mau-vaise foi en criant au coup fourré et en se refusant à admettre l’évidence : la mise en place d’une peinture néofigurative, postabstraite, phénomène inter-national. Il y aura bientôt vingt ans, la « jeune peinture ., c’était De Staël et quelques autres abstraits comme lui ; des traits et des taches suffisaient alors pour représenter ce qu’il restait du monde en ruines. Depuis, un maté-rialisme de consommation, encouragé et magnifié par la voie officielle ou privée, a contaminé toute la vie et ses apparences jusqu’à l’obsession. L’image plus ou moins truquée du monde nous est sans cesse proposée, à l’extérieur et dans les intérieurs depuis l’intronisation de la télévision. Cette imagerie, embellie, repensée, caricaturée, démystifiée, etc., est passée dans la peinture, par des sentiers divers, sans rompre avec des filiations lisibles, imagerie que nous voyons cette année, donner au Salon de la Jeune Pein-ture sa physionomie vivante. Le fait qu’une participation étrangère très nom-breuse et brillante ait répondu à l’appel des organisateurs est le signe encou-rageant du fiasco des menées nationalistes conduites contre Paris. Ce Seizième Salon de la Jeune Peinture a donc un caractère international. Le groupe anglais, franchement pop’, va de Boshier, Peter Phillips, à Harold Cohen ; Paolozzi et Joe Tilson représentent la sculpture, ou sculpto-peinture imagée. L’Allemagne a délégué le groupe expressionniste « Spur », dans lequel se distinguent Lothar Fisher (sculpteur) et Heimrad Prem, mais, en outre, Horst Antes et Klapheck. à deux pôles différents de la nouvelle figuration. Malgré l’absence regrettable de Klasen et Voss, la jeune génération allemande com-prend dès maintenant quelques-uns des meilleurs éléments du contingent néo-figuratif. L’Espagne a présenté le groupe « Cronica », avec Solbes, Toledo, Galerie lolas. Francis Picabia. Paroxyme 1915. Valdes; comme chez les Argentins, l’engagement idéologique touche à la politique. Deux belles toiles de Maccio (groupe argentin) illustrent cet enga-gement ; Arroyo (groupe de l’Abattoir) a été gêné par l’ « hommage au vert (six laitues, un couteau, trois épluchures, plus… Bonaparte). Cet « hommage au vert » est un hymne à la nature et à la grande toile de Salon, envisagée comme un morceau de bravoure picturale De bons peintres comme Aillaud, Recalcati, Michel Parré et autres se sont pliés à la discipline du sujet imposé, de façon plus ou moins parodique ; comme toutes les toiles composant l’hom-mage étaient de grande dimension et accrochées en se touchant, cette démons-tration aura servi à faire apparaître le danger qui menace toute une fraction de la nouvelle figuration : retomber dans la convention du sujet. Des siècles de peinture de genre de toutes sortes (buveurs, chasseurs, etc.) devraient avoir dégoûté à tout jamais nos jeunes peintres du sujet. En dépit de l’échap-patoire surréalisante, le nouveau réalisme expressionniste actuel est à la limite tangente du sujet ennuyeux. On peut considérer comme suscentib!e de développements beaucoup plus intéressants la démarche d’un Rancillac dont le tryptique se distingue dans une salle dynamique où figurent Télémaque, Peter Saul, Bertholo, Del Pezzo. Les Italiens ont pris le vent, eux aussi, et la nouvelle figuration d’un Cremonini, d’un Gnoli, les reliefs joyeux de Gilli, la « Jaguar de Maselli, ne se laissent pas ignorer. Le jardin métallique du sculpteur Alik Cavaliere, les « stranges fruits . de Brusse, les « têtes > de Kosta, le « Rhinocretaire de F.X. Lalanne, donnent un aperçu du ton de la sculpture qui accompagne, un peu en retrait, cette « jeune peinture En conclusion, on ne peut oas en vouloir aux artistes d’avoir dépassé ou contre-dit les prophéties d’une partie de la critique. La loi des mutations est le prin-cipe même de la vie et aussi sa causalité de destruction, le cheminement de l’art n’y échappe pas. L’affirmation d’une peinture qui se veut jeune et souvent joyeuse devrait être interprétée comme un signe optimiste de la familiarité renouée entre l’art et la vie. S. F. Eugène Berman. Compagnon de Tchelitchew, de Christian Berard, Eugène Berman retrouve dans une peinture incroyablement soignée, minutieuse, le climat inquiétant de la peinture métaphysique de Chirico. Sa passion de l’archéologie lui inspire des paysages où s’inscrit en filigrane le travail du temps qui érode la pierre, façonne une sorte d’image mouvante, vaguement fantomatiqt C’est là un art totalement étranger aux problèmes de ce temps, néanmoi un art qui jette le trouble et se pare d’une poésie toujours captivante. J.-J. L. Photo N. Mandel. Galerie Furstenberg. FIND ART DOC