L’EXPOSITION  » ÉCOLE DE PARIS  » par Jean-Jacques Levêque. Corneille. Une aube nouvelle pleine d’oiseaux ». 1964. James Guitet. Peinture. Soulages. Peinture. <, 1, juin 1964 ». Photo Robert David. 82 L'échec de l'exposition « Ecole de Paris », à la Galerie Charpentier, qui constituait ces dernières années la manifestation clé de la saison, le bilan des réussites, le rassemble-ment des artistes reconnus comme valables. met plus en question le terme même que l'in-térêt récapitulatif de cette exposition. Il s'agit, en fait, d'une querelle de mot, d'étiquette. L'Ecole de Paris fut, à ses débuts, la rencontre non concertée de quelques indi-vidualités qui trouvèrent, à Montparnasse, un climat favorable à leur art. Depuis, sous cette étiquette, on a voulu désigner toute l'activité artistique dont Paris est le théâtre. Cette fausse cohésion (exigée, dira-t-on, plus spé-cialement aujourd'hui, pour lutter contre l'ac-tion offensive des artistes américains qui, las de la prépondérance de cette école de Paris, ont entreprit de coordonner leur action et de l'unifier autour de slogans) ne répond pas au-trement à une réalité historique. Paris, comme la plupart des centres de créa-tions d'aujourd'hui, est le terrain de luttes intestines, d'affrontements passionnés qui sont le reflet d'une remise en question des pro-blèmes de l'art. Remise en question normale et saine. L'art n'est pas, ne peut pas être, n'a jamais été, l'exploitation confortable de formules. A l'ins-tant même où une école, un groupe d'indi-vidus, un artiste seul se stratifient dans une formule, l'art devient académique. En fait, cette énorme confusion d'aujourd'hui correspond à une non moins extraordinaire fièvre créatrice. La querelle de l'Ecole de Paris est une que-relle de genre. On a voulu voir, d'un côté, les abstraits (déclarant que ceux-ci avaient tout dit et étaient au stade du Musée), de l'autre, les néo-figuratifs considérés comme vivant l'aventure de l'art présent. Pourquoi ne pas considérer l'aventure de l'art sur un très large front où, sans fraterniser dans le fond, abstraits, néo-figuratifs et autres cohabiteraient civilement. De plus, d'une querelle devenue générale, on a voulu aussi faire une querelle particu-lière : celle d'un peintre contre une organi-sation, de Soulages contre un jury et son choix, une galerie et son organisation. On a même prêté à Soulages des mots maladroits et assez blessants à l'égard des jeunes. — Pourquoi, Soulages, avez-vous refusé de participer à l'exposition de l'Ecole de Paris? — Deux raisons principales m'ont poussé à refuser. Premièrement, la rapidité exigée pour répondre, trouver les tableaux, bref, s'organi-ser, en vue de cette manifestation. On nous a prévenu 15 jours avant le vernissage ; cela m'a semblé mal augurer de cette manifesta-tion qui, à mon sens, se devait d'être, cette année surtout, d'une qualité irréprochable, puisque l'on voulait en faire une manifesta-tion de prestige en réaction contre les atta-ques dont Paris est, incontestablement, depuis quelques temps, l'objet. Une telle manifestation se prépare long-temps à l'avance, en général un an à l'avance. Deuxièmement le choix ne m'a pas paru objectif. Sans nommer personne, vous consta-terez, avec moi, qu'il y a des présences qui ne sont pas essentielles pour des oublis par trop choquants. Par ailleurs, avoir choisi com-me date limite 1900 (année de naissance des peintres) me semblait stupide, car, de ce fait, un certain nombre d'entre nous étaient éli-minés; d'ailleurs, tout choix basé sur des his-toires de génération est obligatoirement faussé. On m'a accusé d'avoir dédaigné d'exposer avec des jeunes, je peux donner une preuve du contraire. En 1962, j'ai exposé aux Surindépen-dants (et j'y ai entraîné beaucoup d'amis) uniquement par reconnaissance pour ce salon, où j'avais moi-même fait mes débuts. Mais j'avais et j'ai toujours le droit de faire des restrictions quant au choix des manifestations auxquelles je participe. Il se trouve qu'un grand nombre des jeunes qui avaient été choisis pour l'Ecole de Paris de cette année me sont parfaitement inconnus, et que d'autres que je connais, et dont le travail me semble estimable, ne figuraient pas dans ce choix; mais le plus grave était, à mon sens, le manque d'objectivité de ce choix, qui, à mon point de vue, ne témoignait absolument pas de l'art actuel. Critiquer le choix d'un jury, c'est mettre en cause sa valeur. Bien sûr, la question se pose de savoir si un peintre a moralement le droit de s'immiscer dans un travail qui ne relève pas de son activité normale. En principe un jury prend ses responsabi-lités, il les assume. Cela a-t-il été le cas pour l'Ecole de Paris? On a dit que les débats furent nombreux, contradictoires et d'ailleurs, curieusement, les listes d'invités communi-quées aux artistes n'étaient jamais les mêmes. On sent nettement que dans le choix des jeu-nes artistes le jury s'est senti perdu soit par manque de confiance, soit par manque d'infor-mations. Sauf de très rares exceptions, ces jeunes n'étaient pas connus de tous les mem-bres du jury, ce qui, bien sûr, handicape sin-gulièrement l'admission d'un artiste proposé par l'un des membres. D'ailleurs, devant le caractère hybride que risquait de prendre ce choix, les membres du jury ont préféré s'en tenir à une sélection exercée par d'autres qu'eux, puisqu'ils se sont finalement arrêtés à des artistes précédemment retenus lors des dernières biennales de Paris. Etait-ce là une bonne solution ? A priori elle paraît confor-table, elle ménage les risques mais elle peut passer aussi pour une démission. A vrai dire, il était difficile d'agir différemment. On le voit bien d'ailleurs dans les réunions qui se font parmi les jeunes critiques chargés d'organiser une salle dans le cadre de la Biennale. Une sélection est très délicate dans la mesure où elle se fait sur des individualités qui ne sont pas encore très bien cernées et souvent esti-mées par une fraction infime de ce jury. Mais, à la différence de la Biennale, qui est un terrain d'expériences où l'on invite des jeunes (donc des promesses), la manifestation de la Galerie Charpentier, « L'Ecole de Paris », consacre des valeurs reconnues par le plus grand nombre. N'est-ce pas bien hatif de con-fronter de vieux maîtres (Ernst, Chagall, Pi-casso, Miro) avec des peintres de 35 ans (Ran-cillac, Macréau, Arman, Benrath) dont les len-demains sont des plus aléatoires, quel que soit l'intérêt de leurs recherches actuelles. C'est un des vices de l'époque que de mettre sur un podium des individualités en puis-sance. Un artiste n'a pas le temps de se définir qu'il est déjà pris dans un extraordinaire engrenage d'expositions où il risque de s'émietter parce qu'il n'a pas humainement la force nécessaire de cohabiter avec un sem-blant de célébrité ou tout au moins le chemin qui y mène. En fait, l'un des aspects positifs de ce douloureux échec de l'Ecole de Paris, c'est que la jeunesse d'un peintre, si elle est dorée, est surfaite. Il faut réenvisager les systèmes d'exposi-tions: voir, d'un côté, celles qui relèvent de l'expérience, et, de l'autre, celles qui relè-vent de la consécration. Ainsi, l'Ecole de Paris doit être une exposition de consécration où prennent place tout naturellement des artistes comme Bazaine, Dubuffet, Estève, Hartung, Jorn, Zao Wou Ki, Vieira Da Silva, Tal Coat, Soulages, Poliakoff, Matta, tandis qu'une expo-sition comme « Donner à Voir » peut très bien accueillir des artistes comme Camacho, Mac-cio, Ségui ou Lebenstein qui sont encore des artistes dont on peut mettre en doute l'ave-nir. Ce qui compte, avant tout, c'est donc de ne jamais mélanger les un car c'est fausser l'histoire. s et les autres, J.-J. L