mouvement ne s’affirmât. La démonologie sexuelle de Bettencourt, les collages prémonitoires de Requichot à base de publicités de produits alimentaires, le réalisme romanesque de Berni, les intuitions de féérie narrative de Foldès, la • Bertinisation » des images commencée dès 1959, les mises en pages sérielles d’Arnal relèvent de personnalités créatrices qui se moquent de la coïncidence des modes et n’en sont plus à chercher des confirmations dans un « américa-nisme hâtif », préoccupation qui est égarement bien étrangère à des artistes plus jeunes mais exceptionnellement personnels et doués comme, par exemple, Télémaque, Rancillac, Raysse, Arroyo, Voss, Buri, Klasen, Alleyn, Atila et Monory. Quant à des artistes déjà aussi affirmés que Kalinowski, Golub, Niki de Saint Phalle, Saul, Dado, Brusse, Falhstrom et Kramer on chercherait en vain, dans les oeuvres qu’ils mettent au jour depuis plusieurs années, une obédience quelconque aux archétypes d’outre Manche ou d’outre Atlantique. A cette simple énumération, on voit tout ce que pouvait avoir d’odieux les affirmations péremptoires, hâtives et superficielles qui réduisaient des artistes aussi riches et aussi divers à n’être que les épigones des « sept grands » du Pop américain, avec lesquels ils n’ont jamais eu à voir. Telles qu’elles ont été présentées, les Mythologies quotidiennes n’étaient destinées ni à se répéter, en prenant la structure d’un salon, ni à fonder Le fanatisme de la technique et du style. Le rapprochement qui s’opère actuellement entre les tenants du Pop’Art et du Nouveau réalisme comporte certaines ambiguïtés qu’il convient de signaler. Levons tout d’abord la profonde équivoque qui marque l’acception du mot « Pop’Art », dont on a fait un usage si abusif à propos des Mythologies. Les origines anglaises du terme, que l’on attribue au critique Alloway, prêtent à une certaine confusion étant donné que c’est de New York que le mouvement qui porte ce nom e reçu toute la vigueur nécessaire pour s’imposer dans le monde. Les profondes différences qui apparaissent entre les artistes anglais et américains se traduisent dans les faits, nous l’avons constaté lors de la projection du film de Jean Antoine sur le Pop’Art, par un refus catégorique de la plupart des peintres anglais de se voir affublés de cette étiquette singu-lièrement vulgarisée et dévaluée aujourd’hui. Si bien que, aucune définition satisfaisante du Pop’Art n’étant possible dans la confusion qui a suivi sa mise à la mode, c’est à une délimitation empirique que nous devons nous tenir. On pourra dire, ainsi, que le Pop’Art est une forme d’expression artistique fondée sur la reproduction figurative des produits de civilisation urbaine, qui utilise le plus souvent des techniques mécaniques (sérigraphie, sensibili-sation photographique, moulage, etc.) permettant à l’artiste d’intervenir le moins possible dans l’établissement de son oeuvre et de limiter son action à un choix et à un constat. Pratiqué par des artistes tels que Warhol, Olden-burg, Lichtenstein, Rosenquist, et d’une certaine manière Jim Dine, il se distingue à la fois du néo-dadaïsme de Rauschenberg et de Jasper Johns (formule transitoire, dit-on, entre l’expressionnisme abstrait et l’objectivation), et du Nouveau réalisme tel qu’il a été défini par P. Restany. Il apparaît donc comme une formule essentiellement américaine, d’une brutalité, d’une évidence, et d’une force de distanciation telles qu’il se détache très nettement de presque tout ce qui a été pratiqué en Europe (Grande-Bretagne comprise) de Kitaj à Hockney, de Rancillac à Berni, de Foldès à Télémaque. Pour justifier l’originalité exclusive du Pop’Art, Otto Hahn (6) propose comme critères l’acceptation du réel en tant que tel, et la réconciliation de l’homme avec l’environnement, critères applicables également, d’après lui, au Nouveau réalisme, qu’il établit, à égalité optionnelle avec le Pop, dans un constant souci de parallélisme. De là à estimer que la technique et le style se déduisent de ce « matérialisme émerveillé », et que les solutions picturales pigmentaires sont à rejeter comme entachées de relents expressionnistes ou surréalistes, il n’y a qu’un pas, qu’Otto Hahn franchit en notant toutefois, sans manifester le moindre embarras : « Bien sûr, on ne s’empare pas des choses telles quelles ; chacun s’intéresse à des qualités particulières du point de vue Plastique, propose sa propre organisation de l’espace : c’est le domaine de l’art ». Douce illusion, dans un chapitre où si ce n’est pas l’objet lui-même qui est appréhendé c’est sa reproduction publicitaire, son impression, son moulage ou sa photographie, alors que l’artiste proclame avant tout un superbe souci d’atteindre à une ressemblance mécanique aussi interchangeable, paresseuse et stéréotypée que possible (Cf, les déclarations de Warhol). Et pourtant, dans cet usage de la peinture à deux dimensions (peinture de chevalet s’il en est) auquel le Pop’Art reste fidèle, comme dans ce souci de report sur la toile d’éléments isolés du réel, s’introduit l’évidente ambiguïté de l’intervention du créateur, qui porte en elle le germe de toutes les évolutions futures. que nous constatons dès maintenant de façon flagrante dans les transformations du Nouveau réalisme. En effet, ce qui faisait à la fois l’originalité foncière du Nouveau réalisme et l’impasse créatrice dans laquelle il se trouvait placé c’était le dogme du constat. Dans un texte fondamental sur cette question (7) Pierre Restany définissait la méthode du Nouveau réalisme comme « l’appropriation directe et immédiate de la réalité objective à travers un aspect de sa totalité ». Il opposait les travaux de ses amis au baroquisme industriel des néo-dada américains coupables de « vouloir remplacer un ordre par un autre » et de pratiquer « l’ordonnance des compositions, l’orchestration des plans, l’orga-nisation interne de l’espace ». Trois ans plus tard où en sont les nouveaux réalistes par rapport à la philosophie de l’appropriation du réel et de la présentation objective ? A l’issue de plus ou moins longues périodes d’obé-dience, ils en sont presque tous revenus (pour leur plus grand profit, et poussés par la nécessité inhérente à tout comportement créateur) à l’intervention ensembliste, à l’utilisation du matériau de base à des fins expressives à la composition et à l’élaboration. Nouveaux réalistes, les lacérateurs, Hains, Villeglé et Dufrene l’étaient quand ils se contentaient d’encadrer des morceaux d’affiches choisis sur les palissades ; Nouveaux réalistes, Raysse quand il offrait son présentoir rempli de produits balnéaires, Spoerri avec ses tableaux pièges. N »ki de Saint Phalle et ses sacs de peintures crevés à la carabine, Arman et Deschamps avec leurs accumulations, le sont-ils encore, maintenant que la main de l’artiste recompose les lambeaux d’affiches, tord les tubes de néon et peint des figures en contraste avec des fonds chromatiques savamment élaborés, construit ici un montage d’apothicaire, dresse là de puissants totems, des images baroques chargées de signification symbolique, organise. enfin, fragments d’instruments et coupes de statuettes, froisse des ensembles d’étoffe en harmonies recherchées ? Quant à César et Tinguely, parlons en : l’un entra dans le mouvement par la galéjade de ses voitures compressées et, effaré, en sortit aussitôt sur la pointe des pieds ; l’autre ne s’est jamais résolu, même avec ses machines folles chargées d’oripeaux, à se démettre de son droit créateur ; un coup d’oeil sur tout son oeuvre. d’où le mot Nouveau réalisme est curieusement absent (8) nous confirme qu’il est un grand sculpteur moins par le matériau ou’il utilise, que par le pouvoir de transfiguration qu’il exerce sur les choses. Pour eux tous l’affaire est bien aujourd’hui « de rem-placer un ordre par un ordre ». Je ne vois guère que Rotella qui en soit encore à la recherche du « document » mais on peut penser qu’un exil malheureux aura sans doute été la cause de ce retard… Il vaut mieux ne pas aborder le cas d’Yves Klein, aujourd’hui statufié, et rangé par une amitié embellissante au rang des grands précurseurs. Le plus irréaliste des Nouveaux réalistes n’avait pas oublié la leçon héraldique de ses débuts et, avant sa mort, donnait des signes évidents de révolte. Quelles sont les qualités qui séparent ces Nouveaux réalistes, des artistes qui ne refusent pas d’utiliser le matériau brut comme base d’élaboration, tout l’art moderne n’étant que la conquête du droit à l’intégration du réel dans l’oeuvre à faire ? On nous dira aue les premiers ont vécu jusqu’au bout l’aven-ture de l’objet, à une époque où elle était incommode. Cela est vrai, mais cette période « héroïque » n’apparaîtra bientôt que comme une zone expérimentale, un galop d’essai, une mise à l’épreuve du pouvoir expressionniste de l’objet. un mouvement sur les expériences divergentes qu’elles réunissaient. Simple-ment, cette exposition affirmait la sensibilisation des quelques artistes d’au-jourd’hui aux sources sociologiques, au fait urbain, à la mythologie de l’objet (en quoi ils rejoignent le point de départ concret du Pop et du Nouveau réalisme) ; elle constituait un témoignage sur la réalité, saisie sans esprit de fétichisme, un dépassement des limites de l’objet brut, que l’on enfermait dans une vitrine à la fois pour bien en montrer la vertu inspiratrice et en nier l’existence intrinsèque en tant qu’élément autonome de création (5). C’est donc sur le terrain particulier de l’avénement du Pop Art et du Nouveau réalisme que se situe le conflit le plus sérieux qu’ait eu à affronter l’expé-rience des « Mythologies ». C’est sur ce terrain qu’est apparu également avec Otto Hahn et Pierre Restany un mode de négation, fondé sur des systèmes constitués, qui seul mérite le dialogue. Non certes que ces deux critiques aient échappé à la tentation de régler leur affaire par une condamnation baclée, en posant le problème en termes plus polémiques qu’analytiques, mais les prises de position, mieux élaborées et mieux pensées, oui ont suivi cette tentative d’estocade, ont permis la mise au jour dans les « Temps Modernes » et dans « Planète », de textes de référence sur lesquels ont peut valablement discuter. Auprès des éclatements, orchestrés aujourd’hui avec tant de puissance par Arman, ses accumulations feront figure de devoirs d’école. Où est la véritable Niki de Saint Phalle ? Dans ses trinités matricielles où elle peut dénoncer, avec une agressivité non exempte de lyrisme, les servitudes de la condition féminine, ou bien dans le geste, certes riche en impressions sadiques… mais limité dans ses résultats, du coup de carabine sur la poche de pigments? A la vérité tout semble évoluer comme si, loin de s’opposer, les artistes de la réalité entraient en commun dans la grande phase constructive du témoi-gnage (9), de la conquête expressive des virtualités de l’objet, de la repré-sentation d’une aventure sociologique où l’homme se trouve engagé par le monde qu’il a lui-même créé et qui le porte déjà vers un futur en expansion. Dans la grande opération d’extraversion de l’âge moderne, dont l’artiste retrace les espérances profondes, certes les peintres mythologistes, certes les Nou-veaux réalistes prospectifs ne sont pas seuls. J’ai suffisamment écrit sur l’importance du cinétisme comme art d’animation spatiale de la cité, pour n’y pas revenir ici. Mais ce qui est certain c’est que, paradoxalement, le Pop’Art, aujourd’hui en pleine mode, nous paraît engoncé dans son gigantisme glacé, dans sa reproduction servile des figures et des formes du produit urbain. Il n’a pas encore fait sa crise de puberté, et en est dialectiquement au même stade que le Nouveau réalisme il y a trois ans ; aussi ce dernier marque des points dans cette course de l’histoire, parce qu’il a dès l’origine été fondé sur une approche réelle et sensible de l’objet et non sur un décalcage mécanique ou scolaire de sa reproduction, ou sur un jeu cérébral avec l’ustensile tel que l’a tenté Jim Dine. Il est inévitable que les gens de l’école de New York refassent ce chemin vers l’expression, rejoignent leurs origines « rauschenbergiennes », et agrandissent l’écart entre l’objet et l’oeuvre qu’ils ont pratiquement supprimé. Alors certains peintres comme Rancillac, Télémaque, Klasen, aui savent utiliser, jusqu’où il est possible, l’objectivation technique du dessin et du chromatisme, feront figure de brûleurs d’étapes. Le Pop’Art vit actuellement un cas limite, non dans un paroxysme, et c’est là mon reproche, mais dans un blocage élémentaire sur l’imagerie. Il n’a pas su, d’autre part, et c’est sa faiblesse idéologique, sortir de l’équivoque révolte-intégration sociale. S’il est souhaitable que l’art de demain soit un art de célébration lyrique du monde (10), d’expansion physique et morale, de parti-cipation aux aventures cosmiaues et nue nous soyons peut-être à la veille d’une réconciliation entre l’artiste et le monde (11), cette réconciliation ne pourra pas se faire sur le plan des étalages écœurants des hot dogs, du confort moderniste et petit bourgeois (12) de la boîte de soupe, du cosmic stria abrutissant reproduit comme une icone. Dans cet élargissement du champ créateur et dans ce grand rassemblement des énergies élaboratrices, les peintres des Mythologies prendront leur place, qu’il s’agisse de la veine narrative animée par Foldès, qui réintroduit la notion de durée et de succession chronolo. gigue après trois quarts de siècle d’anti-anecdotisme obligatoire, qu’il s’agisse des exaspérations farceuses et des dépassements magiques de l’objet et des situations que Rancillac, Télémaque, Alleyn, Récalcati et quelques autres mènent à bien, ou enfin de cet expressionnisme à contenu social et politique, qui avec des bonheurs divers occupe une place notable dans la jeune peinture. En parcourant cette voie fourchue ce ne sont pas sur leur obédience à telle ou telle technique du constat, à tel ou tel cliché de l’environnement objectif, à tel parti pris de réalisme disciplinaire que l’on jugera les oeuvres, mais encore une fois sur l’authenticité des aventures plastiques du peintre, sur la force de son pouvoir de dépassement, sur la richesse du contenu, sur le magnétisme, l’urgence, la qualité humaine de son témoignage. De très sûres évolutions et de constants retours nous ramèneront à un humanisme fécondant, à une subjectivité organisatrice sans quoi l’art ne serait qu’une vitrine de fétiches morts. Contrairement à une confusion savamment entre-tenue le Monde ne sera jamais l’Art et le choix réduit à lui-même ne sera jamais un acte créateur. G. G.-T. (1) Musée Municipal d’Art Moderne, juillet à octobre 1964. (2) Particulièrement Annette Michelson (in Art international), Simone Frigerio (in Aujourd’hui), Cérès Franco, Laure Malvano (in l’Unità), Léonard (in France Observateur), Raymond Cogniat (in Le Figaro), M. Conil Lacoste (in Le Monde), Michel Troche (in Les Lettres Françaises), J.A. França (in Les Temps Modernes) et tant d’autres critiques français et étrangers. (3) Pistoletto échappe à l’indifférence glacée du Pop, par une récupération de l’environnement et des figures passantes sur la surface polie de ses oeuvres. (4) On a également critiqué l’utilisation du mot « Mythologie » (J.D. Rey, in Jardin des Arts) auquel nous aurions retiré. paraît-il, une partie de sa noblesse éthymologique, sa « signification authentique », en le rabaissant à la vie quotidienne. Sans se référer exclusivement à Roland Barthes aui a suffi-samment élucidé dans un sens critique, l’acception moderne de ce mot, il semble que seule une conception singulièrement bornée de la souplesse sémantique du vocabulaire empêche d’étendre l’emploi de ce mot aux opé-rations modernes d’obsession collective et de fixation sociologique de certains objets et de certaines situations. (5) Certains, trop pressés ou trop distraits pour lire l’avis qui avait été affiché au-dessus de la « vitrine aux objets », crurent qu’il s’agissait là d’une manifestation parallèle au Nouveau réalisme, et que l’accumulation de ces produits divers était un témoignage artistique… (6) Il n’y a pas de crise, in Les Temps Modernes, n° 222. (7) Le Baptême de l’objet, in Combat-Art, n° 86, 5 février 1962. (8) Cf. le catalogue de l’exposition Tinguely à la galerie lolas. (9) La participation de Niki de Saint Phalle et de Raysse aux Mythologies quotidiennes est symptomatique de ce rapprochement. (10) Où les peintres d’intériorisation auront leur place dans la mesure où le développement des qualités psychiques de l’homme de demain ira en s’accroissant. (11) Il est nécessaire de souligner que si les peintres et les sculpteurs des Mythologies ont pris le buffet de la gare de Lyon pour décor de leur dîner d’exposition, ce n’est certainement pas pour rendre hommage au st nouille ni au plafond de Flameng. L’une des misères de Paris est q des installations désuètes. La mythologie du chemin de fer se loge où elle pe TIND « la gare », ce lieu hautement mythologique, n’y soit représentée que (12) Et non avec la notion exiguë « d’environnement ART DOC