Photo Bacci Chambre des mém monde onirique singulièrement envoûtant et inquiétant où la réalité la plus quotidienne se trouve transfigurée par un sens dramatique inné du mystère des visages et des situations. Comme la femme de • A travers les miroirs ,, semble nous adresser un signe d’appel ou de connivence, les corps couchés, endormis, les singuliers et dan-gereux rites du jeu nous donnent le sentiment d’un drame en train de s’accomplir. L’artiste connaît le pouvoir magique de certains cadrages • cinématographique », des reflets saisis dans les miroirs, de la poro-sité des corps qui se défont, se brouillent dans la splendeur d’un chromatisme d’une magnifique sensualité. Crémonini pratique avec maîtrise l’art de l’allusion, de la suggestion du tout par le détail, du passé par le présent, de la situation par l’objet. Dans l’atmosphère ouatée de chambres d’hôtel au décor rococo, les miroirs voyeurs nous révèlent les lambeaux de la vérité que le peintre nous dissimule; une solidarité secrète, une connivence perverse s’établit entre les choses et les êtres, les uns se définissant par les autres et réci-proquement. La mise en question de l’immédiateté, à laquelle nous assistons dans l’art d’aujourd’hui, redonne leur place aux peintres de la durée, tout au moins lorsqu’ils possèdent la finesse d’expression, la richesse d’inspiration et la subtilité poétique de Crémonini. G. G.-T. Enrico Baj Baj a exposé pour la première fois à Paris en 1958. Milanais (né en 1924), il a joué un rôle important dans sa ville natale où il lança en 1951 le « Mouvement Nucléaire », lié par la suite à une tendance lyrique qui se généralisait alors en Occident ; Parisien, il est un des rares peintres italiens que Paris adopta entièrement, au-delà des fron-tières annuelles du Salon de Mai. L’importance de Baj est celle d’un artiste dont le pouvoir d’invention ne cesse de provoquer un boule-versement des valeurs esthétiques et morales. Ses monstres grimaçants entrent, bras dessus bras dessous avec ceux de Dubuffet, dans la même sarabande hilarante. Chez Baj, pourtant, le rire prend une allure moins gênante: le jeu est joué avec une finesse italienne, plus venimeuse, toute enrobée d’un luxe que le moindre chiffon réussit à créer. Des tapisseries miteuses ou des nappes brodées sont les fonds merveilleux sur lesquels les personnages de Baj se présentent, héros mirifiques, généraux couverts de rubans et de crachats, diplomates chamarrés — tout un monde officiel qui déclenche le rire attirant le mépris, jamais la haine. C’est un monde de pantins, bon pour une baraque de forains, aux corps gentiment éventrés, tout crin dehors: on est plus près d’lonesco que de Genet. Mais il y a aussi des meubles, dont les images sont obtenues à l’aide de matériaux naturels, des morceaux ou des lamelles de bois — images ambiguës qui nient à la fois l’objet représenté et la représentation elle-même. A force de nier l’une et l’autre chose, elles acquièrent une valeur nouvelle et insolite — deviennent des bêtes aux museaux curieux. A la dernière biennale de Venise, Baj présentait d’autres travaux, et toute une salle en fête s’animait avec ses « meccanos » verts et rouges qui décou-paient dans l’espace d’étranges et risibles figures de monstres. Des montres comme des meubles ou comme des généraux — et, encore une fois, comme des bêtes. Quelle que soit la voie empruntée, Baj arrive à un univers animal, à une « commedia dell’arte » qui est une « comédie animale », tout en étant une « comédie humaine »… Le luxe d’une fin de siècle poussiéreuse, les beaux meubles de famille, les éléments d’un monde technique en miniature — tout cela aboutit fatalement à ce portrait sans doute dédaigneux d’un monde de bêtes amusantes. Chez Baj, la démarche métaphorique prend des chemins où la personnalité de l’auteur compte plus qu’une originalité formelle basée sur des trouvailles; ce sont les chemins étrangers à un mode expressionniste trop exploité où une « nouvelle figuration » crée la « défiguration » hautaine qui lui sied, au-delà de toute sentimentalité. J.-A. FRANÇA. Guido Biasi Fixé à Paris en 1960, à l’âge de 27 ans, Biasi garde l’empreinte méditerranéenne de ses origines et de sa formation napolitaine. Il la garde et l’approfondit sachant qu’elle se porte garante de valeurs d’humour et de merveille (de « meraviglia ») qui définissent son esprit quelque peu fantasque. Napolitain, il l’est par une paresse sensuelle qui transparaît dans ses compositions, par le goût d’un luxe que le temps a rendu miteux, par le sens du jeu, de la simulation — voire du trompe-l’oeil. Chaque toile de Biasi s’offre à nous comme un spectacle trouble : un système de panneaux peints s’enchaînant et se superposant, crée un labyrinthe dont l’innocente apparence cache des pièges innom-brables. Cette sorte de découpage de l’espace en profondeur ouvre-t-elle des fenêtres ou creuse-t-elle des puits? De toute façon, ce n’est pas l’espace extérieur qui est en cause : un espace autre, qu’on dirait aveuglé par l’imitation de murs marbrés, se révèle alors à nous avec une puissance de suggestion qui est une puissance de rêve et de magie. On pourra également parler de boîtes chinoises imbriquées les unes dans les autres, cachant leur coeur profond. Panneaux-fenêtres, portes obscures, boîtes fermées — tout cela nous attend, portant une invitation redoutable. Celui qui ose l’accepter s’embarque pour un long voyage et il sait d’avance que l’amour et la mort seront présents, graves compagnons brûlant dans le feu tout napolitain de l’érotisme ou du purgatoire. Il y a dans les propositions de la peinture de Biasi un engagement métaphorique qui renouvelle le domaine du surréel : des fantômes et des démons d’autrefois hantent son univers mais leur action est acceptée d’une façon ironique. Ils sont là, « apparitions », « nécro-mants », monstres aimables, tout couverts de tièdes poils, qu’une vision baroque justifie, mais l’absolu romantique d’un Moreau ou d’un Max Ernst n’y est plus. Biasi se rend bien compte de cette différence quand il renie toute attitude nostalgique qu’une analyse formelle trop pressée aurait pu lui attribuer, et par le truchement d’une ironie toute méditerranéenne, de question et de jeu, il arrive à une situation dynamique, c’est-à-dire à la proposition d’une critique qui touche à une catégorie de l’absurde (la revue qu’il anime à Naples, depuis 1958, « Documento-Sud », en fait foi, sur un autre plan d’expres-sion poétique). Biasi ne croit vraiment pas aux monstres ni aux démons qui se produisent entre ses murs simulés, et qu’une technique de trompe-l’oeil habille: ils n’existent que comme des éléments d’une opération poétique moderne — ils sont « relatifs ». Ils appartiennent à une mythologie qui suit d’autres chemins que ceux d’une image • pop-populaire, qui, en somme, fait fi de toute mode, c’est-à-dire toutes les facilités de l’immédiat. J.-A. F. FIND ART DOC